Alex Harvey est en Utah pour un stage de ski à roulettes avec ses coéquipiers de l'équipe canadienne. Quelques minutes avant de mettre le pied dans l'avion, la semaine dernière à Québec, il s'est entretenu avec La Presse sur ce qui l'attend la saison prochaine. Son entraîneur Louis Bouchard a aussi partagé ses observations depuis Park City. Morceaux choisis.

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Une question de préparation

Alex Harvey a eu 26 ans le 7 septembre. Il ne peut donc plus être considéré comme un jeune sur le circuit de la Coupe du monde. Dans un sport d'endurance comme le ski de fond, il arrive à son apogée physiologique.

«Ça fait plusieurs années qu'on dit qu'Alex a beaucoup de temps devant lui, souligne son entraîneur personnel, Louis Bouchard. Même s'il a déjà accumulé des podiums en Coupe du monde et en championnats du monde, là, on entre dans un cycle où il va atteindre sa maturité au niveau physique et de la constance.»

Pour le double médaillé de bronze aux Mondiaux, l'heure est venue de concrétiser son potentiel. Forts du bagage accumulé depuis les débuts de leur collaboration, il y a près d'une dizaine d'années, Harvey et Bouchard sont prêts à passer à une autre étape. Plutôt que de planifier le programme d'entraînement une année à la fois, comme ce fut le cas jusqu'à la saison dernière, le duo athlète-entraîneur se projette déjà vers les Jeux olympiques de Pyeongchang, en 2018.

Ainsi, il est prévu qu'Harvey effectuera de 850 à 900 heures d'entraînement durant chacune des deux premières années de ce nouveau cycle olympique. Le volume sera privilégié.

Pour les troisième et quatrième années, l'accent sera placé sur la vitesse et l'intensité. Comme la récupération sera alors plus importante, les heures d'entraînement seront réduites annuellement d'une centaine d'heures, pour se situer autour de 750 à 800. À titre comparatif, il s'entraînait entre 700 et 800 heures durant le cycle menant aux JO de Sotchi.

«Je rêvais de ça: commencer à faire une périodisation à plus long terme, s'enthousiasme Bouchard. À 26 ans, Alex est un athlète accompli, solide. Il le sait si une fatigue approche. Ce n'est plus des essais et erreurs comme avant.»

Bien sûr, cette planification à long terme n'exclut pas un monitorage quotidien ou hebdomadaire. Durant chaque mini-cycle de 5 à 10 jours, Harvey transmet ses données à son entraîneur. Les deux en discutent et apportent des ajustements si nécessaire.

Amorcée le 1er mai, cette nouvelle phase dans la carrière de l'athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges est bien lancée. «À la mi-septembre, je suis rendu au point où j'en étais à la fin octobre l'an passé», évalue le principal intéressé. Il en a pour preuve ses temps réalisés en ski à roulettes sur la piste asphaltée du mont Sainte-Anne, inaugurée il y a un an.

«C'est sûr que je dois continuer de m'améliorer, enchaîne-t-il, mais c'est plus les détails autour de l'entraînement qu'on essaie d'améliorer. Simplement pour avoir encore plus de constance. Quand tout va bien, je sais que je suis capable de gagner. Il faut juste que ça arrive plus souvent que les autres années! L'an dernier, ç'a été un bon pas dans cette direction. On veut continuer à consolider les gains qu'on a faits dans le dernier cycle olympique.»

Les Championnats du monde de Falun (18 février au 1er mars), en Suède, représenteront le principal objectif d'Harvey la saison prochaine. Il y ciblera particulièrement le skiathlon de 30 km et le 50 km classique.

«En sprint, tu peux avoir une journée incroyable, mais il y a toujours un aspect de chance un peu, explique le médaillé de bronze de la spécialité aux derniers Mondiaux de Val di Fiemme. Aux 30 km et 50 km, la chance entre pas mal moins en ligne de compte. (...) Et en ski de fond, le 50, c'est l'épreuve reine. Aux yeux de la plupart des athlètes, le 50 a un peu plus de valeur.»

