Alex Harvey avait tout misé sur les Jeux olympiques. Le destin a voulu que ce soit en Coupe du monde qu'il brille de tous ses feux. Transparent à Sotchi, le fondeur de 25 ans a conclu la saison sur la meilleure séquence de sa carrière, marquée par une victoire au skiathlon de Falun et couronnée par une troisième place au classement cumulatif. «Ça rachète la saison, sauf que les deux semaines de Sotchi sont décevantes. Rien ne pourra changer ça», reconnaît Harvey, qui a essuyé sa part de critiques durant les JO. Retour sur une saison mouvementée.

Rarement contre-performances olympiques auront fait autant parler que celles d'Alex Harvey à Sotchi. De ses problèmes de fartage à son abandon au 15 km, de son manque d'explosivité au sprint à son retrait subit au relais, la chronique de ses déboires a alimenté les discussions dans le Québec sportif.

Et la rumeur n'était souvent pas à l'avantage du fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges, perçu par les plus sévères comme un égocentrique en mal d'excuses. Dans sa bulle olympique dans le Caucase du Nord, Harvey a eu vent de la tempête... sans se douter de son ampleur. «Honnêtement, ça ne m'affecte pas. Le ski de fond, mon sport, je le fais pour moi», affirme cependant l'athlète de 25 ans, revenu au pays lundi dernier après un séjour de plus de quatre mois en Europe.

Les critiques le dérangent un peu plus lorsque ce sont ses proches et son entourage qui doivent y répondre. Comme ses deux jeunes soeurs qui l'appelaient pendant les JO pour lui demander ce qu'elles devaient dire aux gens qui les interpellaient. Ou même sa blonde qui s'est fait apostropher par un quidam au centre de ski: «Tu diras à ton chum qu'il arrête de se regarder dans le miroir et qu'il s'entraîne plus s'il veut des médailles olympiques...»

Même Pierre Harvey a eu à essuyer sa part de reproches adressés à son fils. «Il y a des gens qui étaient frustrés qu'on dise qu'on n'avait pas de bons skis, constate Alex Harvey. Ils voyaient ça juste comme une excuse. Mais c'est une raison, pas une excuse.»

Un mois après les événements, Harvey ne voit pas comment il aurait pu dire autre chose à la demi-douzaine de journalistes qui l'attendaient à la conclusion de ses courses au stade Laura de Sotchi. Au skiathlon (18e) comme au 15 km classique (abandon), ce sont des problèmes de cire d'adhérence qui ont bousillé ses courses. Avancer une autre explication aurait été pour lui une sorte de mensonge ou, à tout le moins, un maquillage de la vérité.

«Si c'est ça la raison, hé bien, il faut la dire, fait-il valoir. Si je ne suis pas en forme, je ne suis pas en forme, il faut le dire. Des fois, on a de super skis et on n'est pas en forme. On le dit. Mais là, quand tu es dans une bonne journée et que tu n'as pas les skis, ce n'est pas une question de protéger quelqu'un. Il faut juste dire la vérité, je pense.»

Quitte à mettre les farteurs sous les feux de la rampe. Harvey affirme que les techniciens, dont le métier est souvent bien ingrat, n'ont pas été piqués par ses commentaires. «Ils savent qu'ils se sont trompés. Ce n'est pas une surprise à la fin de la course. Après cinq minutes, ils le voient si on a les skis ou pas.»

L'accumulation des ennuis a cependant contribué à installer une atmosphère délétère au sein de l'équipe. «Ça a fait augmenter le niveau de stress pour les coachs, entre les coachs et les farteurs, ça c'est sûr, concède Harvey. Mais entre les athlètes et les farteurs, ça n'a rien changé.»

N'empêche, son image de marque auprès du grand public a été ternie.

Une image écorchée

L'espace d'une quinzaine olympique, tout un chacun avait son opinion sur le ski de fond, le fartage et surtout la façon dont Alex Harvey réagissait à ses ennuis. À la radio, à la télé, sur l'internet et sur les pistes. «Peut-être qu'il y en a qui s'intéressent au ski de fond deux semaines tous les quatre ans. C'est peut-être ça aussi, l'affaire!», avance le principal intéressé.

Il cite quelques courses au cours de la saison de Coupe du monde, où ses résultats ont fait le yoyo simplement pour des raisons liées à l'équipement. Comme lors du traditionnel 50 km d'Holmenkollen, à Oslo, au cours duquel il est remonté de la 46e à la 14e place simplement après un changement de skis. Il avait opté avec une paire dont la cambrure était trop prononcée, comme quoi la responsabilité ne repose pas toujours sur les épaules des farteurs. « Je n'ai pas pris de pause, je n'ai pas pris de ravitaillement spécial ni rien», souligne-t-il comme une évidence. «J'ai changé mes skis. C'est ça, le ski de fond.»

