Les trois autres s'appellent John Smith, James Thompson et Matthew Brittain. Des noms pour ramer sur la Tamise. Mais ils rament en Afrique du Sud, croisent des crocodiles et des hippopotames et leur chef de nage s'appelle Sizwe Ndlovu.

Leur équipe a gagné hier la première médaille d'or olympique de leur pays en aviron, au 4 de couple poids léger.

Trois Blancs, un Noir comme leader, qui rament au même rythme dans un bateau: une chose impensable pour leurs pères.

Certaines médailles sont plus lourdes d'histoire et de politique que d'autres.

«Je viens d'un quartier pauvre de Johannesburg, mon père était chauffeur de taxi, dit Ndlovu, 32 ans. Il n'y avait aucun sport aquatique à mon école primaire. On pouvait jouer au soccer, faire de la course à pied ou de la danse zoulou.

«Au secondaire, je suis allé dans une école multiraciale et on devait choisir un sport. J'ai essayé l'aviron... C'était plus de travail, mais j'ai aimé ça tout de suite.»

Si un sport a une image aristocratique, c'est pourtant bien l'aviron. Un sport de golden boys des bonnes familles, développés à l'ombre d'Oxford et Cambridge, puis aux États-Unis dans les grandes universités. Encore maintenant, on compte un grand nombre de rameurs issus des clubs de Princeton, Harvard, Yale.

Qu'un enfant de chauffeur de taxi joigne une quelconque équipe d'aviron, ce n'est pas tous les jours, qu'il vienne de Johannesburg ou de Pittsburgh.

«Ce n'est pas un sport aussi populaire qu'ici (une foule de 35 000 personnes en délire), chez nous, mais j'espère que ça va changer, je crois que ça va changer pour moi.»

Ndlovu avait perdu sa mère quatre jours avant les qualifications olympiques de Pékin, qu'il a ratées. Il a même perdu son poste dans l'équipe avant les Jeux.

Ce fut en plus une finale serrée à l'extrême, où ils sont venus chercher les Anglais (argent) et les Danois (bronze), dont une des légendes de l'aviron, Eskil Ebbessen, porteur de drapeau de son pays, cinq fois médaillé de la discipline, dont trois fois en or, la première à Atlanta en 1996.

Tellement serrée qu'en arrivant, ils ne savaient pas s'ils avaient gagné. Ils ont regardé le tableau et, en même temps, ont hurlé de joie en se serrant, enfin comme on peut se serrer dans ces frêles embarcations...

Certaines victoires historiques ont plus d'histoire que d'autres.