«Merci beaucoup, monsieur le premier ministre...» Erik Guay s'est cherché un coin tranquille dans le lobby de son hôtel du Vieux-Montréal. Ce n'est pas tous les jours qu'un athlète reçoit un appel de Jean Charest.

Le nouveau champion du monde venait tout juste de renouer avec ses parents, Ellen et Conrad, qui n'avaient pas vu leur fils depuis trois mois.

Dans la dernière ligne droite d'une tournée médiatique un peu étourdissante, hier après-midi, Erik Guay avait 20 minutes pour s'asseoir avec La Presse et revenir sur le joyeux tourbillon dans lequel il est aspiré.

La veille, il a été reçu avec tous les égards par le Canadien de Montréal. On lui avait dit que sa descente victorieuse à Garmisch-Partenkirchen serait présentée aux spectateurs. Il a été très surpris quand son visage est apparu sur l'écran géant. Encore plus quand les gens se sont levés pour le saluer. Il n'a pas l'habitude des ovations.

«J'étais ému, je ne savais pas quoi dire, a-t-il dit. J'étais gêné un peu. Je me suis retourné pour saluer les gens, mais ils applaudissaient sans arrêt. C'est vraiment cool comme expérience.»

Peu après, le téléphone a sonné. C'était un ami d'enfance de Mont-Tremblant qui assistait au match au Centre Bell. En tout, ils étaient une vingtaine. Guay les a retrouvés au restaurant La Mise au jeu pour une petite fête totalement imprévue.

Guay va de surprise en surprise depuis qu'il a décroché la médaille d'or de la descente aux Championnats du monde, samedi dernier. La saison dernière, il a gagné le globe de cristal couronnant le meilleur super-géantiste en Coupe du monde. Cet exploit est survenu trois semaines après les Jeux olympiques de Vancouver, où les athlètes canadiens ont brillé. L'accomplissement n'avait pas eu le même retentissement.

«C'est assez fou, assez malade», a résumé Guay, qui a donné une bonne quinzaine d'entrevues à Montréal avant de reprendre le même manège, aujourd'hui, à Toronto. Il terminera ce bain médiatique à Calgary, où il vit maintenant avec sa femme et leur petite fille de 2 ans.

Déjà, en Europe, Guay a pu prendre la mesure de son coup d'éclat. À Garmisch, les médias se sont arraché le Québécois pendant deux jours. Il s'est ensuite rendu en Autriche, où il a été interviewé par tous les grands journaux. En soirée, il a été reçu par une station en heure de grande écoute.

Le lendemain, il croyait pouvoir souffler un peu en se promenant dans les rues de Salzbourg. «Je n'avais pas de casquette ni de manteau d'équipe, rien pour m'identifier. Et d'habitude, les gens me voient avec un casque et des lunettes. Pourtant, je ne pouvais pas faire deux pas sans que le monde m'arrête pour des photos ou des autographes. Là-bas, le ski alpin, c'est comme le hockey ici.»

Il est d'autant plus surpris de constater que la réaction du public est «très comparable» au Québec.

Guay est interrompu par Sophie Pilon, relationniste de Canada Alpin. Le ministre fédéral du Sport, Gary Lunn, veut lui parler.

Une réunion déterminante

Quelques jours avant le début des Mondiaux, personne n'aurait misé un rond sur les chances de Guay.

Son dos le faisait souffrir depuis plus d'un mois et il avait le moral dans les talons. Il dit qu'il a touché le fond à Chamonix, à la fin janvier, quand Ryan Semple et Manuel Osborne-Paradis se sont défait le genou coup sur coup. Quelques semaines plus tôt, François Bourque et Robbie Dixon étaient aussi tombés au combat.

Il ne restait plus que Jan Hudec, déjà hypothéqué physiquement, et Guay pour mener la barque canadienne dans les épreuves de vitesse. Les entraîneurs Paul Kristofic et Johno McBride les ont convoqués pour une réunion avec les autres coachs de l'équipe. Leur message: tout n'est pas perdu, concentrons toutes nos forces et nos ressources en vue des Mondiaux.

Il restait à gérer ce dos capricieux. Guay a dû mettre soudainement fin à deux journées d'entraînement prévues avec l'équipe autrichienne: «J'ai gagné la première manche d'entraînement. Je trouvais que je skiais bien, j'ai arrêté ça là.»

Même approche à Garmisch, où il a limité ses sorties sur les planches au strict minimum. «En course, je ne sentais pas mon dos. C'était juste le matin. Je me levais donc une heure plus tôt pour faire un bon échauffement dynamique.»

Après une sortie de piste au super-G, où il a été encouragé par son engagement, il a réussi deux bons entraînements chronométrés en descente. Pour la course, il a simplement été touché par la grâce. «Je me sentais comme à l'entraînement. J'ai juste changé la trajectoire à quelques endroits. Sinon, c'était pareil.»

Sur le podium, ça lui a fait grand plaisir de retrouver le Suisse Didier Cuche, médaillé d'argent. «Un grand skieur, un gentleman, super sympathique, a dit Guay. En conférence de presse, il s'est fait demander s'il était surpris que ce soit moi qui gagne. Il a dit vraiment pas, que j'étais passé proche tellement souvent.»

Une bourse de quelque 40000$ a accompagné sa médaille d'or, une première aux championnats du monde. Guay recevra aussi une généreuse prime de ses principaux commanditaires (Red Bull, Atomic, Under Armour). Il semble surtout heureux de donner un coup de pouce à sa fédération, qui vit des moments difficiles sur le plan de la commandite.

Le week-end dernier, Max Gartner, président de Canada Alpin, était d'ailleurs accompagné de partenaires potentiels dans le cadre d'un voyage d'héliski en Colombie-Britannique. Quand il a appris la victoire de son poulain, aux petites heures, il a jeté sa présentation à la poubelle. La vidéo de la descente gagnante ferait une bien meilleure carte de visite.