L'aventure a commencé par un bel après-midi d'été à l'île Sainte-Hélène. Elle s'est terminée 11 ans plus tard à la tombée du jour au complexe olympique de Rio de Janeiro. Chaque fois, des sourires, des pleurs et une médaille de bronze. Et surtout, entre les deux et au-delà, l'histoire d'une indéfectible amitié.

« Je t'aime », a glissé Roseline Filion à l'oreille de Meaghan Benfeito après leur cinquième et dernier plongeon, hier après-midi, en finale du 10 m synchro. Les deux se sont enlacées et ont attendu les résultats comme tout le monde, ignorant le sort qui les attendait.

« À ce moment-là, la médaille n'avait plus d'importance, parce qu'on était revenues à ce qu'on était à la base », racontera Filion une heure plus tard. À la base, elles sont les meilleures amies du monde.

Après ce qui leur a paru une éternité, le chiffre est apparu sur le tableau indicateur à l'autre extrémité du stade : « 3 ». Les Canadiennes étaient donc troisièmes, mais leurs entraîneurs les ont prévenues de ne pas célébrer trop vite. Les Britanniques, dernière équipe à s'exécuter, détenaient une priorité d'un point après la ronde précédente. Mais dès que Tonia Couch a raté son essai, tout le clan canadien s'est sauté dans les bras. Les cris ont retenti, les larmes ont coulé et le chef de mission Curt Harnett s'est mis à danser dans les gradins.

La fin d'un cycle

Après la déception au 3 m synchro deux jours plus tôt, cette médaille de bronze est un énorme soulagement pour l'ensemble de l'équipe. Pour Filion et Benfeito, elle est la conclusion logique de quatre années de dur travail et d'une complicité qui remonte au début de leur adolescence.

La fin de cette association sportive qui remonte aux Mondiaux de Montréal, en 2005, a particulièrement ému Filion, qui dispute ses troisièmes et derniers JO. Elle s'est retirée quelques secondes pour pleurer un coup lorsque les journalistes ont abordé le sujet.

« Ça fait 11 ans qu'on est ensemble et qu'on travaille fort. Je ne pouvais vraiment pas demander une meilleure partenaire. On se comprend sans avoir besoin de se parler », a dit Roseline Filion, au sujet de Meaghan Benfeito.

Benfeito, 27 ans, vise déjà un autre cycle olympique. Ça se fera donc sans son amie, qui est pratiquement devenue membre de sa grande famille montréalo-portugaise.

« C'est difficile de savoir qu'on ne plongera jamais plus ensemble, mais elle reste quelqu'un de très proche, a-t-elle confié. On a vécu tellement de choses ensemble, plein de médailles, plus de 11 ans d'amitié. Elle va rester dans ma vie de tous les jours. »

Cette complicité s'est manifestée dès le début de la première ronde à Rio. En s'avançant au bout de la plateforme, Filion a constaté que l'eau normalement bleue de la piscine avait pris une teinte verdâtre. Elle a failli s'étouffer de rire. En sortant du bassin, elle a dit à sa coéquipière : « Ferme tes yeux, ferme ta bouche, ça devrait être correct ! » Hilarité pour les deux.

« Je n'ai jamais vu ça, a raconté Filion. Mais on est arrivées ici en se préparant à l'inattendu. C'est vraiment ça. L'eau aurait pu être orange, jaune, verte, on s'en fout. Rien n'allait se mettre dans le chemin de notre performance. »

L'eau a continué de verdir à un rythme inquiétant. Apparemment un problème de filtreur brisé, mais rien de dangereux pour la santé, a expliqué le directeur technique de Plongeon Canada, Mitch Geller.

En fait, Filion et Benfeito ont même tourné ça à leur avantage. Toute la semaine à l'entraînement, elles ont éprouvé des difficultés à bien distinguer l'eau du ciel, d'un bleu identique. La couleur verte offrait un point de vue plus contrastant. Meaghan s'en est servi à son quatrième essai, le trois et demi arrière, une figure délicate qui peut facilement virer à la catastrophe.

« C'est le plongeon que je n'aime pas, a-t-elle admis. J'ai un peu dépassé la verticale, mais c'est l'un des meilleurs que j'ai faits cette semaine. »

Le duo canadien était alors cinquième, mais a profité de la déconfiture des Coréennes et des Britanniques pour se faufiler jusqu'au bronze. La Chinoise Chen Ruolin, avec sa nouvelle partenaire Liu Huixia, a remporté une troisième médaille d'or consécutive dans la discipline. Les Malaisiennes Cheong Jun Hoong et Pamg Pandelela Rinong ont gagné l'argent.

Saison difficile

Vice-championnes du monde en titre, les deux plongeuses canadiennes visaient aussi l'argent à Rio. Mais après une saison difficile, marquée par une fracture d'un pied de Filion en décembre, la couleur n'avait plus vraiment d'importance.

« On a eu de bons résultats, mais ç'a été extrêmement difficile au niveau psychologique. Ç'a été une année vraiment rocambolesque, de hauts et de bas, de remises en question, d'inquiétudes. »

Les deux athlètes ont convenu que cette médaille de bronze avait plus de valeur que celle de Londres en 2012. À l'époque, Filion pensait en avoir fini avec son sport. Une nouvelle association avec l'entraîneur Arturo Miranda et une équipe complète de soutien intégré a relancé les deux athlètes.

Benfeito a d'ailleurs pensé à Miranda, un entraîneur dur et intransigeant, avant de monter sur le podium. « Ç'a été difficile, mais c'est vraiment grâce à lui qu'on est montées sur le podium encore une fois. »

Ça n'a pas empêché les deux médaillées de bronze de sauter dans les bras de leur ancien entraîneur César Henderson. Hier soir à Rio, toute la famille du plongeon était en fête.