Difficile de trouver façon plus satisfaisante de savourer une médaille d'or. Le Néerlandais Sven Kramer avait encore cinq tours à franchir, mais il était clair qu'il ne parviendrait pas à rattraper le temps de Ted-Jan Bloemen, qui avait établi un record olympique dans la vague précédente.

Au milieu de l'anneau, les membres du personnel de l'équipe canadienne ont commencé à pleurer. L'entraîneur Bart Schouten a attendu quelques secondes avant d'enlacer son protégé. Bloemen a dû s'asseoir sur un coussin en bordure de glace. Il n'a pas retenu ses larmes. Pendant plus de deux minutes, il a savouré l'idée qu'il deviendrait champion olympique du 10 000 m, l'épreuve révérée aux Pays-Bas, son pays d'origine.

Mais depuis son arrivée à Calgary il y a quatre ans, Bloemen est canadien. Et c'est un drapeau unifolié que le patineur de 31 ans a agité autour de l'ovale de Gangneung, jeudi soir.

«J'avais un rêve, a rappelé Bloemen quelques minutes plus tard. Au plus profond de moi-même, j'ai toujours pensé que je pouvais faire quelque chose de spécial sur la glace. Mais je n'ai jamais été en mesure de le démontrer.»

Médaillé d'argent au 5000 m dimanche, Bloemen avait deux rivaux de taille à affronter sur la plus longue distance. Déjà vainqueur sur 5000 m, le quintuple champion mondial Kramer ciblait un premier titre olympique sur 10 000 m, lui dont la disqualification cruelle à Vancouver en 2010 est restée dans les annales (son coach lui avait indiqué le mauvais couloir). Jorrit Bergsma, un autre Néerlandais, visait pour sa part une deuxième médaille d'or après celle de Sotchi.

Bergsma a d'ailleurs annoncé la couleur en améliorant son propre record olympique (12 min 41,98 s) juste avant que Bloemen ne saute en piste. La pression était forte.

«Bergsma a patiné tellement une belle course, il ne semblait y avoir pratiquement aucune place pour le battre, a souligné Schouten. C'est dur mentalement pour Ted et le coach. On a fait contact avec les yeux, on a parlé et je lui ai levé le pouce. Il a hoché la tête vers moi... mais tu ne sais jamais.»

Auteur d'un départ un peu trop ambitieux dimanche, Bloemen est parti à un rythme relativement conservateur sur les 6000 premiers mètres, avant d'appuyer sur l'accélérateur et de frôler les 30 s ou mieux à chacune des boucles suivantes. À l'arrivée, il a battu Bergsma par 2,21 s. En voyant son temps de 12 min 39,77 s, il a levé les bras et éclaté de joie.

«J'ai seulement exécuté mon plan et je m'y suis accroché jusqu'à la fin, a dit Bloemen. C'était une course difficile, mais je m'en suis tenu à mon plan. C'était assez, c'était parfait.»

Le Canadien pensait que ça pouvait tenir la route, mais Kramer est un champion d'exception. Or il n'a fait illusion que dans le premier tiers de la course avant de graduellement s'effondrer. «Il se sentait battu, on pouvait le voir dans son patinage et son langage corporel, a souligné Schouten. Après cinq ou six tours, il a réalisé qu'il ne l'avait pas en lui. Quand tu veux gagner et que ça n'arrive pas, c'est dur. La seule chose qu'il voulait, c'est l'or. Il était invincible et Ted vient juste de le battre. C'est énorme.»

Kramer a terminé sixième, à plus de 20 secondes de Bloemen et tout juste derrière le Canadien Jordan Belchos, qui a réalisé la course de sa vie. Bergsma a gagné l'argent, tandis que le petit Italien Nicola Tumolero (12 min 54,32 s), peut-être l'homme le plus heureux et le plus surpris dans la place, a cueilli un bronze inespéré.

Comme dimanche, Bloemen a exprimé toute sa reconnaissance pour l'accueil qu'il a reçu au Canada, malgré la «petite réputation» qu'il traînait, comme a dit Schouten.

«Je sentais que j'avais frappé un mur dans ma carrière, a rappelé Bloemen, dont le père est né au Canada. J'ai trouvé cette différente façon de faire et j'ai reçu beaucoup plus que ce que j'aurais pu espérer.»

Bloemen est devenu le premier champion olympique individuel chez les hommes depuis Gaétan Boucher, en 1984. «Il était à peu près temps!», a blagué le quadruple médaillé olympique, qui a décrit la course sur place pour Radio-Canada.

«Je suis content que ce soit dans les longues distances, a-t-il repris plus sérieusement. On n'a pas tant de tradition dans ces distances. On a eu de bons patineurs - mes chums étaient dans les longues distances - mais il n'y en a pas qui ont gagné, tandis qu'on a en eu plusieurs dans le sprint.»

Un seul autre Canadien est monté sur le podium olympique au 10 000 m. Frank Stack avait gagné le bronze à Lake Placid en 1932, là où tout a commencé pour Boucher 48 ans plus tard.

Ivanie Blondin tentera de poursuivre sur la lancée de Bloemen en s'alignant sur 5000 m vendredi. L'athlète d'Ottawa avait remporté le bronze aux Mondiaux sur la même glace l'an dernier.