Remarqué par un entraîneur italien réputé qui l'a pris sous son aile, l'escrimeur Étienne Lalonde Turbide a littéralement conquis sa place aux Jeux olympiques de Londres. À la sueur de son front. Envers et contre tous.

À l'ère d'À nous le podium (ANP), des spécialistes de tout acabit, des «groupes de support intégré» et autres B2Dix, l'escrimeur Étienne Lalonde Turbide est un cas à part.

Abandonné par sa fédération nationale, privé de soutien et d'entraîneur en compétition, le fleurettiste de Verdun a néanmoins conquis sa place pour les Jeux olympiques de Londres. En payant absolument tout de sa poche: entraînement, voyages et compétitions. Heureusement que l'athlète de 22 ans a un sens de l'humour aiguisé.

«Si je n'étais pas escrimeur, je serais à l'École nationale de l'humour», lance-t-il, mi-sérieux, lors d'une rencontre à Montréal au mois d'avril, quelques semaines après la fin du processus de qualification. «J'aime faire rire, faire le niaiseux, mais j'ai montré que j'étais assez intelligent, assez fort mentalement, pour y arriver tout seul. J'aurais pu baisser les bras très souvent, mais j'ai gardé le sourire. J'en suis très content.»

Cette première sélection olympique, Lalonde Turbide la doit à son talent, au travail, et à l'appui de sa famille et de ses amis. Mais aussi et surtout à l'aide providentielle d'un maître d'armes italien réputé, Giulio Tomassini, qui l'a remarqué lors d'une visite à Montréal en 2008 dans le cadre d'un séminaire de formation pour des entraîneurs canadiens.

M. Tomassini est une sommité mondiale de l'escrime. Le meilleur entraîneur de fleuret du monde, selon certains. Depuis plus de deux décennies, il enseigne à Valentina Vezzali, l'escrimeuse la plus titrée de tous les temps, qui tentera à 37 ans de remporter une quatrième médaille d'or consécutive cet été à Londres. Il a aussi mené Giovanna Trillini à l'or olympique en 1992 et Margherita Granbassi au titre mondial en 2006.

L'an dernier, L'Équipe Magazine a inclus M. Tomassini dans un groupe sélect de 10 entraîneurs «qui ont changé leur sport». Qu'a-t-il vu en Lalonde Turbide, à l'époque loin d'être le meilleur fleurettiste canadien? «Surtout sa vision de l'escrime, qui est un peu à l'extérieur de la vision normale», répond l'homme de 62 ans, joint au téléphone en Italie. «Il a beaucoup de créativité et ça m'a plu. Techniquement, il lui manquait beaucoup de choses, mais j'ai cru en lui. Il a commencé l'escrime sur le tard et il a une grande envie d'y arriver. C'est un garçon qui donne tout et qui est très sérieux dans l'entraînement. J'ai vu un potentiel énorme.»

Depuis 2009, M. Tomassini accueille le fleurettiste québécois «comme un fils», chez lui à Terni, au centre de l'Italie. Un peu dubitatif au départ - qui était donc cet homme qui voulait l'aider? -, Lalonde Turbide a vite compris que sa réputation n'était pas surfaite. Quelques semaines après sa première visite, il a été le seul Canadien à atteindre le tableau des 64 au Grand Prix de Venise.

Un jour, Lalonde Turbide a voulu payer Tomassini, qui l'entraîne gratuitement. Quand l'Italien a appris que l'argent de son élève provenait de son modeste brevet de financement fédéral (900 dollars par mois), il a refusé net. Une commandite du Groupe Aldo permet au fleurettiste de le dédommager un tant soit peu.

En Tomassini, Lalonde Turbide a trouvé un maître qui parle le même langage que lui, qui apprécie son côté «artiste fou». «Il arrive à faire beaucoup de choses imprévisibles, sans penser, explique l'entraîneur. Il a un style à lui. Étienne Lalonde tire comme Étienne Lalonde, point.»

«En escrime, je fais ce que je veux, je m'amuse, j'aime inventer des choses», acquiesce le grand gaillard de 6'4, qui bondit de sa chaise pour illustrer son affirmation. Il se met en position de combat et allonge sa jambe arrière tout près du sol. «Quel gars de mon gabarit va faire un petit bonhomme?» demande-t-il en riant, fier de son effet.

Il se rassoit, pitonne sur son téléphone et trouve la vidéo d'un combat où il effectue un «Lalonde 2000», un mouvement offensif de son invention où il saute dans les airs avant de surprendre son adversaire avec une touche dans le dos...

Malgré l'appui de M. Tomassini, la qualification olympique de Lalonde Turbide n'a pas été un long fleuve tranquille. Après une saison 2010 «affreuse», où il a frôlé le surmenage en raison des trop longs mois passés loin des siens, il a songé à tout abandonner. À la dérive, la Fédération canadienne d'escrime venait de congédier le directeur haute performance Danek Nowosielski, qui soutenait les stages italiens du jeune fleurettiste. Au surplus, comme le fleuret masculin n'est pas ciblé par À nous le podium, l'aide financière est inexistante.

À son retour en Italie, début 2011, Lalonde Turbide a fait part à son entraîneur de son

manque de motivation. Celui-ci l'a presque supplié de compléter au moins cette olympiade. Lalonde Turbide a accepté et les bonnes prestations ont commencé à débouler. À Venise, il a sorti le champion olympique Benjamin Kleibrink. Même si le processus de sélection n'était pas amorcé, ce fut une rampe de lancement considérable vers Londres.

Pas de limites à Londres

Classé 46e mondial, Lalonde Turbide ne se fixe pas de limites à Londres, où le niveau d'opposition sera forcément moins élevé qu'en Coupe du monde ou aux Mondiaux, compte tenu de la limite de trois représentants par pays. Il se voit comme un négligé qui n'a rien à perdre.

«Au début de la qualification, j'ai battu deux finalistes aux Championnats du monde, des médaillés aux Championnats d'Europe. Tout est possible», assure celui qui a fini 24e au Grand Prix de Venise.

Son seul souhait est d'éviter de tomber sur un Italien en début de tableau. De cette façon, sa participation à un camp de préparation de l'équipe nationale italienne ne serait pas remise en cause. Au début de l'année, il s'est fait évincer après une journée. Seul étranger invité, Lalonde Turbide avait vaincu Cassara et Baldini, deux champions du monde, ce qui n'avait pas plu à certains entraîneurs transalpins...