Le projet était pourtant séduisant: organiser une compétition de sauts en ski acrobatique sur une rampe artificielle érigée au centre-ville de Montréal, sur le campus de l'Université McGill. L'épreuve, prévue le 21 janvier, avait même été inscrite conditionnellement au calendrier de la Coupe du monde.

Après des mois d'études, de démarches administratives et de négociations avec les commanditaires, le projet a été annulé récemment, pour la prochaine année du moins. «La Ville de Montréal était prête à embarquer dans le cadre des fêtes du 375e anniversaire, a expliqué mercredi Bruce Robinson, président de Ski acrobatique Canada. Organiser une telle épreuve nécessite toutefois un budget de plusieurs millions et nous n'avons pas pu trouver les sommes nécessaires dans les délais prévus.»

Alors qu'une épreuve «normale» de Coupe du monde, sur un site déjà aménagé comme celui de Val Saint-Côme, par exemple, nécessite un budget d'environ 250 000 $, l'organisation d'une épreuve «en ville» exige au moins 10 fois plus en raison surtout de la construction d'une rampe artificielle. Les retombées sont toutefois aussi multipliées, comme on l'a vu à Pékin, à Moscou ou à Minsk (Biélorussie), où de telles compétitions ont été présentées.

«Nous étions rendus au point où il fallait amorcer les travaux préparatoires, a précisé Robinson. C'était malheureusement évident que nous ne pourrions boucler notre budget. Malgré les succès de nos athlètes, cela reste très difficile d'attirer les commanditaires et les réseaux de télévision, au Québec et dans le reste du Canada. Le problème est d'ailleurs le même pour toutes les autres disciplines hivernales, à l'exception du hockey et du curling.»

Selon le président de Ski acrobatique Canada, les deux épreuves de bosses organisées chaque année à Val Saint-Côme et à Calgary parviennent tout juste à équilibrer leurs budgets. 

«Une compétition à Montréal nous aurait certes permis d'obtenir beaucoup de visibilité, mais il n'était pas question de sacrifier l'avenir de notre sport pour un événement sans lendemain.»

Plusieurs s'interrogent justement sur l'avenir d'une discipline aussi technique que les sauts au moment où le ski acrobatique s'ouvre à la demi-lune, au slopestyle et au Big Air, des disciplines plus populaires auprès des jeunes.

«Je n'ai pas vraiment d'inquiétude pour les sauts, répond Robinson. Il y a de plus en plus d'athlètes au niveau international et la discipline est très populaire en Chine et en Asie, où auront lieu les prochains Jeux olympiques d'hiver. Au Canada, grâce notamment au travail de Nicolas Fontaine à Québec, nous avons une équipe compétitive et une relève très prometteuse.»

Fontaine, qui est responsable du Centre national d'entraînement de Lac-Beauport, confirme: «Nous n'avons jamais eu autant de jeunes sur les rampes d'eau. C'est évidemment plus difficile d'effectuer des sauts de façon sécuritaire à un jeune âge sur la neige et nous incitons de plus en plus les skieurs à pratiquer les bosses et les sauts le plus longtemps possible. Ils peuvent ainsi s'entraîner en sauts l'été et en bosses l'hiver. Quand ils sont prêts, nous les aidons à trouver leur spécialité.»

Fontaine avoue ne pas avoir été surpris par l'annulation de l'épreuve prévue à Montréal. «C'était un très beau projet, mais j'avais de la difficulté à croire qu'on puisse trouver les millions nécessaires. Je sais que les skieurs sont déçus - c'est toujours excitant de skier à la maison -, mais l'argent sera mieux utilisé.»

Déception chez les skieurs

Parmi les skieurs, la déception était effectivement vive, même si la plupart doutaient de la viabilité du projet. «J'en avais parlé avec Bruce Robinson cet été et l'idée m'avait vraiment emballé», a souligné Olivier Rochon, meilleur spécialiste québécois depuis plusieurs saisons. «J'ai participé à plusieurs compétitions du genre à l'étranger et elles rejoignent souvent un public plus large qui découvre ainsi notre sport. Cela aurait été formidable de skier à Montréal, devant nos familles et tous nos amis, mais je comprends que les coûts aient forcé l'annulation du projet pour cette année. L'idée est toutefois dans l'air et ce serait bien de la réaliser au cours des prochaines années.»

Mikaël Kingsbury, multiple champion de la Coupe du monde en bosses, côtoie régulièrement les sauteurs et partage leur déception. «Cela fait plusieurs années qu'il n'y a pas d'épreuve de sauts au Canada, alors que nous, nous pouvons skier chez nous à deux reprises. Les succès de l'équipe de bosses y sont peut-être pour quelque chose. Oli [Rochon] et Travis Gerrits ont toutefois les moyens pour gagner en Coupe du monde et il y a des jeunes qui arrivent derrière. Cela pourrait sûrement amener plus d'intérêt pour les sauts.»

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En 2018?

Il n'y aura donc pas d'épreuve de sauts au Canada encore cette saison. La dernière a été présentée en 2014, à Val Saint-Côme. Bruce Robinson et son équipe espèrent corriger cette situation bientôt, malgré l'annulation de l'épreuve prévue à Montréal le 21 janvier.

«Je sais que nos athlètes aiment se produire ici, devant leurs partisans et leurs proches, et nous travaillons vraiment à trouver une façon de ramener une épreuve au pays, explique le président de Ski acrobatique Canada. Nous avons des options à Val Saint-Côme, Mont Gabriel ou Calgary, entre autres, mais cela ne pourra se faire avant la saison 2017-2018.»

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Des épreuves à Québec

Il y a quand même de bonnes nouvelles en ski acrobatique. À Québec, les organisateurs du Snowboard Jamboree ont annoncé hier l'ajout au programme de l'événement de deux épreuves de Coupe du monde de ski acrobatique en slopestyle et en Big Air. Les Québécois Vincent Gagné (champion des X Games en 2016) et Kim Lamarre (médaillée de bronze à Sotchi) seront parmi les têtes d'affiche, alors que plusieurs athlètes de la relève auront une première chance de se frotter à l'élite.