Nous sommes en 1980. Les chars soviétiques viennent tout juste d'entrer en Afghanistan. Pour dénoncer l'invasion, une cinquantaine de pays boycottent les Jeux de Moscou. Quand le jeune escrimeur Paul Beaudry apprend que le Canada est parmi eux, il comprend que son rêve olympique vient de s'effondrer.

Paul Beaudry n'avait pas réussi à se qualifier en 1976, et il était certain que cette fois-ci serait la bonne. Après ce coup dur, le jeune diplômé reçoit une offre d'emploi en Afrique. «C'était le début des années 80, il y avait une grande récession, alors évidemment, j'ai accepté, raconte-t-il aujourd'hui. Mais il n'y a pas beaucoup d'escrime en Afrique! J'ai dû faire une croix sur mon sport.» Il avait tout juste 24 ans.

Basketball

La vie fait parfois drôlement les choses. Paul Beaudry a aujourd'hui 54 ans. Son fils Philippe en a 25, et il s'apprête à participer à ses deuxièmes Jeux olympiques. Beaudry fils pratique aussi l'escrime - le sabre, comme son père.

«Ses deux frères ont également pratiqué l'escrime. Quand Philippe est arrivé à Brébeuf au secondaire, il a commencé, puisqu'il y a un très bon club d'escrime, surtout en sabre, rappelle Paul Beaudry. C'était évident qu'il avait du talent. Et, drôle de hasard, l'entraîneur là-bas est un ancien qui était dans l'équipe nationale avec moi, Jean-Marie Banos.»

S'il marche dans les pas de son père, Philippe Beaudry assure que c'est une question de chance. S'il n'en tenait qu'à lui, il aurait plutôt pratiqué le basketball à son entrée au collège Jean-de-Brébeuf. «Je voulais faire l'équipe de basketball, mais j'étais tout petit et je ne me suis pas qualifié, raconte-t-il. Comme tout le monde avait fait de l'escrime dans ma famille, j'ai essayé, et j'ai eu la piqûre. On te donne un bâton, on se tape dessus et on te dit de ne pas lâcher. C'est le rêve de tout jeune.»

Le passé d'escrimeur de son père était pour lui vague et mystérieux. «J'ai des souvenirs confus à l'âge de 5 ou 6 ans de voir mon père faire de l'escrime, parce que dans les années 90, il était revenu à l'escrime pour quelques compétitions, dit-il. Je savais qu'il était bon, qu'il faisait le sport de Zorro, c'est tout!»

Les derniers Jeux?

Philippe Beaudry arrive à Londres au 20e rang mondial. Il avait pris le 30e rang à Pékin, et espère faire mieux cette fois. Même si sa place dans la hiérarchie mondiale du sabre ne le désigne pas comme un médaillé potentiel, Beaudry ne peut s'empêcher de rêver au podium.

«Il y a quatre ans, j'avais beaucoup moins d'expérience. Mais là, j'arrive à Londres avec beaucoup d'espoir. Je sais que je ne suis pas favori, mais aux Jeux, on n'est que 36 sabreurs, explique-t-il. Je crois que tout est possible, mais je suis sûr que les 35 autres personnes là-bas pensent la même chose.»

Les Jeux de Londres seront peut-être ses derniers. Ce jeune étudiant en finances veut absolument étudier à temps plein à la rentrée. Si tout va bien, à la fin de l'année, il aura son diplôme après six ans d'études à temps partiel. «C'est un sport très prenant. C'est sûr qu'à l'automne, il va me falloir du temps off de l'escrime. Pour la tête, surtout. Je vais décider à l'hiver si je continue ou non.»

Mais médaille ou non, le sabreur peut se targuer d'avoir réalisé, par procuration, le rêve olympique de son père. Paul Beaudry sera d'ailleurs à Londres pour encourager son fils. Nul doute qu'il aura, à un moment ou un autre, une pensée pour Moscou. Et pour ces Jeux qui se sont dérobés sous ses pieds.

Philippe Beaudry sera en action dimanche au Centre ExCel.