Il y avait une Kazakhe, une Chinoise, une Bulgare... Il y avait une barre de métal et des kilos de fonte. Il y avait le silence dans l'aréna et, tout d'un coup, le bruit sourd d'une charge qui tombe sur le sol.

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Nous étions dans un bâtiment un peu vieillot. Ils n'auraient jamais osé présenter la précieuse natation entre des murs si modestes. Nous étions à Rio, mais en réalité nous étions à l'haltérophilie : au pays de la douleur.

Il y avait cet entraîneur kazakh qui sautait, moulinait les bras comme un furieux, dès que sa protégée réussissait une barre. Il y avait cette féroce Chinoise qui, après avoir failli s'autoguillotiner quand sa charge lui a échappé, est revenue gagner l'or comme si de rien n'était.

Et il y avait la Québécoise Marie-Ève Beauchemin-Nadeau, olympienne, médecin et haltérophile. Elle a fini neuvième. Elle était bien déçue. Mais s'ils donnaient des médailles pour ceux qui ont le plus ramé pour se rendre aux Jeux, elle serait repartie avec l'or.

« Les derniers quatre ans ont été extrêmement difficiles. Au moins une dizaine de fois, j'ai pensé que je ne me rendrais pas ici. »

L'athlète de 27 ans en était à ses deuxièmes Jeux. À Londres, elle avait aussi terminé huitième. Elle avait levé un total de 239 kg. Deux ans plus tard, aux Jeux du Commonwealth, l'haltérophile réussissait à lever 250 kg au total.

Alors bien sûr, elle s'est mise à rêver de faire mieux à ses seconds Jeux. Tout en s'entraînant, elle étudiait la médecine, faisait sa résidence, essayait de conjuguer les deux. Sauf que les blessures ont commencé à s'accumuler.

Elle fait de l'haltérophilie depuis 13 ans, et elle a dû se faire opérer quatre fois déjà. Mais dans les deux dernières années, la douleur est devenue une présence quotidienne.

« Je me suis entraînée beaucoup sur la douleur. Je n'aurais pas été censée faire ça si j'avais voulu la meilleure santé de genoux possible, a-t-elle admis hier après la compétition. Mais en même temps, j'avais des compétitions de qualification. Si je voulais me rendre ici, il fallait que je les passe. Alors il a fallu que je pousse. »

Pendant ces mois difficiles où elle tentait de se qualifier pour Rio, son chum a dû la « ramasser à la petite cuillère » souvent. Beauchemin-Nadeau a aussi beaucoup réfléchi à ce qu'elle était prête à faire pour l'haltérophilie.

« La limite, je la place entre ce qui est permanent et ce qui se guérit. Certains athlètes en haltérophilie se mettent à perdre du poids de façon excessive et endommagent de façon permanente leur métabolisme. Ils se mettent à risque de se faire des déchirures ligamentaires, déchirures de tendons... Ça, je ne suis pas prête à le faire. »

Mais vivre au quotidien avec la douleur, elle était prête. Elle l'a fait. Et elle s'est qualifiée.

Neuvième... en attendant

Hier à Rio, elle a réussi à soulever 228 kg (98 à l'arraché et 130 à l'épaulé-jeté). C'est moins qu'aux Jeux du Commonwealth il y a deux ans, et moins qu'à Londres il y a quatre ans. C'est pour ça qu'elle est déçue.

« J'avais fait de meilleures barres à l'entraînement. Habituellement, je suis capable de faire un peu mieux en compétition. Donc c'est assez décevant. C'est la plus grosse compétition, les Jeux. »

Elle finit neuvième au classement, « en attendant les tests antidopage », dit-elle. On dirait une blague, mais c'est très sérieux. Christine Girard avait fini troisième à Londres. Il y a quelques mois, un peu après que l'Agence mondiale antidopage a décidé de rouvrir les échantillons des derniers Jeux, elle a appris qu'elle finissait... première. Les deux filles devant elle s'étaient dopées.

Pour l'instant, donc, la victoire appartient à la Chinoise Yanmei Xiang, qui a soulevé 261 kg avec un aplomb désarmant. La Kazakhe Zhazira Zhapparkul a pris l'argent et l'Égyptienne Sara Ahmed, le bronze. C'était la première Égyptienne de l'histoire à finir sur un podium aux Jeux olympiques. Ahmed portait un hijab conçu spécialement pour le sport.

Maintenant, Beauchemin-Nadeau ne sait pas trop ce qui l'attend. Elle se prépare à déménager à London, en Ontario, pour suivre son conjoint qui commence une maîtrise en philosophie. Elle va pratiquer la médecine à temps partiel, va faire des cours de sciences sociales à distance avec la TÉLUQ. Et l'haltérophilie ?

« Je vais guérir mes bobos et je vais prendre une décision après. Si je ne suis pas capable de m'entraîner sans douleur, ça risque d'être la fin de ma carrière. »

« Mais si je suis capable de guérir mes genoux et mes hanches, j'aimerais beaucoup continuer de m'entraîner. J'adore l'haltérophilie. Ça fait 13 ans que je fais ce sport-là et ce n'est pas juste pour les Jeux. C'est aussi parce que j'adore ça. Je voudrais continuer. Mais il va falloir que je sois en santé. »

C'est peut-être la fin de la compétition, des Bulgares, des Kazakhes et des Chinoises pour elle. Mais Marie-Ève Beauchemin Nadeau espère que ce n'est pas la fin de la fonte. Elle espère que son corps suivra, qu'au pays de la douleur, il aura encore le dernier mot.