En 2010, à Vancouver, ils étaient nombreux à penser que Marianne St-Gelais et Charles Hamelin ne vivaient qu'une idylle olympique. Aujourd'hui, les deux patineurs rêvent de mariage, de bébés et de quelques soirées mémorables aux Jeux de PyeongChang. Entrevues (en deux temps) avec le super couple du patinage canadien.

«Les Olympiques, ce n'est jamais une compétition ordinaire...»

Le couple St-Gelais/Hamelin a déjà imaginé le moment. Le 22 février, à l'aréna olympique de Gangneung, Charles gagnera la finale du 500 m, comme à Vancouver huit ans plus tôt. Pour son tour d'honneur, pas question cependant de s'arrêter embrasser Marianne.

Celle-ci sera alors dans sa bulle, dans le vestiaire ou sur le bord de la patinoire, se concentrant sur sa propre finale du 1000 m, peu importe le sort de son amoureux. Avec son spécialiste en préparation mentale, elle s'y attelle depuis deux saisons en ne suivant plus les courses de Charles.

«Je me suis rendu compte que j'étais trop intense, explique Marianne. J'encourage Charles et après, je suis fatiguée, je n'ai plus de jus, j'ai la patate qui saute. Ça n'a pas de bon sens.»

Dans un monde idéal, après un podium de St-Gelais, les hommes sauteraient sur la glace pour reconquérir la médaille d'or au relais pour une conclusion en apothéose.

«Mais les Jeux olympiques, prévient Charles Hamelin, ce n'est jamais une compétition ordinaire...»

À ses premiers JO, à Turin, en 2006, Hamelin avait 21 ans et aucun poil au menton. Il était timide, la vue d'une caméra le terrorisait. Médaillé d'argent au relais, il avait atteint la finale du 1500 m, terminant quatrième à la suite d'une manoeuvre téméraire d'un rival chinois qui a été disqualifié.

Près de 12 ans plus tard, St-Gelais s'enflamme encore lorsqu'elle parle de cette course, son plus vieux souvenir olympique. Elle avait 15 ans et suivait l'événement de son salon à Saint-Félicien : « Je ne savais pas c'était qui, Charles Hamelin. »

Elle a appris à le connaître l'automne suivant lors d'une compétition à Calgary. Il était assis seul dans le hall de l'hôtel quand elle l'a abordé la première fois. «Je suis allée le voir, pas parce que je suis une groupie, mais parce que je suis comme ça. Je vais vers les gens, je suis gentille avec tout le monde. J'ai dit: "Salut, qu'est-ce que tu fais?" Comme il est super gêné de nature, il a gelé. Moi, une personne introvertie, ça m'attire. Je vois ça comme un défi...»

Ils se sont «rapprochés» quelques mois plus tard à Budapest, où St-Gelais a fait ses débuts sur le circuit de la Coupe du monde. Pendant la semaine, Hamelin a pris la recrue sous son aile, semant «un petit truc» dans son esprit.



Photo Bernard Brault, archives La Presse

Charles Hamelin a vécu sa première expérience olympique à Turin, en 2006.

Le 23 mars 2007

À l'époque, les deux patineurs étaient en couple avec une autre personne. St-Gelais vivait encore au Lac-Saint-Jean et jonglait avec l'idée d'accepter une invitation du centre national à l'aréna Maurice-Richard.

Leur relation s'est concrétisée quand elle est venue assister à une compétition de sa soeur à Montréal. Hamelin se souvient de la date: «Le 23 mars 2007.»

«Hé! j'espère qu'il s'en souvient!», s'exclame St-Gelais, dans une interview séparée. «C'est son petit côté romantique, il est très fort...»

Ce côté romantique, Hamelin a pu l'exprimer dans toute son intensité aux Jeux de Vancouver. «J'ai fait le tour de la patinoire, je célébrais et, par pur hasard, j'ai croisé les yeux de Marianne dans les estrades. Je l'ai pointée, elle a comme paniqué un peu et elle a fait: "Je descends en bas." Des gens l'ont aidée et ça a donné le moment qu'on connaît.»

Cette embrassade victorieuse est passée à l'histoire et a scellé publiquement l'union entre les deux patineurs. «Autant de gens se souviennent que j'ai gagné deux médailles d'or à Vancouver que j'ai embrassé Marianne sur le bord de la bande», souligne Hamelin, amusé.

Photo tirée de Facebook

Marianne St-Gelais et Charles Hamelin

Après les cérémonies, le double médaillé d'or n'a revu sa copine que furtivement dans le vestiaire. Pendant une journée et demie, ils se sont perdus de vue. Après une tournée médiatique, Hamelin est parti la rejoindre dans un bar du centre-ville, où l'équipe fêtait le lendemain soir. Le double champion olympique a eu du mal à se frayer un chemin dans la foule en liesse.

«Je marchais dans les rues et je devais me cacher dans mon manteau. J'avais un but: rejoindre les autres. Mais je n'étais pas capable parce que tout le monde voulait des photos. Je leur ai dit: "Si vous voulez me parler, venez au bar avec moi. Mais là, svp, je veux juste aller voir ma blonde!"»

