Un nom a résonné plus souvent que les autres dans les haut-parleurs du stade d'Holmenkollen. Celui d'Alex Harvey. Malheureusement pour le fondeur québécois, ce fut celui du Norvégien Petter Northug fils qui a retenti à la toute fin.

Auteur d'un numéro haletant dans le dernier tiers de la course, Harvey était persuadé que l'or de la poursuite de 30 kilomètres lui était destiné, dimanche après-midi, aux Mondiaux d'Oslo. «J'étais sûr que je me rendais jusqu'à la ligne. Sûr et certain. Je n'avais aucun doute dans ma tête.»

Des crampes ressenties à cinq kilomètres du but ont anéanti ses aspirations. Harvey a été rejoint par la meute avec moins d'un tour à faire. Il n'était plus dans le coup quand Northug a amorcé sa poussée irrésistible dans la dernière ligne droite, plongeant ses milliers de partisans dans une joyeuse hystérie.

Défait, déconcerté, Harvey a franchi la ligne au 12e rang, à 10,3 secondes de Northug, qui a terminé l'épreuve en 1h14m10s4 pour décrocher, à son grand soulagement, une première médaille d'or individuelle devant les siens.

Après deux accélérations dans les 800 derniers mètres, l'ogre norvégien n'a jamais été menacé. Discrets depuis quelque temps, les Russes ont raflé les autres médailles à l'enjeu. Maxim Vylegzhanin, exclu du dernier Tour de ski pour un niveau d'hémoglobine trop élevé, a gagné l'argent, tandis que son compatriote Ilia Chernousov a cueilli le bronze.

Harvey n'a pas trainé dans la zone d'entrevues. Le visage noir, le jeune homme de 22 ans ne parvenait pas à s'expliquer ce qui venait de se passer. Il détenait une priorité de plus de 15 secondes et il se préparait à enclencher la dernière vitesse quand son aine s'est transformée en ciment. En se relevant au bas d'une descente, le psoas, muscle fléchisseur des hanches, a coincé à l'intérieur. Ça ne lui était jamais arrivé.

«Je suis vraiment fâché. Ça allait bien, ce n'était pas difficile. J'ai commencé à sentir des crampes des deux côtés de l'aine et c'était vraiment douloureux. Je ne pouvais plus skier. Je n'étais plus capable d'être stable sur mes skis. Je ne sais pas ce qui est arrivé.»

Harvey estime s'être bien alimenté et hydraté avant et pendant la course. Et il ne roulait pas en surrégime lorsqu'il a cavalé en tête de course du 18e au 27e kilomètre. «Je n'étais pas en acide lactique au sommet des montées. J'allais à un rythme régulier et je poussais fort sur les plats. Je m'en gardais sous le pied. Puis, soudainement, aaah...»

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La première portion de 15 km classique a été relativement tranquille. On a vu Harvey et ses lunettes jaunes constamment à l'avant, le plus souvent entouré de ses compatriotes Devon Kershaw (neuvième à l'arrivée) et Ivan Babikov (15e). Seuls les dangereux Suédois peinaient sur des skis lents. Une trentaine de skieurs étaient toujours dans le coup au moment de la transition au style libre.

Vers la fin de la première des quatre boucles de 3,75 km, Harvey a détalé dans une montée, manifestant un rare culot pour un fondeur de son âge. Une décision spontanée, expliquera-t-il par la suite. «Je n'ai même pas attaqué, je n'ai pas donné un gros coup, j'ai juste décroché le monde, a-t-il dit. Je me sentais bien, mes skis étaient rapides, alors je suis parti.»

Pendant que l'animateur s'époumonait - «Harvey fait quelque chose qu'on ne voit pas normalement!» - le Québécois est passé trois fois dans le stade en tête de course. Avec une avance de 15 secondes, il paraissait en pleine maîtrise, fluide dans le geste, élégant dans le mouvement. Jusqu'aux crampes.

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Un journaliste a voulu lui parler de son père Pierre, dont les exploits passés ont été amplement rappelés durant la course. Alex lui a rapidement mais poliment coupé le sifflet. «Je ne pensais pas à mon père, je pensais à me rendre à la ligne d'arrivée et à bien skier techniquement.»

Harvey est reparti dans ses quartiers, vraiment fâché. Son entraîneur Louis Bouchard ne l'avait jamais vu dans un tel état. Il a pleuré un coup. Puis il est parti sur ses skis pour décompenser pendant 45 minutes. À la suggestion de son entraîneur, il a profité de l'occasion pour repenser au déroulement de l'épreuve. «Donne-toi une occasion d'analyser, de te choquer si tu veux, de tirer tes propres conclusions, s'est-il fait dire. Après, tu tournes la page.»

En revenant à l'hôtel, Harvey avait réfléchi. Aucun regret. Il pouvait commencer à penser au 15 km de mardi.