Malgré les blessures, Karen Paquin sera du premier tournoi de rugby féminin à sept de l'histoire des Jeux olympiques. Rencontre.

Changement de trajectoire

À l'automne 2009, quand le rugby à sept a été introduit au programme des Jeux olympiques de Rio, Karen Paquin a fait un calcul rapide. Elle aurait 28 ans à l'été 2016. Autant dire beaucoup trop vieille. Bref, ce n'était pas pour elle.

«Ça te passe par l'esprit, mais tu te dis: "Bah! c'est pas possible", raconte Paquin au téléphone. Peut-être parce que j'imaginais les olympiens comme des demi-dieux ou quelque chose du genre. »

À l'époque, elle commençait sa troisième saison dans l'équipe de rugby à 15 du Rouge et Or de l'Université Laval. Elle était en plein milieu d'un baccalauréat en génie chimique.

Deux ans et demi plus tard, son diplôme en poche, elle a décroché un premier emploi comme ingénieure chimiste à l'usine plastique de Cascades à Kingsey Falls. Sur le plan sportif, un tournoi avec l'équipe canadienne de développement à Dubaï était resté sans suite.

Elle s'imaginait bien installée pour le reste de sa vie. L'été, elle continuerait à jouer pour le club de rugby de Québec. L'hiver, elle se consacrerait aux courses de canot à glace, son autre passion.

À l'été 2012, pour le plaisir, elle a participé aux Championnats canadiens avec l'équipe du Québec. Grande nouveauté, elle est passée des arrières à la troisième ligne avant, une position où elle pouvait mieux exprimer ses capacités physiques.

«Ça a l'air de rien, mais c'est un changement majeur dans une carrière de rugby. Au lieu de faire de grandes courses avec le ballon, tu fais beaucoup de travail en défense et tu cours partout sur le terrain. J'avoue que je ne savais pas trop ce que je faisais au début.»

L'entraîneur-chef de l'équipe canadienne à sept, John Tait, l'a pourtant remarquée. «Tu pouvais voir son potentiel. Elle est une coureuse très impliquée et agressive, tant avec que sans le ballon.»

Karen a obtenu ses congés et, sans trop y croire, s'est rendue à un camp de sélection en Colombie-Britannique. Quelques semaines plus tard, elle était l'une des 12 joueuses à prendre part à un tournoi continental de qualification pour la Coupe du monde de rugby à sept de 2013. Elle a joué un demi-match.

«J'ai scoré deux fois, relate-t-elle. La deuxième fois, en plongeant, je me suis blessée toute seule à l'oeil, assez gravement. Ridicule, mon affaire!»

Pas aux yeux de John Tait, impressionné par ce qu'il avait vu jusque-là. La nouvelle équipe canadienne de rugby à sept prenait forme en vue des JO de 2016. Et la vie de Karen Paquin était sur le point de changer.

L'occasion parfaite

À partir de janvier 2013, tous les membres de l'équipe canadienne de rugby à sept devaient s'installer au centre national de Victoria. Elles seraient près de 25 et la moitié d'entre elles pouvait espérer participer aux JO de Rio.

Pour Karen Paquin, cela voulait dire quitter famille et amis, son emploi permanent à Cascades et l'équipe de canot à glace qu'elle avait lancée cinq ans plus tôt.

«C'est déchirant, mais en même temps, je savais que je n'allais pas passer à côté d'une telle occasion», se souvient-elle.

Le rugby est entré dans sa vie quand elle avait 14 ans. Son entraîneur de volleyball à l'école secondaire lui a suggéré de se joindre à la nouvelle équipe de rugby. Il avait bien vu.

C'est l'aspect physique du rugby qui lui a tout de suite plu. «Ils ne sont pas si nombreux, les sports de contact pour les filles, relève-t-elle. Au volleyball, il y a un filet entre les deux équipes. Au soccer et au basketball, je n'arrêtais pas de rentrer dans le monde. J'aime ça, rentrer le monde, c'est le fun. Alors le rugby, ça correspondait plus à ma personnalité.»

Au cégep, Paquin a joué pour les Lions du collège Champlain-St. Lawrence. Au même moment, l'arrivée du rugby féminin à l'Université Laval a provoqué un véritable boom dans la région de Québec. Les équipes ont poussé comme des champignons dans les écoles secondaires. Paquin s'est mise au coaching.

«Tu découvres l'un des beaux côtés du sport, souligne l'athlète de 28 ans. Au rugby à 15, il y a une place pour chaque type de personne. Que tu sois grand, petit, fort, vite, il y a une position pour toi. C'est très inclusif.» Et très dur aussi.

Passion commune

Un pouce, un orteil, un métacarpe... Depuis son arrivée dans l'équipe canadienne, Karen Paquin s'est brisé en moyenne un os par année.

La dernière fracture est survenue en février lors du tournoi de São Paulo. En quart de finale, l'ailier s'est cassé la base du péroné. Sept semaines plus tard, Karen était de retour à la compétition au tournoi d'Atlanta. Elle est pourtant la seule Canadienne à avoir pris part aux 20 tournois des Séries mondiales depuis le lancement du circuit en 2012.

Karen soignait un pouce brisé lorsqu'elle a rencontré celui qui allait devenir son mari à l'été 2013. À son retour de la Coupe du monde de Moscou, elle a passé beaucoup de temps sur les lignes de côté au club de rugby de Québec. Julien Canet, un Français venu vivre une aventure au Canada, était alors entraîneur.

Quelques mois plus tard, Canet est allé rejoindre son amoureuse à Victoria. Ils se sont mariés l'été dernier à Saint-Jean-Port-Joli.

Il décrit sa femme comme un «diamant brut» qui, à force de travail, a développé son talent exceptionnel. «C'est une athlète très intense, souligne-t-il. Le rugby appelle cette agressivité dans les phases de collisions, de plaqués. Elle a aussi développé une grande vitesse de course, ce qui fait la différence dans le rugby à sept, la version plus allégée du sport.»

Canet est originaire d'un village près d'Agen, dans le sud de la France, où le rugby est roi. Karen Paquin a été témoin de cet engouement lorsqu'elle a visité sa belle-famille au lendemain de la Coupe du monde à 15 de Paris, en 2014, où le Canada a atteint la finale.

«Ça m'a un peu sauté au visage, à quel point c'était différent là-bas, dit-elle. Le rugby est vraiment une religion dans ce coin de la France.»

Aujourd'hui, Canet entraîne une nouvelle équipe féminine à Victoria. «On parle le même langage, dit Karen. Quand j'arrive le soir et que l'entraînement est bien ou mal allé, il me comprend. On partage la même passion.»

Elle n'a pas l'intention de s'arrêter après Rio. Elle veut être de l'aventure de la Coupe du monde à 15, en Irlande, l'an prochain. «Je veux vivre totalement ce que le sport professionnel a à offrir.»