Beaucoup plus suivi depuis cinq ou six ans, le sport n'est néanmoins pas encore entré dans les moeurs sportives, soulève Harvey. «Les gens qui ne sont pas éduqués dans le sport du ski de fond, ils comprennent vite que si tu n'as pas les skis, tu ne peux pas être compétitif. Ils sont capables de le voir à la télé. On n'est pas là au Canada, juste parce que c'est un sport qui n'est pas dans notre culture. Ce n'est pas comme faire un 10 km de course à pied. Il y a plusieurs éléments qui comptent dans la balance. Et le fartage en est un qui est de plus en plus pesant.»

Son abandon aux deux tiers du 15 km classique, alors que, collé à la piste, il ne figurait même plus parmi les 40 premiers, lui a aussi valu une volée de bois vert. Harvey avoue que l'idée de finir pour l'honneur ne lui a même pas traversé l'esprit. Il ne pensait qu'à une chose: sauver un maximum d'énergie pour le relais par équipe, l'épreuve pour laquelle il estimait avoir les meilleures chances de podium. Son partenaire Devon Kershaw est tombé malade quelques heures plus tard.

Trois jours plus tard, les champions mondiaux 2011 ont été éliminés dès les demi-finales. «Si j'avais su, j'aurais sûrement fini le 15 km pour éviter toute possibilité de controverse», constate Harvey.

Pour le reste, il est prêt à rouler avec les coups. «C'est sûr que c'est important d'avoir (une bonne) image, de promouvoir le sport, reconnaît-il. Mais que le monde m'idolâtre ou me haïsse, je ne peux pas contrôler grand-chose là-dessus.»

Meilleure saison

Au moment de l'entrevue, Alex Harvey revenait d'une sortie d'entraînement de deux heures dans les sentiers du Mont-Saint-Anne. Son entraîneur Louis Bouchard l'a accompagné la première heure... en faisant tout son possible pour ne pas avoir l'air de trop souffrir.

Malgré sa déception olympique, Harvey a encore envie de faire du ski de fond. Et surtout de mettre un dossard. La façon dont il a conclu la saison de Coupe du monde en est la plus belle preuve. Manifestement en forme à Lahti et à Oslo, il a été fumant aux finales de Falun, où il a fini quatrième, premier et deuxième, ce qui lui a permis de pointer au troisième rang du classement cumulatif final, sa meilleure position à vie.

Sportivement, sa victoire au skiathlon de 30 km, où il a pris la mesure du Norvégien Martin Johnsrud Sundby et du Russe Alexander Legkov, respectivement premier et deuxième mondial, est la plus belle de sa carrière. La course est partie sur les chapeaux de roue dès le troisième kilomètre, et le Québécois a été l'un des quatre à pouvoir tenir le rythme sur cette neige particulièrement lente, dans un parcours qui sera le théâtre des Mondiaux l'an prochain. «On était juste trois gars à la fin, plus personne n'était capable de suivre. C'est ça qui me donne le plus de fierté, d'avoir fait partie de ce trio-là.»

Cette conclusion sur les chapeaux de roue lui a aussi donné l'assurance que sa forme n'avait pas disparu par enchantement à l'amorce des Jeux olympiques. «Au Tour de ski, en janvier, on se demandait si je n'étais pas en forme trop tôt, note Harvey. Finalement, on se rend compte que non. Aux Jeux, la forme était aussi bonne, sinon meilleure, qu'en fin de saison.»

Le double médaillé aux Championnats du monde peut donc envisager la suite avec sérénité. Déjà, il pense à des pistes d'amélioration.

Skieur d'essai recherché

L'entraîneur Louis Bouchard en rêve depuis un an ou deux: un «skieur d'essai» pour accompagner Alex Harvey de façon systématique à l'entraînement et en compétition. Son rôle serait de recueillir un maximum d'information sur les goûts et les préférences de l'athlète, et de tester des skis dans les 30 minutes précédant le départ.

«Même si, globalement, on est contents de nos farteurs, quand on manque notre coup, c'est souvent dans la fenêtre de 30 minutes, analyse Bouchard. Chaque fois que tu as des skis un peu moins bons, c'est souvent cette fenêtre-là que tu as manquée parce que tu n'as pas la ressource humaine disponible. C'est là qu'on est faibles.»

Farteur d'expérience, le candidat devra avoir la même taille (1 m 83) et le même poids (72-74 kg) qu'Harvey, partager son style et être en mesure de le suivre sur de longues distances. Bouchard a déjà deux personnes en tête.

Avant une course, Harvey et son «skieur d'essai» échangeraient des paires de skis et partageraient de l'information. Dans la demi-heure précédant le départ, ce dernier pourrait procéder à des ajustements ultimes pendant qu'Harvey complète son échauffement.

L'équipe canadienne s'est aussi informée de la disponibilité d'un farteur finlandais d'expérience, spécialisé dans la cire d'adhérence et dont le contrat avec l'équipe d'Allemagne vient à échéance. «Il m'a parlé à Falun et il avait l'air intéressé», soutient Harvey.

Ces projets d'embauche sont cependant tributaires du budget de Ski de fond Canada, qui risque de pâtir du zéro pointé à Sotchi. «D'un côté, on parle de coupes de budget. De l'autre, on veut faire encore plus pour Alex, ce qui va coûter de l'argent. C'est difficile un peu», note Bouchard, qui s'attend à avoir des réponses dans les prochaines semaines.