Ivan Babikov est encore fâché contre Alex Harvey. Sa colère a baissé d'un ton, mais il persiste à croire que son coéquipier aurait dû participer au relais 4 x 10 kilomètres, où le Canada a fini 12e, hier, aux Championnats du monde d'Oslo.

Babikov ne s'est pas défilé après sa course. Il pense toujours que Harvey a commis une grave erreur en refusant de prendre le départ. Peut-être pas «l'erreur de sa vie», comme il l'avait écrit la veille sur Twitter, mais un affront envers le reste de l'équipe.

«Je ne m'attendais pas à ça de la part d'Alex, a réagi Babikov en entrevue avec La Presse. C'est juste triste de voir quelque chose comme ça de la part d'un jeune homme. Personnellement, je considère cela comme un manque de respect pour l'équipe, pour les gars. Ç'aurait pu être ma chance de remporter une médaille, peut-être la seule de ma vie. C'est juste vraiment triste de le voir la réduire à néant.»

Selon Babikov, un tel geste aurait valu à Harvey une expulsion pure et simple dans certaines équipes nationales. «Il aurait été renvoyé à la maison sur-le-champ, a affirmé l'athlète de 30 ans. Il semble que ce soit correct au Canada. C'est sa décision. J'espère qu'il pourra vivre avec ça.»

Regrette-t-il son message sur Twitter, dans lequel il a écrit avoir «perdu tout respect» pour Harvey? «Pas vraiment, a répondu Babikov. Je dis ce que je pense et je ne me cacherai pas. Peut-être que j'étais trop fâché à ce moment-là.»

George Grey, dernier relayeur canadien, était lui aussi «déçu» que son jeune coéquipier refuse une place dans le relais. «À un si jeune âge... c'est un peu un message qu'il envoie, a jugé le vétéran de 31 ans. Je réalise qu'il a une chance de médaille (demain au 50 km) et je respecte ça, comme le reste de l'équipe. Mais le relais est quelque chose de spécial. Vous avez vu la foule ici. C'est l'épreuve la plus prestigieuse en ski de fond. On espérait tous qu'il skie avec nous pour le Canada.»

Harvey voit les choses autrement. «Un peu déçu» de la réaction intempestive de son coéquipier Babikov, un ami, Harvey a réitéré sa position lors d'une entrevue, deux heures avant le début du relais. «Je suis à l'aise avec ma décision», a-t-il déclaré à La Presse. Il dit avoir tenté sans succès de s'expliquer avec Babikov.

Le fondeur de 22 ans a réitéré que l'éventualité qu'il ne dispute pas cette épreuve était connue de tous depuis longtemps. Ce scénario a été explicitement évoqué en réunion lors de l'arrivée de l'équipe à Oslo, a-t-il ajouté.

La folle journée de mercredi, où Harvey est devenu champion du monde du relais sprint avec son coéquipier Devon Kershaw, n'a fait que conforter son choix. Les obligations liées à ce titre historique (médias, cérémonie des médailles, antidopage, etc.) ont nui à ses activités de récupération habituelles.

Aussi, Harvey s'est rappelé son expérience aux Jeux olympiques de Vancouver, il y a un an. Les efforts consentis dans le relais l'avaient handicapé au 50 km, avait-il jugé après coup. «On apprend de nos erreurs et je ne veux pas refaire la même», a-t-il dit.

Quant à la perception selon laquelle il ne serait pas un joueur d'équipe, Harvey la balaie d'un revers de main. L'objectif du Canada à Oslo est de ramener un maximum de médaille, a-t-il souligné. À ses yeux, il se donne une meilleure chance d'atteindre ce but collectif en s'offrant une journée de repos supplémentaire.

Ironiquement, Kershaw, partenaire de chambre de Harvey, n'a pu participer au relais lui non plus, cloué au lit par un mal de gorge. Dans l'entourage du Québécois, on craignait davantage une contamination que la possibilité qu'il soit dérangé par une controverse. Les deux athlètes ont évidemment été placés dans des chambres séparées.

Sauf incident ou maladie, Harvey et Babikov seront sur la ligne de départ demain pour le 50 km style libre, épreuve ultime des Mondiaux d'Oslo. Ce n'est pas la motivation qui manquera.

«On va encourager Alex de la même façon, a promis George Grey. Il est toujours mon ami, mon coéquipier, et j'aurai une larme à l'oeil s'il franchit la ligne pour n'importe quelle médaille.»