Harvey ne modifiera pas son entraînement pour autant. «C'est 50 km, mais il reste que ça se finit au sprint, note-t-il. Il faut même travailler sur la puissance si tu veux être sur le podium.»

Cet attrait pour les efforts de longue haleine convient également à son profil physiologique, renchérit Louis Bouchard. «Oui, il a eu une victoire en sprint en Pologne, mais ses succès ont été le plus souvent obtenus sur de longues distances», rappelle le coach.

Si Falun est la priorité, le circuit de la Coupe du monde ne sera pas négligé pour autant. Sa troisième place au classement général l'an dernier lui a donné des idées. «Le cumulatif de la Coupe du monde l'an dernier, c'est une option à laquelle je n'avais pas vraiment pensé, admet Harvey. Mais avec la saison que j'ai connue, c'est comme une carte de plus à jouer. Ça devient la deuxième priorité.»

La saison de Coupe du monde de ski de fond sera lancée le 29 novembre, à Ruka, en Finlande.

Photo Bernard Brault, archives La Presse

Au terme d'une année olympique mouvementée, Alex Harvey et son entraîneur Louis Bouchard ont établi un nouveau programme d'entraînement.

Une opération dans les cartons

Après une mauvaise expérience en 2012, Alex Harvey avait fait son deuil de la dernière étape du Tour de ski, qui se conclut par une violente montée de 3,5 km sur une piste de l'Alpe Cermis, une station de ski alpin du Val di Fiemme, en Italie. Un problème de circulation dans une artère fémorale, pour lequel il a été opéré en 2008, l'empêche de s'exprimer dans cet exercice particulier, le seul du genre sur le circuit.

Même s'il occupait le quatrième rang du Tour l'an dernier, Harvey n'a pas pris le départ de l'étape ultime. Il se privait ainsi de précieux points potentiels au classement de la Coupe du monde. Les fondeurs qui complètent le Tour reçoivent le quadruple des points d'une épreuve normale.

Cela a entre autres permis au Norvégien Martin Johnsrud Sundby, gagnant du Tour 2014, de remporter le globe de cristal à la fin de la saison. Harvey, lui, a conclu au troisième rang en dépit de son abandon avant la montée de l'Alpe Cermis.

S'il a déjà fait une croix sur la dernière étape du Tour 2015, Harvey n'écarte pas la possibilité de s'y frotter de nouveau en 2016, dans l'optique de se battre pour le globe. Pour y arriver, il devra cependant retourner sur la table d'opération, une option à laquelle il songe. «Ce n'est pas encore sûr, mais j'y pense assez fortement», confie l'athlète de 26 ans.

Ses médecins estiment qu'il serait possible d'améliorer la circulation dans l'artère. La chirurgie aurait lieu juste après la fin de la saison, au moment où Harvey coupe ses activités pour un mois. Cela lui permettrait de ne pas empiéter sur son entraînement en vue de la saison 2015-2016, où la saison de Coupe du monde se conclura par le nouveau Tour de ski canadien.

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Photo Bernard Brault, archives La Presse

En raison d'un problème récurrent de circulation sanguine, Alex Harvey a déjà fait une croix sur la dernière étape du Tour de ski.

La marmite a chauffé

Il n'y a pas que P.K. Subban et le Canadien qui se sont livré une partie de bras de fer cet été. Alex Harvey s'est aussi frotté à sa fédération. Ça ne s'est pas réglé par un contrat de 72 millions, mais le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges est satisfait du dénouement de ses négociations avec Ski de fond Canada (SFC).

Après avoir menacé de ne pas signer son contrat d'athlète pendant quelques semaines, Harvey s'est exécuté à la fin juin, moyennant certains assouplissements. Il exigeait, entre autres aménagements, l'autorisation d'afficher ses commanditaires dans le cadre de ses activités médiatiques au Québec, une pomme de discorde entre les deux parties depuis quelques années.

