« Il fallait taper fort, mais ça fait des dégâts », a expliqué le président de la Fédération internationale d'aviron, le Français Jean-Christophe Rolland, justifiant le choix de la FISA de déclarer inéligibles 22 des 28 rameurs russes pour les Jeux olympiques de Rio (5-21 août).

Sur ces 22 rameurs, 19 ont été suspendus pour ne pas avoir suffisamment été contrôlés à l'étranger, même si l'on « ne peut absolument pas dire que ces rameurs sont dopés », a précisé Rolland, alors que le juriste canadien Richard McLaren a révélé l'existence d'un système de dopage d'État dans le sport russe.

Q : La FISA a été l'une des fédérations les plus sévères avec la Russie. L'aviron est-il plus concerné que les autres disciplines ?

R : « En aviron, on a toujours été moteur sur l'antidopage, avec notamment des contrôles hors compétition dès 1983. Jusqu'à l'entrée en vigueur du Code mondial antidopage, un rameur était radié à vie au premier contrôle positif. On est traditionnellement dur. »

Q : Comment a procédé la FISA dans le cas des rameurs russes ?

R : « Nous nous sommes basés sur les règles antidopage et les critères établis par le CIO. On a essayé de les appliquer de la manière la plus rationnelle possible en fixant un minimum de trois contrôles à l'étranger pour chaque rameur. On a vérifié les contrôles un par un sur les 18 derniers mois et éliminé tous ceux réalisés à Moscou (ce qui a conduit à l'inéligibilité de 19 rameurs), sachant qu'en aviron on n'est pas à l'étranger toute l'année. »

Q : Ne craignez-vous pas des amalgames, que l'on pense que tous les rameurs russes inéligibles sont dopés ?

R : « Il fallait taper fort. On a tapé fort, mais cela fait des dégâts, parce que l'on ne peut absolument pas dire que les rameurs inéligibles sont dopés. Absolument pas. Il y a des fédérations qui n'ont pas mis le curseur au même endroit. Je ne crie pas victoire, mais on a pris nos responsabilités, peut-être plus que d'autres fédérations. »

Q : Y a-t-il déjà des réactions de la part d'athlètes russes ?

R : « Je m'attends à des recours juridiques, c'est sûr. Pour l'instant, je reçois des messages d'insulte d'athlètes russes, mais j'ai envie de leur dire : "Ce n'est pas contre la FISA qu'il faut se révolter ! C'est contre le système, contre votre ministre des Sports." Les Russes doivent faire le ménage chez eux. »

Q : Comment jugez-vous la position du CIO qui a renvoyé aux fédérations la responsabilité d'effectuer ce tri, difficile, et forcément réalisé de manière dissemblable ?

R : « La décision du CIO a été perçue négativement. Mais quand on regarde de près, ligne par ligne, le CIO a décidé de renverser le principe de présomption d'innocence et ça c'est une décision importante. La Russie avait mis en place un système de dopage d'État inacceptable qui justifie ce renversement. Ensuite, le CIO a dit à chaque fédération, avec ses spécificités, de vérifier si les Russes satisfont aux conditions d'éligibilité. Avec, en dernier recours, la possibilité pour le CIO de revenir sur une sélection. »

Q : Quelle est votre analyse, dans votre sport, de l'ampleur du dopage en Russie ?

R : « Veniamin Bout, le président de la fédération russe, a vraiment voulu changer les choses lors de son élection en 2013. Il était résolu à lutter contre le dopage. Il a engagé un entraîneur canadien, qui a écrit à la FISA après notre décision pour dire que, depuis quatre ans, ses gars travaillaient dur et qu'ils ne les avaient jamais vus prendre un produit. J'aimerais vraiment que le monde sportif ne stigmatise pas les Russes. Les plus grosses critiques viennent de pays anglo-saxons, mais je ne suis pas sûr que ces pays font chez eux ce qu'ils exigent des autres. Si une rameuse déclarée aujourd'hui inéligible parce qu'il y a dix ans elle a reçu une perfusion de produit réhydratant (méthode interdite pour laquelle la fédération russe avait été sanctionnée en 2007) vient me voir et me demande "Vous m'écartez, mais qu'arrive-t-il à Gatlin ?", je ne saurai pas quoi lui répondre. Les donneurs de leçon me dérangent. »

- Propos recueillis par Françoise CHAPTAL