Une soeur, un frère et une tradition familiale tissée autour du canoë-kayak. Quarante ans après la participation de leur regretté père Jean Fournel aux Jeux olympiques de Montréal, Émilie et Hugues Fournel ont connu des destins opposés hier aux JO de Rio. Récit d'une journée forte en émotions.

« Je pense que c'est le moment le plus heureux de ma vie. » Invité de dernière minute, Hugues Fournel absorbait chaque seconde de sa deuxième expérience olympique. Avec son partenaire Ryan Cochrane, il venait d'atteindre la finale du K2 200 m. Le trémolo dans sa voix témoignait de l'ampleur de son bonheur.

Deux semaines et demie plus tôt, il ne pensait jamais être à Rio. La disqualification d'un équipage russe pour dopage et le refus de la Suède de prendre la place disponible ont ouvert la porte au Canada. Le 31 juillet, l'entraîneur Frédéric Jobin a fait venir le kayakiste dans un café de Québec. Le visage impassible, il lui a dit : « C'est toi qui y vas. »

Un peu plus et Fournel embrassait un couple d'inconnus à la table d'à côté : « Mon coach vient de m'annoncer que je vais aux Jeux olympiques ! »

Après un mois à faire mille et un sports sauf du kayak, une façon de surmonter le deuil de son élimination au printemps, Fournel s'est remis à pagayer sur les eaux du lac Beauport.

« On était super heureux, super positifs, dès la première journée, boum ! on s'est mis à réussir des choses qu'on ne croyait pas faire avant au moins trois ou quatre jours », a raconté Cochrane, originaire de la Nouvelle-Écosse.

Faire mieux qu'à Londres

Après un premier tour sans histoire (4e), le duo canadien a fait les frais de son manque d'entraînement à la fin de sa demi-finale. Il a tenu bon pour enregistrer le troisième temps derrière la Hongrie et la France. Ce matin, avec la seule finale à disputer, Fournel et Cochrane espèrent faire mieux que leur septième position de Londres, ce qui ne sera pas une mince tâche.

L'entrevue s'est terminée au moment où Émilie, la grande soeur d'Hugues, s'élançait pour sa propre vague demi-finale de K1 500 m. Il a suivi la course sur l'écran en compagnie des deux journalistes, enjoignant à sa soeur de rester patiente, de ne pas partir trop vite et de s'en tenir à son plan d'action. 

« Émilie, la patience, ce n'est pas sa plus grande qualité. Mais elle a travaillé tellement fort là-dessus, cette année. »

À 200 m, les choses se sont corsées. Hugues s'est accroché à la clôture et s'est mis à crier : « Come on, Mini, come on ! » Ça n'a pas passé. Incapable d'adapter sa technique au vent soufflant sur la lagune, la kayakiste de 29 ans a terminé huitième et dernière. Elle visait au moins la finale, voire une place parmi les six premières. Elle ne fera même pas la finale B. Une catastrophe. La mort dans l'âme, Hugues est redescendu vers le quai.

Émilie n'a pas eu la force de se lever pour s'extirper de son embarcation. Son frère et Cochrane l'ont prise dans leurs bras. Hugues lui a dit de rester fière, de penser au travail accompli au cours des quatre dernières années. Justement, c'est peut-être ce qui faisait si mal à la triple athlète olympique.

Un moment difficile

Seule représentante canadienne à Londres, Émilie s'était totalement engagée dans la relance du programme féminin. Quand le K4 ne s'est pas qualifié aux derniers Mondiaux, elle a viré sa vie à l'envers pour partir s'entraîner avec son frère et le groupe masculin de sprint en Floride et au lac Beauport.

Émilie retenait difficilement ses sanglots en répondant aux questions. « Dans la vie, je suis une personne optimiste et positive, mais j'ai vraiment de la misère à trouver du positif dans ce qui vient d'arriver », a-t-elle dit, encore à bout de souffle. 

« C'était beaucoup de travail, des mois loin de chez moi à recommencer du début. J'ai vraiment retourné toutes les roches, pensé aux détails, au moindre point que je pouvais améliorer en pensant que ça allait fonctionner. C'est pas mal difficile. »

Elle a parlé de coéquipières avec qui elle s'alignera en K4 vendredi, de ses larmes aux yeux quand elle les a vues sur la ligne de départ la veille au 200 m. « Quand je suis rembarquée dans un cycle olympique, je savais qu'il n'y avait pas juste moi qui étais capable de faire ça au Canada. Je fais ça pour moi, mais je le fais pour elles aussi. Pour toutes les petites filles au Canada qui s'assoient dans un kayak chaque été. »

«Je lui laisserais ma place»

Émilie cherchait des réponses, mais ne les trouvait pas. Pas tout de suite en tout cas. Sa mère l'attendait au bout de la zone mixte. Elle est tombée dans ses bras et a pleuré comme un bébé.

« C'est une claque », a admis l'entraîneur Frédéric Jobin en marchant vers la Maison du Canada une demi-heure plus tard. Avec son analyste de performance Mike Bawol, il tentait de comprendre ce qui venait de se passer. Les données indiquaient une fréquence idéale, mais la distance franchie par coup de pagaie a diminué au fil de la course. Peut-être ce vent, particulièrement dérangeant pour une athlète petite comme Émilie.

Celle-ci est arrivée un peu après à la Maison du Canada, retrouvant son chum, un ancien kayakiste suédois. Chaque fois qu'elle voyait un ami ou une connaissance, les larmes fusaient à nouveau.

Croisé à la sortie, Hugues n'avait plus le coeur à la fête. « Si c'était possible, je lui laisserais ma place en finale, a-t-il dit. Ma soeur, c'est tellement une athlète extraordinaire. » À lui maintenant de perpétuer la tradition familiale.