Fagner Dos Santos, itinérant depuis une dizaine d'années à Rio de Janeiro, est attablé pour son dîner. Au menu: osso buco et pommes de terre au beurre, puis glace italienne pour dessert.

M. Dos Santos, âgé de 33 ans, ne croyait pas pouvoir profiter ainsi des «retombées olympiques». Habituellement, il mange dans une soupe populaire ou, au pire, dans les poubelles. Mais grâce au chef italien Massimo Bottura, du restaurant Osteria Francescana, un trois étoiles Michelin à Modène, en Italie, la table quotidienne est maintenant beaucoup plus alléchante.

Le chef Bottura a créé le Refettorio Gastromotiva, une soupe populaire «haut de gamme» qui met à profit les produits non utilisés pour les quelque 60 000 repas préparés chaque jour à l'intention des athlètes des entraîneurs, des représentants et des membres du personnel des Jeux olympiques.

Devant les coûts astronomiques des Olympiques de Rio, soit plus de 12 milliards de dollars US, Massimo Bottura a voulu appliquer à la lettre l'un des thèmes de l'événement: l'environnement. Car 230 tonnes de nourriture sont offertes chaque jour dans les cantines olympiques, et une partie irait vraisemblablement aux ordures.

M. Bottura parle d'ailleurs d'un projet de société, pas d'un geste de charité. Il a tiré son inspiration des paroles du pape François et a adapté pour Rio ce qu'il avait déjà accompli l'an dernier dans un théâtre abandonné de Milan en marge de l'Exposition universelle. Au-delà du repas quotidien aux plus démunis, il souhaite surtout dénoncer le gaspillage alimentaire alors que 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde.

Ce message trouve aisément écho à Rio. Le Brésil est plongé dans sa plus grave récession depuis des décennies. En juin dernier, le gouvernement de l'État de Rio de Janeiro a dû fermer ou réduire, faute de ressources, 16 banques alimentaires ou soupes populaires. Et dans la grande fébrilité entourant les Jeux, les itinérants sont souvent laissés à eux-mêmes, voire déplacés par la police. C'est le cas notamment dans le quartier de Lapa, où est d'ailleurs installé le réfectoire du chef Bottura, sur un terrain vacant donné par la Ville.

Pour la durée des Jeux, Massimo Bottura a réuni un aréopage de chefs célèbres de Rio et du monde entier. À la fin des Jeux, le réfectoire deviendra un restaurant «classique» le midi. Les profits serviront toutefois à offrir des repas pour itinérants le soir venu.

Les itinérants invités à manger à la cantine de M. Bottura sont choisis par des organismes communautaires, comme celui qui vient en aide aux prostitués travestis de Lapa.

Les employés du réfectoire sont des diplômés de l'école de cuisine Gastromotiva, un organisme à but non lucratif qui a formé des centaines de cuisiniers issus des favelas pauvres du Brésil. Les serveurs, tablier bien mis, se déplacent prestement entre les jolies tables en bois. Ici, pas de plateaux en métal et de gobelets jetables, façon pénitencier, comme on en voit dans des soupes populaires tenues par l'État.

Plusieurs itinérants n'ont jamais aussi bien mangé qu'au Refettorio. Mais surtout, ils n'ont jamais été aussi bien reçus. «Être assis là, traité avec respect, d'égal à égal, je me dis que j'ai peut-être une chance de m'en sortir», confie Valdimir Faria.