La brume tombait comme à Oslo en 2011 quand il a gagné son premier titre mondial. Ils n'étaient plus que quatre pour la médaille de bronze, samedi après-midi (heure locale). Deux Norvégiens, un Russe et Alex Harvey, qui skiait le dernier kilomètre de sa carrière aux Jeux olympiques.

Juste avant la crête de la dernière montée, que l'on pouvait apercevoir depuis le stade Alpensia, Andrey Larkov s'est légèrement détaché. Sur les traces de Martin Johnsrud Sundby, Harvey a vite compris : « C'était le podium qui partait. »

Ce podium dont il faisait non pas une obsession, mais une destination ultime qui motivait ses longues heures sur les skis depuis qu'il est petit.

Le champion mondial n'avait plus qu'à se battre pour la quatrième place. Il a pioché furieusement, jetant sa bottine gauche sur la ligne pour devancer Sundby d'un dixième, avec un temps de 2:11;05,7.  

Avec deux Russes sur le podium, et à la lumière de ce qui s'est passé quatre ans plus tôt à Sotchi, qui sait ce que cet effort pour l'honneur pourra lui valoir un jour.

À ce moment précis, Harvey n'avait plus la force de penser. « Je n'étais juste plus trop là ben ben. » Tandis qu'il recevait les félicitations de ses entraîneurs et de ses techniciens, la réalité l'a rattrapé quelques minutes plus tard. Il venait de réussir sa plus belle course à vie aux Jeux olympiques, mais elle ne le menait qu'au pied du podium. La plus grande déception de sa carrière.

« Crève-coeur », a convenu l'athlète de 29 ans en arrivant devant les journalistes de la presse écrite. « Quatrième, c'est la position la plus dure. Quand on avait fini quatrièmes à Vancouver [au sprint par équipes], c'étaient mes premiers Jeux, j'avais 21 ans et il n'y avait pas véritablement d'attentes sur nous. C'était quasiment comme une médaille d'or, tandis que là, ce n'est pas le cas. »

Comme prévu... ou presque

Derrière ses lunettes à monture rouge, il semblait ému. La gorge était serrée, les réponses plus courtes. Ce 50 kilomètres classique s'était déroulé exactement comme il l'avait prévu la veille. Le Finlandais Iivo Niskanen a rapidement durci le tempo avant de s'envoler dans une montée vers le 18e km, suivi du Kazakh Alexey Poltoranin, l'autre grand spécialiste du classique. Le Norvégien Niklas Dyrhaug s'est joint à eux, avant d'être éjecté deux kilomètres plus loin, victime de surchauffe. Le rythme était déjà effréné, ça serrait les dents derrière.

Harvey s'est intégré au groupe des principaux prétendants : les Norvégiens Sundby, Dyrhaug et Hans Christer Holund, le jeune Russe Alexander Bolshunov et le champion suisse Dario Cologna, premier à lâcher prise.

Après un changement de skis hors séquence par rapport à ses rivaux, Bolshunov s'est envolé pour revenir d'abord sur Poltoranin et ensuite sur Niskanen. Le podium semblait réglé, mais le Kazakh a commencé à se désintégrer vers le 30e km. Son avance sur le groupe de Harvey est passée de 1 min 15 s à une poignée de secondes. L'espoir renaissait. Avec six kilomètres à faire, Poltoranin a rendu les armes.

Après avoir changé de skis dans le dernier tour, Niskaken a réussi à reprendre Bolshunov et à le larguer avant l'arrivée. Le Finlandais s'est imposé en 2:08:22, avec un écart de 18 secondes sur le Russe médaillé d'argent.

Derrière, Harvey s'est retrouvé quatrième de son groupe dans le faux plat montant avant le dernier mur. « Les gars étaient un peu plus forts que moi aujourd'hui en double poussée, a-t-il analysé. Mais j'avais une super bonne adhérence en montée et une super bonne glisse. C'est en double poussée qu'il me manquait un peu de force dans les bras pour poursuivre l'attaque, alors ça a juste étiré un peu. Ensuite, j'ai essayé de revenir dans la grosse montée, mais Larkov avait mis quelques mètres sur nous et c'était ça. »

Après s'être précipité du studio où il décrivait la course, Pierre Harvey a pris son fils dans ses bras. Il pleurait. Alex aussi. Les quatre journalistes québécois se sont reculés un peu. L'étreinte a duré une trentaine de secondes.

« Tu as fait une maudite belle course. Tu as battu tous les Norvégiens, je sais que ce n'est pas assez, mais c'est bon. Tu as travaillé en tout cas. Je le voyais dans ta face comment c'était dur à la fin. »

- Pierre Harvey à son fils

Pierre a poursuivi : « Câline, la dernière montée, le dernier kick, je savais, je disais : ils se battent pour la médaille de bronze. Ils sont quatre, il y en a un dans la gang... De toute façon, on s'en fiche de la médaille. On le sait que t'es bon. »

Huitième, septième et huitième avant le 50 km, Alex Harvey avait gardé le meilleur pour la fin aux Jeux olympiques de PyeongChang. Mais cette quatrième place lui restera sur le coeur à jamais.

« Je ne pense pas que je vais pouvoir la digérer. Pour moi, il n'y a pas de regrets, mais il faut juste accepter que c'est la vie, que c'est le sport. Ça prend quelqu'un qui finit quatrième. »