Peu avant la compétition, le ciel bleu s'est soudainement couvert de nuages, la température s'est refroidie de quelques degrés. Sébastien Toutant a changé le verre de sa lunette pour mieux voir. La météo lui importait peu : il se sentait prêt. Du haut de la rampe de 49 mètres, il a regardé le tremplin. Un brin nerveux, il a frappé ses poings l'une sur l'autre, deux fois. Puis, il a filé à 70 km/h sur sa planche, propulsé comme un projectile dans les airs vers sa première médaille d'or à vie en big air.

« Je suis vraiment content. C'est ma première médaille d'or et je la gagne ici aux Olympiques. Je ne le réalise pas encore, peut-être dans quelques heures », a-t-il dit aux journalistes qui l'attendaient en bas de la piste. Dans une finale au dénouement inattendu, le Québécois de 25 ans est devenu, vendredi soir, le premier champion de big air de l'histoire olympique. « Je vais continuer de faire des films, de participer à des compétitions. Mais c'est sûr que ça aura un gros impact pour moi, pour mes nouveaux projets. Je veux que le sport continue de bien évoluer et ma parole aura plus de poids. »

Déjà très connu dans le milieu du surf des neiges - il est suivi par plus de 200 000 fans sur Instagram -, Toutant a vu sa popularité monter d'un cran, gagner le grand public vendredi soir. Les médias de partout faisaient la queue pour l'interviewer. Le drapeau du Canada sur le dos, il a pris le temps de s'arrêter, s'exprimant généreusement encore et encore, tout en prenant la pose pour des bénévoles qui souhaitaient prendre un égo-portrait en sa compagnie. Dans les gradins, des admirateurs criaient son nom. « Je veux essayer de savourer chaque moment », a-t-il dit, avec un sourire qui ne l'a plus quitté.

Le big air, nouvelle épreuve au programme olympique cette année, était un des évènements les plus attendus des Jeux. Dans cette discipline phare du surf des neiges, les planchistes, presque tous des professionnels, rivalisent de créativité et d'audace pour réaliser des prouesses aériennes risquées, spectaculaires. Les gradins étaient bondés, animés, vendredi.

Spécialiste de slopestyle, Toutant ne faisait pas partie des favoris. « En big air, le niveau de difficulté est de plus en plus élevé, a-t-il dit. C'est pour ça que je suis si content de la façon dont j'ai descendu aujourd'hui. Je ne me suis pas attardé à la météo, à ce qu'il y avait autour. Des fois, ça te joue dans la tête. J'étais stressé, mais concentré. »

Après un début de saison difficile, cette victoire survient comme un cadeau pour le planchiste de l'Assomption. Six fois médaillé aux X-Games, il peinait à retrouver ses repères, n'arrivait plus à monter sur le podium. Il avait cette blessure au dos qu'il traînait comme un boulet. De novembre à la fin janvier, il a à peine touché à sa planche, a raté plusieurs compétitions. « Il y a quelques mois, je ne pouvais même pas descendre sur ma planche, j'avais trop mal au dos, un disque compressé. C'est la saison pendant laquelle j'ai le moins ridé. J'ai appris de cette blessure, je suis plus fort. »

Vendredi soir, Toutant a senti que tous les morceaux étaient en place. « Mon corps était bien, la douleur était partie, ma tête était claire. Je pouvais me concentrer sur ce que j'avais à faire. » Après avoir fini 11e du slopestyle la semaine dernière (et 9e à Sotchi en 2014), il a su utiliser sa déception comme motivation, a-t-il ajouté. « Je voulais simplement réussir mes manoeuvres, peu importe mon résultat. Et j'ai fini premier. C'est un grand jour pour moi, un grand jour pour le snowboard. »

Les douze finalistes avaient droit à trois essais, les deux meilleurs résultats comptant pour la note finale. Il a réussi ses deux premiers sauts (un cab triple cork 1620 et un back side 1620 triple cork) et pris la tête (avec 174,25 points). « Mon premier saut aurait pu être mieux, mais je suis content d'avoir atterri. Plusieurs gars sont tombés. Le deuxième saut m'a permis d'augmenter mon score. Je crois que ça a mis de la pression sur les autres. Il devaient faire des gros sauts pour viser le podium », a-t-il expliqué.

Avant de célébrer sa victoire, celui que l'on surnomme « Seb Toots » devait néanmoins attendre que les derniers planchistes s'exécutent. « C'était très stressant de les voir tenter leurs manoeuvres. Je ne leur souhaitais aucune malchance. Ils sont tous mes amis, mais je voulais l'or. Je vais célébrer à la maison avec ma famille, ma blonde, mes amis. J'ai déjà hâte de recommencer, je suis un passionné. »

« Ce n'est pas une surprise, Seb a toujours eu des trucs propices à une victoire. Avec l'âge, le manque de constance devient normal, mais il est un rider naturel, très talentueux. Il a travaillé fort toute sa vie. Il a eu une belle carrière, a battu plusieurs records. Cette victoire est magique », a dit l'entraîneur Maxime Hénault, qui le conseille sur trampoline et coussin d'air chez Maximise, à Sainte-Agathe-des-Monts.

Avec cette première médaille d'or olympique, Sébastien Toutant peut mesurer tout le chemin parcouru depuis ses débuts il y a 12 ans. En 2006, il avait causé la surprise en enlevant le titre de l'Empire Shakedown à Saint-Sauveur... à 13 ans !