Christiane Ayotte est déçue, mais pas surprise de la décision du Tribunal arbitral du sport, jeudi, d'annuler la suspension à vie imposée par le Comité international olympique à 28 athlètes russes pour dopage aux Jeux d'hiver de 2014.

Ces athlètes - 11 ont par ailleurs vu leur suspension maintenue par le tribunal basé à Lausanne, en Suisse - pourraient ainsi participer aux Jeux olympiques de PyeongChang, qui se mettront en branle le 9 février.

«Les détails de la décision ne sont pas encore disponibles, mais après la mise en place par le CIO d'enquêtes sur une base individuelle sur certains athlètes - à la suite de l'enquête de (Richard) McLaren au sujet du dopage érigé en système en Russie - (...) le TAS a jugé qu'il n'y avait pas de preuve suffisante pour sanctionner (ces athlètes)», a déclaré la directrice du laboratoire de contrôle de dopage du Centre INRS de l'Institut Armand-Frappier au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse canadienne.

«N'importe quel athlète - Russes inclus - a droit après un test positif de porter la décision en appel devant le TAS, a aussi rappelé Mme Ayotte. La décision a été basée sur les preuves apportées par le CIO. (Le TAS) a entendu McLaren et (le dénonciateur Grigory) Rodchenkov. La différence ici, c'est que lorsque McLaren a fait enquête, il regardait la triche en Russie de façon globale. (...) Il avait bien dit que sur une base individuelle, les éléments de preuves qu'il avait pourraient ne pas être suffisants pour que l'athlète soit trouvé coupable. C'est probablement ce qui est arrivé.»

«Cela ne signifie pas que ces 28 athlètes soient innocents, mais que dans leur cas, en raison de preuves insuffisantes, leur appel est maintenu, les sanctions annulées et leurs résultats obtenus à Sotchi sont rétablis», a indiqué le secrétaire général du TAS, Matthieu Reeb, à PyeongChang.

Le CIO dit avoir pris note de la décision du TAS avec à la fois satisfaction et déception, ajoutant qu'elle pourrait «avoir une sérieuse incidence sur l'avenir de la lutte au dopage».

Du côté de l'Agence mondiale antidopage (AMA), cette décision a été accueillie «avec grande préoccupation». Elle estime qu'elle est «de nature à causer de l'incompréhension et de la frustration chez les sportifs».

«Malheureusement, ça a peut-être à voir avec la stratégie adoptée par le CIO, note Mme Ayotte. En comparaison, le Comité international paralympique (CIP) a décidé de ne pas regarder ça sur une base individuelle et a banni toute la délégation russe pour Rio de Janeiro et a fait de même pour PyeongChang.

«Quand les Russes se sont présentés devant le TAS pour contester cette suspension, le tribunal a reconnu que le CIP avait le droit de suspendre tout le monde, car il semblait y avoir un système généralisé et que les arguments présentés par McLaren pouvaient jeter un doute sur tous les athlètes. Le CIO a refusé de faire ça. À Rio, il s'est même entêté et déclenché une guerre avec l'Agence mondial antidopage (AMA) qui a duré pendant des mois. Après cela, il a décidé de former ses propres commissions.

«Même les Russes avaient droit à une défense pleine et entière. (...) Quand nous aurons la décision, nous pourrons voir où il y avait un manque. On peut présumer que les preuves colligées par McLaren ne permettaient pas d'attaquer individuellement des athlètes. Ce sont les Jeux qui vont encore en souffrir.»

Bien que le CIO ait indiqué que cette décision ne garantissait pas une invitation à ces 28 athlètes, la Russie compte utiliser tous les moyens à sa disposition pour qu'ils y soient.

«Si le CIO ne les accepte pas, nous allons porter ces dossiers devant le TAS et les autres instances légales», a fait savoir le vice-premier ministre de la Russie, Vitali Moutko.

Médailles retrouvées

Ce jugement du TAS fera en sorte que sept médaillés russes de Sotchi retrouveront leur récompense, dont les médaillés d'or du skeleton et du 50 km en ski de fond.

«Il s'agit d'une énorme victoire pour ces athlètes, a admis leur avocat Philippe Bartsche à l'Associated Press. Cela confirme ce qu'ils disent depuis le jour 1, c'est-à-dire qu'ils sont et ont toujours été des athlètes propres, sanctionnés à tort sans aucune preuve.»

Le lugeur canadien Sam Edney voit ça d'un tout autre oeil.

Edney et ses coéquipiers avaient terminé en quatrième place à l'épreuve par équipe à Sotchi. Toutefois, en décembre ils ont été informés qu'ils se verraient probablement octroyer une médaille de bronze après que les Russes Albert Demchenko et Tatiana Ivanova eurent été accusés de dopage et disqualifiés. Demchenko et Ivanova font partie du groupe de 28 athlètes touchés par le verdict du TAS.

Consterné par cette décision, Edney s'en est pris au TAS sur son compte Twitter.

«Plus que tout, il s'agit d'un jour très sombre pour les Olympiques, a-t-il écrit. Il s'agit aussi d'un jour très, très, très sombre pour le sport propre, si un tel concept existe toujours.

«(J'ai) peur que ce pourrait être le début de la fin pour les Olympiques... si le CIO laisse passer celle-là, a ajouté Edney. Les athlètes propres doivent parler plus fort et demander une place juste pour compétitionner.»

Mme Ayotte se réjouit de ce coup de gueule d'Edney, mais voudrait que les athlètes dénoncent davantage ces situations.

«Malheureusement, on ne les entend pas souvent les athlètes. Ils semblent regarder ce qui se passe et rester un peu en retrait. (...) Je rêve du jour où il y aura une finale comprenant huit athlètes, dont trois Russes, où les cinq autres s'assoient et refusent d'y aller. Ce serait une démonstration importante et il faudra un jour que les athlètes prennent une décision.»

Le CIO a invité 169 athlètes à concourir sous drapeau neutre aux Jeux de PyeongChang. Il pourrait toutefois être forcé d'accueillir des athlètes qu'il estime dopés en raison de cette décision rendue à huit jours de la cérémonie d'ouverture.

«Nous espérons qu'ils seront invités par le CIO, a déclaré Baertsche. C'est le moins qu'il puisse faire. Nous allons exiger qu'ils soient admis et selon la réponse que nous recevrons, nous prendrons des moyens appropriés.»