Erik Guay n'avait jamais été aussi nerveux avant un départ. La veille, son entraîneur lui avait annoncé qu'il partirait premier pour la descente d'entraînement de la Coupe du monde de Kitzbühel. Sur la Streif, la piste la plus dure au monde, au retour d'un arrêt forcé de trois semaines.

À posteriori, ce dossard #1 fut un mal pour bien. Malgré ses appréhensions, Guay a rallié l'arrivée sain et sauf, jeudi matin. Le temps de reprendre son souffle, d'enlever son casque et de retirer son protecteur buccal, il voyait Hans Grugger, cinquième à s'élancer, s'écraser là-haut, à la suite d'un déséquilibre sur la Mausefalle, un saut vertigineux qui arrive moins de 10 secondes après le départ.

La tête de Grugger a violemment frappé la piste gelée dure. Inerte, le skieur de 29 ans a glissé sur quelques dizaines de mètres avant de s'immobiliser. Stupeur instantanée dans l'aire d'arrivée, où quelques centaines de personnes ont vu l'accident sur écran géant. Le silence a été brisé 30 secondes plus tard par le décollage de l'hélicoptère de secours.

«Quand je vois un accident comme ça, je suis juste content d'être au finish en un morceau», a dit Erik Guay peu après l'évacuation de Grugger, une trentaine de minutes plus tard. «J'espère juste qu'il va être correct.»

Victime de «sérieuses blessures à la tête» et d'une autre au sternum, Grugger a été transporté directement à l'hôpital universitaire d'Innsbruck, à 90 kilomètres de Kitzbühel, où il a été opéré d'urgence. «L'opération s'est bien passée, il va passer la nuit aux soins intensifs», a simplement indiqué l'équipe autrichienne en fin d'après-midi.

L'accident de Grugger, auteur de quatre victoires en Coupe du monde, a rappelé celui du Suisse Daniel Albrecht, survenu deux ans plus tôt sur le saut final de la même Streif. Victime d'un traumatisme crânien, d'une hémorragie cérébrale et d'un affaissement pulmonaire, il avait été plongé dans un coma artificiel pendant trois semaines. Après une longue rééducation, Albrecht, absent à Kitzbühel, reprend tranquillement la compétition cette saison. L'Américain Scott Macartney avait subi un sort similaire au même endroit en 2008.

À se demander comment les descendeurs peuvent continuer à se lancer ainsi la pédale au plancher. Peut-être parce qu'à l'inverse du commun des mortels, ils ont le réflexe de rationaliser les chutes. Pour un, Erik Guay constatait que Grugger avait maintenu son appui extérieur un peu trop longtemps. «C'est juste qu'il a mal déclenché le saut, a-t-il analysé. Peut-être que s'il était allé 10 mètres moins loin, il aurait pu atterrir sur ses pieds et récupérer.»

Après une interruption d'une demi-heure, l'entraînement a pu reprendre. Les 55 coureurs suivants se sont rendus jusqu'en bas en dépit de la visibilité réduite et des flocons qui se faisaient plus insistants au fur et à mesure de la journée.

Guay, rassuré par l'état de son dos, a franchi les 3312 mètres en 2:03,60 pour signer le huitième temps, à 2,48 du premier, le Suisse Didier Cuche. Des chronos à interpréter avec prudence puisque plusieurs skieurs se sont relevés avant la ligne, incluant Guay et Cuche.

Cela dit, le skieur de Mont-Tremblant, privé de course depuis le 19 décembre, sera encouragé par l'analyse des résultats. D'autant qu'en partant premier, il se lançait dans le vide puisqu'il ne bénéficiait d'aucun rapport de course des entraîneurs.

Guay, qui partira 18e pour le super-G vendredi, a été l'un des plus rapides dans la dernière section, enregistrant même la vitesse de pointe la plus élevée (133,6 km/h) avant la compression finale.

«J'y ai été assez mollo, a dit le Québécois au sujet du délicat enchaînement Mausefalle-Steilhang. J'étais debout, craintif un peu. Il n'y a pas d'endroits où j'ai bien skié, bien attaqué, où j'ai eu un bon feeling. Mais je ne me suis pas mal senti non plus. Je n'étais pas hors de contrôle, tout partout. La trajectoire était bonne. C'est plutôt la détermination avec laquelle j'attaque la piste (qui devra être améliorée).»

L'Autrichien Mario Scheiber, auteur du 12e temps, a pour sa part admis avoir perdu tout entrain après la chute de son compatriote Grugger. «Ma tête n'y était plus, a dit celui qui a fini deuxième à Kitzbühel en 2008. C'était très difficile pour moi et les autres skieurs. Hans est un ami et il a déjà subi beaucoup de blessures. La chose la plus importante était de se rendre en bas en santé. Surtout que je n'avais jamais vu la Streif dans des conditions si difficiles.»

Le Canadien Benjamin Thomsen, 37e, a pour sa part abordé sa première descente à Kitzbühel avec «beaucoup de plaisir». Avec toute l'impétuosité de ses 23 ans, la recrue a indiqué qu'il avait bien vu la chute de Grugger, mais que ça ne l'avait pas empêché d'y «aller fort» sur la Mausefalle. «Tu dois savoir que, oui, il y a des risques de tomber, a dit l'Albertain. Mais il y a des filets, ils te ramasseront...»