Des larmes et des défaites, Julie Sauvé en a essuyé en 35 ans de carrière en natation synchronisée. Mais vendredi, la cruelle quatrième place de l'équipe canadienne à la finale, en dépit d'un programme libre riche en acrobaties, l'a fait sortir de ses gonds.

La colorée entraîneuse a laissé sa diplomatie au vestiaire avant de rencontrer les journalistes et a déclaré ce qui lui semble une évidence: «On a besoin d'un ménage dans notre sport.»

Elle a montré du doigt le système de notation des juges, trop opaque à ses yeux. «Il faudrait voir les notes que chacun accorde au lieu du total combiné, dit-elle. Elles devraient s'afficher immédiatement, comme au plongeon et en gymnastique.»

Cela lui permettrait de voir, par exemple, ce que la juge chinoise a accordé au Canada. Et d'effacer tout doute sur l'impartialité du panel. Car contrairement au plongeon, les juges peuvent partager la même nationalité que les nageuses.

«Aujourd'hui, nous avions neuf juges européens sur quatorze», précise-t-elle. Une meilleure représentation des cinq continents aurait peut-être produit un classement différent.

Vague rouge

Invaincue depuis les Jeux de Sydney en 2000, la Russie a décroché l'or hier en engrangeant 197,030 points. La Chine et l'Espagne ont suivi avec respectivement 194,010 et 193,120 points.

Les Canadiennes, qui ont inscrit 189,120 au tableau, ont tournoyé, virevolté et sauté comme des acrobates dans leur numéro conçu avec la collaboration du Cirque du Soleil. Plusieurs clins d'oeil ingénieux ont conquis la foule. Stéphanie Durocher, surnommée «Stéphanie Despatie» dans la troupe, a effectué des vrilles et des périlleux jusqu'à la fin de la prestation.

Pour illustrer le niveau de difficulté technique, Julie Sauvé a décrit tout l'effort investi pour réussir une seule figure. «Vous avez vu les jambes se croiser, s'attacher, alors qu'elles sont dos à dos sous l'eau. Cela nous a pris trois mois pour y parvenir. Trois mois pour cinq secondes du programme!»

Les nageuses disaient qu'elles repartiraient la tête haute de Londres.

Cependant, des mentons tremblaient imperceptiblement. Pas tant pour la quatrième place que pour le départ imminent de deux nageuses: Valérie Welsh et Marie-Pier Boudreau-Gagnon, la doyenne du groupe, âgée de 29 ans.

«Le plus beau cadeau qu'elles pourraient me faire, ce serait de gagner une médaille à Rio en 2016, affirme Marie-Pier Boudreau-Gagnon. Si elles réussissent, je vais être la première à pleurer.»

Comme le patinage artistique

Encore faut-il que les juges commencent à apprécier l'avant-gardisme de l'équipe canadienne.

Julie Sauvé établit une comparaison avec Paul et Isabelle Duchesnay, des patineurs de danse sur glace dont le style et les costumes modernes détonnaient dans les années 80. «C'était innovateur, mais les juges n'étaient pas prêts à le reconnaître», dit celle qui a entraîné Sylvie Fréchette pendant 22 ans. Les Duchesnay ont fini par monter sur un podium olympique aux Jeux d'Albertville de 1992.

Difficile d'ailleurs de ne pas faire de parallèle entre la nage synchro et le patinage artistique, un autre sport jugé qui a connu son lot de controverses. Aux Jeux de Salt Lake City, une juge française avait admis avoir subi des pressions pour favoriser le couple russe aux dépens des Canadiens Jamie Salé et David Pelletier.

Julie Sauvé déposera bientôt un dossier à la FINA afin de proposer des changements au système de notation. «Nous allons également soumettre des coefficients de difficulté pour les acrobaties parce que nous sommes les plus fortes dans ce domaine», dit-elle.

Et si le milieu de la nage synchronisée commençait à voir les Canadiennes comme de mauvaises perdantes? «Pas du tout. Nous ne sommes pas la seule délégation à se plaindre. Notre sport manque de fair-play, il faut le faire évoluer», répond celle qui n'a jamais eu peur de la polémique.