Huit ans plus tard, ce moment d'euphorie l'habite encore. «J'en parle et c'est comme si c'était hier. Je suis incapable de m'enlever ça de la mémoire.»

Ironiquement, pour St-Gelais, médaillée d'argent surprise au 500 m et aussi au relais, c'est tout le contraire: «Je ne me rappelle rien de Vancouver. Même pas mes courses. J'étais complètement sur un nuage. Chaque chose que je faisais, c'était comme du bonbon.»

St-Gelais n'avait jamais prévu disputer ses premiers Jeux au début de la vingtaine. La vraie destination, ce devait être Sotchi 2014, où elle se voyait alors triompher. Mais aux Jeux olympiques, comme le dit son chum, «il n'y a jamais rien d'ordinaire...»

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Une bulle à protéger

Les Jeux olympiques de Sotchi ont drôlement bien commencé pour l'équipe canadienne. Le premier soir, Justine et Chloé Dufour-Lapointe sont montées ensemble sur le podium à l'épreuve des bosses. Durant la cérémonie, Charles Hamelin a versé une larme en voyant les deux soeurs recevoir leur médaille.

«Charles est orgueilleux, il le refoule un peu, mais il est très, très émotif», témoigne Marianne St-Gelais, qui relate l'anecdote.

Le lendemain, Hamelin a gagné l'or au 1500 m, prouvant ainsi que les patineurs canadiens n'étaient pas que des spécialistes du 500 m. Dans l'aréna, St-Gelais a hésité avant d'aller l'embrasser sur le bord de la bande, comme à Vancouver.

«Je me suis dit: "Je veux juste vivre un moment avec lui." Mais là, on y pense avant de le faire. Ça n'a pas rapport. Ça fait que je ne suis plus naturelle. Ça, c'est dérangeant. Notre bulle de couple est constamment percée.»

Pour préserver leur intimité, les amoureux ont fixé une limite: leur condo dans Hochelaga-Maisonneuve, à quelques minutes de marche de l'aréna Maurice-Richard. «J'ai tout de suite établi ça avec Charles. C'est notre cocon à nous, c'est là qu'on est ensemble. Très peu de gens ont accès à la maison. Ç'a été un peu ma façon de me protéger.»

St-Gelais a vécu une descente aux enfers à Sotchi. Elle ne s'était pas remise d'un changement d'entraîneur qu'elle n'avait pas accepté. Avant et après les Jeux, il lui arrivait régulièrement de rebrousser chemin avant de se rendre à l'aréna. Au retour, elle allongeait son parcours pour retrouver sa contenance. Elle ne voulait surtout pas déranger son copain qui s'entraînait plus tard.

«Dans cette période-là, je savais que j'étais lourde, dit-elle. Ça ne fonctionnait pas pour moi, mais je ne voulais en aucun cas briser la préparation de Charles. Je marchais un méchant bout et je me disais que j'allais être correcte. Finalement, je le voyais et je me mettais à pleurer.»

Hamelin était capable de faire la part des choses, mais il avoue que cette passe difficile vécue par sa blonde a été éprouvante pour lui aussi. «J'essayais de la soutenir, je suis le chum, mais je ne suis pas le préparateur mental, pas le coach, pas le directeur. Le reste de la job, c'est vous autres. Faites-la!»

Photo Mike Ridewood, archives PC

Les Jeux de Sotchi ont mal viré pour l'équipe canadienne de courte piste. Marianne st-Gelais n'a pas été l'ombre d'elle-même, et après sa médaille d'or initiale, Charles Hamelin a chuté deux fois.

Des moments difficiles

Au contraire de Vancouver, les Jeux de Sotchi ont mal viré pour l'équipe canadienne de courte piste. St-Gelais n'a pas été l'ombre d'elle-même, se classant 7e, 22e et 28e dans ses trois épreuves individuelles.

Après sa médaille d'or initiale, Hamelin a chuté deux fois. Ça s'est terminé par une crise dans la salle de bains du vestiaire. St-Gelais avait envoyé son beau-père, Yves Hamelin, directeur du programme de courte piste à l'époque, pour le raisonner. «C'est la dernière fois que je l'ai vu péter un câble, se remémore-t-elle. Charles est impulsif, mais ça lui en prend beaucoup avant qu'il saute.»

Malgré tout, Hamelin garde un souvenir très positif de ses troisièmes JO à Sotchi. La cérémonie de remise de médailles officielle, à laquelle il n'avait pas eu le droit à Vancouver parce que les Jeux se terminaient le lendemain, fait partie des plus beaux moments de sa carrière. «J'étais tellement émotif. Si je ne m'étais pas retenu, j'aurais fondu en larmes.»

St-Gelais, elle, était mûre pour une mise au point: «On arrête tout ça ou on pile sur notre orgueil et on avance?»

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Photo Bernard Brault, archives La Presse

Marianne St-Gelais s'est classée 7e, 22e et 28e dans ses trois épreuves individuelles aux Jeux de Sotchi.

