Elle a été double championne du monde. Puis elle s'est mise à rêver aux Jeux, les a manqués de près, s'est remise en question, s'est dit que, peut-être, elle n'irait jamais. Mais voilà qu'à 31 ans, au crépuscule de sa carrière, la boxeuse Ariane Fortin s'apprête enfin à vivre son rêve olympique.

Des fins de semaine arrosées entre amis. Un côté un peu rebelle. Des clopes de temps en temps. Ariane Fortin a vécu les deux pieds dans son adolescence.

Puis, un beau jour d'été, à 16 ans, elle s'ennuyait. Il n'y avait pas d'école, que le vent du fleuve sur Saint-Nicolas, un ancien village devenu un quartier de Lévis. Elle est passée au dépanneur, s'est mise à scruter les trois rangées de «vieux VHS» qui faisaient office de club vidéo. Elle a opté pour Girlfight.

Le film primé met en vedette une jeune fille de Brooklyn qui choisit la boxe pour canaliser ses frustrations. Le sport intrigue Fortin. Elle a deux amis qui boxent chez les amateurs. Elle décide de s'inscrire à une leçon.

«C'est à un âge où tu veux te démarquer, être original. J'avais 16 ans, rappelle Fortin. L'héroïne est confiante, elle se fout un peu de tout le monde. À cet âge-là, je voulais être de même. C'est ça qui m'a attirée.»

Dans l'auto qui la mène au gymnase à son premier jour, elle est stressée. Elle se ronge les ongles. Elle ne sait pas trop dans quoi elle s'embarque. La boxe, finalement, allait changer sa vie. «Je pense que, peut-être, j'avais un pressentiment», dit-elle.

Ses parents au début ne sont pas certains. Sa mère émet des réserves. «Et mon père, lui, disait non surtout parce que ma mère disait non... Mais bien vite, ils ont vu que j'étais sérieuse.»

À l'époque, Ariane Fortin fume la cigarette. Mais à ses premiers entraînements de boxe, elle cherche son souffle. Deux mois après avoir commencé la boxe, elle livre son premier combat amateur. Elle stresse.

«J'ai réalisé que je n'aurais pas de cardio si je continuais à fumer. Alors j'ai arrêté de fumer.»

C'est comme ça qu'une ado de 16 ans de Québec a mis les pieds dans ce qui va devenir sa vie adulte. Sa vie de boxeuse.

Les choses vont vite pour elle dans ce sport émergent. Quatre ans plus tard, avec son entraîneur Benoît Martel, elle remporte la médaille d'argent aux championnats du monde. Elle est l'une des meilleures boxeuses du monde. Mais elle n'est pas encore satisfaite.

Quelques mois plus tard, l'entraîneur montréalais Mike Moffa reçoit un appel. Au bout du fil, Ariane Fortin lui demande une rencontre. Quand elle arrive devant lui, elle lui demande de devenir son entraîneur.

- Mais qu'est-ce que je peux faire de plus pour toi que Ben, qui t'a rendue vice-championne du monde? demande Moffa.

- Tu peux me rendre championne du monde, répond la boxeuse.

Moffa accepte de la prendre sous son aile. Elle déménage à Montréal, dans un demi-sous-sol de Villeray.

Aux Mondiaux de 2006, les suivants, elle remporte la médaille d'or. Elle répétera l'exploit en 2008.

Après Londres

Cette période de sa vie, celle juste avant les Jeux de Londres, Fortin assure l'avoir mise derrière elle. Elle lui a toutefois permis de tirer quelques leçons. «Quand je pense à ma carrière, les blessures physiques ne sont pas les pires», dit-elle.

Quand la boxe féminine a été admise aux Jeux, c'était d'abord l'euphorie pour les boxeuses. Elles ont un peu déchanté quand elles ont su qu'elles n'auraient droit qu'à trois catégories de poids, contre dix pour les hommes.

En clair, ça voulait dire que deux championnes du monde canadiennes se retrouveraient à se battre pour le même laissez-passer dans la même catégorie de poids. L'Ontarienne Mary Spencer avait été championne du monde à moins de 75 kg. Fortin l'avait été à moins de 70 kg.

Spencer a finalement gagné sa place aux Jeux en battant la Québécoise en janvier 2012 dans un combat serré. À Londres, l'Ontarienne s'est effondrée, perdant à son premier combat. Ariane Fortin, elle, a regardé le tout devant la télé, sur son sofa de Villeray.

Après les Jeux, elle se questionne sur son avenir dans la boxe. Veut-elle rester éternellement dans l'ombre de Spencer? Elle choisit d'essayer encore, de tout donner, histoire de ne pas avoir de regrets.

En octobre 2013, aux championnats canadiens, Fortin bat Spencer. Elle prend la première place dans sa catégorie de poids, les moins de 75 kg.

«J'ai vécu beaucoup de downs dans les dernières années. De réussir ce que j'ai réussi hier, ça confirme que ma décision de ne pas abandonner était la bonne», a déclaré Fortin au lendemain de sa victoire.

Depuis, elle a assuré sa place pour Rio avec de beaux résultats sur la scène mondiale. Le calibre en boxe féminine a beaucoup augmenté depuis que les pays - toujours en quête de médailles olympiques - ont commencé à investir massivement dans le sport. Mais Fortin est toujours là, parmi les meilleures.

«Les Jeux, c'est paradoxal, c'est drôle. C'est à la fois l'apogée de ma carrière, mais aussi un peu la fin. C'est un mélange d'émotions», dit la boxeuse de 31 ans, diplômée en langue française et qui entend se spécialiser en sténographie judiciaire.

La cerise sur le gâteau

Elle sait que ces Jeux seront ses premiers et ses derniers. Elle ne veut pas étirer la sauce. Elle boxe depuis 15 ans déjà.

«La boxe, c'est un gros risque pour notre santé. Moi, des fois je m'enfarge dans mes mots et je me demande si c'est ça. C'est un sujet qui est encore tabou dans la boxe.»

En obtenant sa place à Rio, Fortin a déjà réussi la plus grande victoire de sa carrière. «Mais je ne suis pas du genre à m'asseoir là-dessus. Je sais que je peux aller chercher une médaille. Je le sais.»

«En même temps, je pense que je ne dois pas définir ma carrière par la façon dont elle se termine. Je suis super fière de ce que j'ai accompli. En 2012, je me demandais si ma carrière n'était pas derrière moi. Là je sais qu'il me reste du beau devant moi. Les Jeux, c'est une belle cerise sur le gâteau.»