J'ai attendu le dernier. C'est émouvant, le dernier coureur d'un marathon. On dirait qu'il va se noyer dans la souffrance. Mais il sort la tête. On se demande avec quoi il roule...

Tsepo Ramonene, 21 ans, du Lesotho, roule avec du pain blanc et du thé, des fois des gels quand sa grand-mère lui fait un cadeau.

Il roule aussi avec l'espoir de gagner sa vie comme un Kényan.

Meilleur temps à vie: 2 h 16. Hier: 2 h 55. 85e. Dix minutes après l'avant-dernier, il a franchi la ligne sous les cris de la foule. S'est arrêté. S'est remis à courir sans trop savoir pourquoi, mais comme pour fuir, cette fois.

S'est effondré. S'est fait envelopper dans des serviettes humides. A bu, bu, bu...

«Il faut sortir du parcours, je vous prie.» Ils l'ont escorté pendant qu'on commençait à démanteler les barrières.

S'il fait un peu d'argent avec la course, il a un rêve: faire son cours secondaire.

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La bagarre a commencé assez vite dans ce marathon olympique: avant le 15e kilomètre, le Kényan Wilson Kipsang Kiprotich, auteur du deuxième chrono de tous les temps (2 h 03: 42), est parti seul. On croyait que c'était pour la gloire.

Trop vite. Trop chaud.

L'autre grand favori, double champion du monde, le Kényan Abel Kirui, l'a rattrapé, avec un Ougandais qui n'était sur aucun radar: Stephen Kiprotich (il a appartient à la même fameuse tribu de coureurs kalenjin que Kipsang, qui s'étend des deux côtés de la frontière Ouganda-Kenya).

Le trio s'est disloqué au 37e kilomètre, quand l'Ougandais s'est rendu compte, stupéfait, qu'il avait encore des jambes pour sprinter.

Il a décidé que 40 ans, c'était assez attendu entre deux médailles d'or olympiques pour son pays de 34 millions de personnes. Il a passé le fil d'arrivée avec un temps de 2 h 08:01.

Il souriait tellement, on cherchait nos lunettes fumées. Il disait «merci beaucoup» à chaque question. Il n'a jamais pensé qu'il pourrait gagner contre les gars avec qui il s'entraîne au Kenya. «On n'a pas les installations chez nous.»

Même à l'arrivée, il regardait encore derrière, l'air de dire: où sont-ils passés?

- D'où sortez-vous, vous êtes un inconnu?

- J'étais un inconnu, je suis connu, je suis content, a dit l'Ougandais.

Kipsang Kiprotich a fini avec le bronze: «Je suis parti vite, parce que je me disais que si la course était lente, on aurait des problèmes avec les Éthiopiens à la fin.»

Pour ça, il a eu raison: les Éthiopiens ont été invisibles et, blessés ou humiliés, ils ont tous abandonné la course après la moitié.

On a demandé au gagnant ce qu'il pensait de Bolt, qui se dit le meilleur. «Quand on compare au volume incroyable d'entraînement des marathoniens, c'est pas vous, les meilleurs?»

- Ah non, celle-là je n'y réponds pas! a dit le gagnant, hilare.

Kipsang a plongé: «Bolt, ça lui a pris du temps à en arriver là. Il est le plus rapide. Ça lui donne confiance de se dire le meilleur. C'est correct. Mais dans un marathon, on ne peut pas parler comme ça. C'est long, et tu ne sais pas dans quelle forme les autres sont comparativement à toi. Aujourd'hui, Stephen était le meilleur d'entre nous. La vie continue et je vais encore essayer de battre le record du monde.»

Kirui aurait bien aimé rapporter l'or au Kenya, après Samuel Wanjiru à Pékin (mort depuis dans une scène familiale tragique qui a fini en un suicide nébuleux). «Mais deux sur trois, c'est très bien.»

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Aux coureurs amateurs, je tiens à dire que les scènes d'après-marathon olympique ne sont pas bien différentes de celles des marathons populaires : athlètes qui boitent, regards vides, effondrements, larmes retenues, embrassades...

Il faisait chaud, et presque tous ont couru la deuxième moitié sensiblement plus lentement. Vingt coureurs ont abandonné. Presque tous en ont arraché.

On a vu passer devant nous, marchant derrière les tribunes, l'Américain Ryan Hall, auteur d'un chrono de 2h04 en 2011. Défait. Problèmes à l'ischio-jambier. «C'est la première fois que j'abandonne, c'est triste...»

Pendant ce temps, l'autre Américain, né Érythréen, Meb Keflezighi, 37 ans (argent à Athènes), a effectué une incroyable remontée du 17e rang qu'il occupait au demi, jusqu'au quatrième à la ligne d'arrivée.

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Les trois Canadiens inscrits ont dépassé une trentaine de coureurs sur la deuxième moitié. Dylan Wykes a fini 20e (2 h 15:26), Eric Gillis 22e (2 h 16) et Reid Coolsaet, manifestement déçu, 27e (2 h 16:29).

«J'ai vraiment foiré», a dit Coolsaet, qui a eu des problèmes de digestion tout le long.

Trois Canadiens dans le top 30, c'est tout de même pas mal du tout, quand on sait qu'aucun ne s'est qualifié pour les deux JO précédents.

Tsepo Ramonene aurait bien aimé «foirer» comme ça. Mais il ne s'est pas éclipsé commodément pour cacher sa déconvenue. Il est arrivé dernier, mais il est arrivé.