Superman et le guerrier pacifique

Pendant longtemps, Charles Hamelin ne s'est fié qu'à lui-même pour régler ses problèmes. Un mal de genou? Ça va passer. De mauvais résultats en compétition? Je vais renverser la vapeur.

«Tu as beau essayer de penser que tu es Superman, un jour, Superman a besoin d'aide», constate aujourd'hui le vétéran de 33 ans, qui a frappé un mur la saison dernière lorsqu'il a été victime d'une série de chutes et de disqualifications en Coupe du monde.

Marianne St-Gelais a sa théorie pour expliquer le tempérament indépendant de son chum: «Charles s'est fait beaucoup taquiner quand il était jeune. Il n'était pas le plus populaire ni le plus beau. Je pense qu'aujourd'hui, on appellerait ça de l'intimidation. On dirait qu'il avait de la misère à faire confiance aux gens, de voir qu'ils voulaient son bien. Je pense que ça vient de là.»

Apprentissages

Hamelin s'est inspiré de sa blonde pour se sortir de sa mauvaise séquence. Après l'épisode douloureux de Sotchi, St-Gelais a réglé son différend avec l'entraîneur Frédéric Blackburn. Elle a accepté sa part de responsabilités et repris sa carrière en main.

«Elle est passée de "ça ne marche pas du tout, j'arrête de patiner" à vice-championne du monde deux années de suite, résume Hamelin, admiratif. J'ai appris de sa mentalité, de la façon dont elle réagissait à certaines circonstances. J'étais un gars hyper gêné, qui ne parlait pas beaucoup. J'ai développé cet aspect. Je m'ouvre plus, je vais voir les autres, je leur fais confiance.»

De la même façon, St-Gelais a assimilé l'esprit compétitif de son amoureux. «Fred m'appelle toujours "le guerrier pacifique", souligne la patineuse de 27 ans. Je vais à la guerre, mais avec un vire-vent. Je suis la première à aller féliciter mes adversaires si elles m'ont battue. Je n'ai pas d'orgueil. Il a vraiment fallu que je casse ça et que je sois plus agressive dans mes courses. Que je prenne ma place et que je pense à moi.»

«Superman» et «le guerrier pacifique» pensent avoir tous les outils pour mieux affronter les JO de PyeongChang, qui seront leurs derniers.

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Photo archives AP

Charles Hamelin s'est inspiré de Marianne St-Gelais pour se sortir d'une mauvaise séquence.

«Je n'ai pas fait du sport pour être célèbre»

S'il y a une chose dont Marianne St-Gelais ne s'ennuiera pas après sa retraite du patinage de vitesse, c'est la notoriété publique. Souvent, à la blague, elle dit à Charles Hamelin: «As-tu hâte qu'on ne soit plus connus?»

«Moi, je n'ai pas fait du sport pour être célèbre», insiste-t-elle. Elle s'exprime avec aisance et les communications l'intéressent, mais pas question de prendre un jour les commandes d'un talk-show télévisé, par exemple. Depuis l'automne, elle tient une chronique à l'émission Entrée principale, à Radio-Canada, une responsabilité qui lui convient. «Je n'ai jamais aimé être un leader. Le rôle de vétérane, je ne l'assume pas du tout. Je préfère être un à côté.»

Afin de faire la transition la saison prochaine, Hamelin entend servir de lapin à l'entraînement pour l'équipe féminine. Il veut s'investir davantage dans l'entreprise d'équipement de patinage qu'il a cofondée avec son entraîneur Derrick Campbell et quatre autres partenaires.

Avec Marianne et son frère François, il souhaite également tenir des camps et des séminaires sur le sport s'adressant «autant aux enfants qu'aux parents».

Il ne pense pas se lancer dans le coaching à court terme, mais n'écarterait pas d'emblée une offre d'un autre pays. «Je ne dirais pas oui à n'importe qui, n'importe où», précise-t-il.

Un mariage au zoo

Fiancés depuis un voyage en Nouvelle-Zélande en 2010, St-Gelais et Hamelin planchent sur l'organisation de leur mariage en août prochain, à Saint-Félicien. «Marianne veut se marier au zoo et je pense que ça va se réaliser», dévoile Hamelin.

Le prochain rêve du couple est très clair: devenir parents. «Notre plan est d'avoir des enfants assez rapidement après notre carrière de patin, indique Hamelin. J'ai 33 ans, je vais en avoir 34, Marianne aura 27, 28 ans. On ne veut pas tarder. Et on ne veut pas qu'un seul enfant, c'est sûr et certain.»

Quand on tape le nom de St-Gelais dans Google, l'une des premières suggestions à apparaître dans le moteur de recherche est le mot «enceinte». Depuis que le couple a évoqué son projet familial dans une entrevue télévisée, il ne se passe pas une semaine sans qu'elle s'en fasse parler.

«Ça me fait buzzer! s'exclame-t-elle. Quand je vais être enceinte, j'ai le chum le plus gaga du monde, il va mettre des photos partout, vous allez le savoir, inquiétez-vous pas!»

Photo Robert Skinner, archives La Presse

Marianne St-Gelais et Charles Hamelin au gala KARV, en 2012.