Ce dernier plongeon raté fut comme une métaphore de son annus horribilis. Tout le monde a retenu son souffle en voyant son saut d'appel raté. Avec l'espoir qu'il récupère le tout au vol, comme il l'a fait si souvent dans sa carrière internationale de presque 15 ans.

Même Alexandre Despatie était à court de miracles. Il savait que le podium n'était plus une possibilité, mais ce n'est assurément pas de cette façon qu'il envisageait de quitter le bassin olympique pour la dernière fois. La tête basse, consterné. Il s'est assis dans le bain à remous pour arracher furieusement les rubans qui lui couvraient les orteils. Ses collègues et rivaux n'ont pas osé s'en approcher.

Celle-là, il mettra quelques semaines à s'en remettre. Devant les journalistes, quelques minutes après avoir pris le 11e rang au tremplin de 3 m, Despatie a été éloquent, comme d'habitude. Il a exprimé sa fierté d'avoir franchi les obstacles pour se rendre jusqu'à la finale des Jeux olympiques de Londres. Mais ce dernier plongeon où il est entré à l'eau à demi plié était encore trop frais à sa mémoire. «Il faut que je sois fier d'avoir continué et de ne pas avoir laissé tomber», n'a-t-il cessé de répéter, comme s'il essayait de se convaincre. Il le faut.

Personne ne le contredira. Il y a eu ce genou bousillé l'an dernier, la qualification in extremis en février, puis cet horrible scalp sur un tremplin madrilène, il y a six semaines. C'est un éclopé que ses parents étaient venus accueillir à l'aéroport à la mi-juin. «Pour nous, c'était clair: il n'allait pas aux Jeux olympiques», a raconté Pierre Despatie après la finale d'hier.

«Les Jeux olympiques ont cet effet spécial sur nous, a dit Alexandre un peu plus tôt. Je voulais être ici. Je ne le regrette pas une seconde. Peu importe les embûches, je le referais encore une fois. Parce que les Jeux sont si spéciaux pour nous.»

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De la même façon qu'on se souvient des deux médailles olympiques de Nicolas Gill et non pas de sa sortie hâtive à Athènes, l'héritage sportif d'Alexandre Despatie émergera quand les images de son saut raté auront fini de tourner en boucle à la télévision.

Dans un sport qui a connu sa part de héros - Sylvie Bernier, Annie Pelletier, Émilie Heymans, pour ne nommer que celles-là - Despatie a été un pionnier.

«Alex a changé notre sport en entier», a affirmé Mitch Geller, directeur général de Plongeon Canada et comparse de la première heure.

«Il a montré au plongeon canadien ce qui était possible, a-t-il poursuivi. Il a changé l'attitude de tout le monde. Ça prend toujours une personne pour percer comme ça. Les choses qu'Alex a réalisées, à répétition, sont les seules raisons pour lesquelles on a obtenu tant de résultats. Tous nos athlètes croient qu'ils peuvent se mesurer au reste du monde. Il a eu un rôle majeur pour instiller cette conviction à tous nos athlètes.»

Despatie a aussi eu un effet notable sur la hausse des inscriptions, au point il a «révolutionné l'économie» de ce sport, a indiqué le directeur général.

Magnanime, Geller a souligné la contribution majeure de Michel Larouche, le premier entraîneur de Despatie, et de son programme au club CAMO du complexe sportif Claude-Robillard, d'où sont sortis à peu près tous les meilleurs plongeurs de la dernière génération.

«De façon très délibérée, Michel a été capable de construire à partir de la base un plongeur qui a battu toutes sortes de records. Alex a été vraiment bâti ici, fabriqué ici. Et il est certainement un athlète d'un niveau qu'on n'avait encore jamais vu.»

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Après avoir complété les entrevues, Despatie a donné l'accolade à son rival chinois Qin Kai, médaillé d'argent. Ce dernier était manifestement dévasté d'avoir échappé la médaille d'or aux mains du Russe Ilya Zakharov. «Ça, c'est triste, a fait remarquer Pierre Despatie. On voit que les systèmes ne sont pas les mêmes. C'est comme s'il avait déshonoré son pays. Je ne pense pas qu'on le revoie en compétition de sitôt.»

Pour Alexandre Despatie, ce n'est pas le chant du cygne définitif. S'il a été toujours été clair qu'il ne sera pas à Rio en 2016, il serait étonnant de ne pas le voir dans d'autres compétitions. «Les championnats du monde à Barcelone, ça, c'est intéressant...» Comme l'impression qu'il a un dernier compte à régler avec le tremplin.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Alexandre Despatie a complètement raté son sixième et dernier plongeon, alors qu'il a fait son entrée à l'eau quand ses jambes étaient encore à l'horizontale.