Cette plus grande marge de manoeuvre permet au fondeur étoile de l'équipe canadienne de s'offrir un skieur d'essai pour la prochaine saison de Coupe du monde, avec la volonté de juguler les problèmes de fartage qui l'ont handicapé aux Jeux olympiques de Sotchi.

«Le budget de Ski de fond Canada est moins élevé que les autres années, relève Harvey, citant l'annulation du traditionnel stage sur neige en Nouvelle-Zélande. C'est nous qui avons trouvé des partenaires à Québec pour combler le reste. Moi, je disais: "Je vais financer (le skieur d'essai), mais il faut que vous me donniez plus de latitude au niveau de mes commanditaires personnels pour être en mesure de financer ça."»

Il avance que la présence du skieur d'essai Lee Churchill pendant 50% de la saison, soit la moitié du scénario optimal échafaudé par l'entraîneur Louis Bouchard, sera favorable à tout le groupe. «Il va contribuer à apporter de meilleurs skis à toute l'équipe, pas juste à moi, souligne-t-il. On voulait juste que ce soit un scénario "gagnant gagnant" pour l'équipe.»

Churchill, un ancien champion des Jeux du Canada, partage la physionomie et la technique d'Harvey. Il lui servira en quelque sorte de doublure pour affiner la sélection des skis jusque dans les dernières minutes avant le départ. Harvey fournira de sa poche la moitié du budget de 35 000 $ associé à sa présence. L'autre moitié est déboursée par des contributeurs privés, le Conseil du sport de haut niveau de Québec et aussi Ski de fond Canada.

En ce qui concerne la visibilité des commanditaires, le fondeur de 26 ans argue que les siens ne sont pas en concurrence avec ceux de la fédération, basée en Alberta. Ainsi, il a pu renouveler son entente avec Cascade. «Il fallait pouvoir montrer à Cascade que j'allais être capable de leur donner une assez bonne visibilité pour les quatre prochaines années.»

Parmi les autres revendications d'Harvey figurait le statut de Bouchard, son entraîneur personnel, qui est toujours affilié au Centre national d'entraînement Pierre-Harvey. Là aussi, les deux camps ont trouvé un terrain d'entente.

Quant à ses relations avec la direction de SFC, à qui il s'était déjà frotté à l'époque où il était junior, Harvey ne s'en fait pas.

«L'important, pour moi, était de pouvoir continuer à m'entraîner avec les gars de l'équipe de Coupe du monde, explique le médaillé de bronze du sprint aux derniers Mondiaux. J'en avais parlé avec eux et ils n'ont jamais eu un problème avec ça. Avec la fédération, c'est plus une relation professionnelle qu'on a maintenant. S'il y en a qui ont été fâchés, il faut qu'ils soient capables d'agir en tant que professionnels et c'est ce qu'ils font.»

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Phoo Matthias Schrader, archives AP

Alex Harvey a connu quelques différends avec Ski de fond Canada lors de la renégociation de son contrat.

Faire le yo-yo

Alex Harvey appelle ces stages les camps «yo-yo». En dormant en altitude et en effectuant l'essentiel de ses entraînements de ski à roulettes plus bas, il force son corps à s'adapter et maximise ainsi la production de globules rouges qui transportent l'oxygène dans le sang. Historiquement, il a toujours bien réagi à ce genre de programme.

> 2500-3000 m: Quand l'acclimatation sera complétée, après une semaine et demie, l'entraînement à haut volume et à basse intensité se déplacera dans les hauteurs des Rocheuses de l'Utah.

> 2400 m: Quand ils ne sont pas à l'entraînement, les fondeurs vivent et dorment à cette altitude à Park City

> 1700-1900 m: L'essentiel de l'entraînement, à basse intensité, se déroule à cette altitude pour la première moitié du stage.

> 1200 m: Pour favoriser la qualité des séances d'intensité, le groupe redescend jusqu'à Salt Lake City.

Photo Bernard Brault, archives La Presse

Alex Harvey et ses coéquipiers de l'équipe canadienne se trouvent présentement en Utah pour leur préparation d'avant-saison.