Protéger sa tête est devenu une évidence dans la LNH. Mais ça n'a pas toujours été le cas. Fut un temps où le casque était l'exception plutôt que la règle. Retour sur une époque d'inconscience...

Le 13 janvier 1968, l'attaquant des North Stars du Minnesota, Bill Masterton, tombe tête première sur la glace du Met Center, pendant un match contre les Golden Seals de la Californie. Du sang coule de son nez et de ses oreilles. Il gît inconscient. Amené d'urgence à l'hôpital, il meurt 30 heures plus tard d'une hémorragie cérébrale.

Comme 99,9% des joueurs de la Ligue Nationale de hockey à cette époque, il ne portait pas de casque.

Cette tragédie ne sera pas seulement à l'origine du trophée Bill Masterton. Elle servira de catalyseur pour les joueurs de la LNH, qui seront par la suite de plus en plus nombreux à porter un casque. D'abord timide, ce phénomène deviendra de plus en plus répandu, avant de devenir la norme. Comme le dit si bien Craig Campbell, des Archives du Temple de la renommée du hockey: «Il a fallu un accident grave pour que les lumières s'allument.».

Mais que de chemin parcouru avant d'en arriver là!

Le test du miroir

En 2011, on ne peut tout simplement pas imaginer un pro «avec pas d'casque» - pour reprendre le nom d'un sympathique groupe folk québécois. Mais pendant longtemps, les rares hurluberlus qui osaient en porter étaient considérés comme des peureux ou des «moumounes». Pas étonnant que cette pièce d'équipement ait mis aussi longtemps avant d'être adoptée.

Selon ce qu'on sait, le pionnier aurait été George Owen, avec les Bruins lors de la saison 1928-1929. Mais le plus célèbre précurseur reste Eddie Shore, aussi des Bruins, qui se mit à porter le sien en 1933 après une violente bataille au bâton avec Ace Bailey des Leafs. Fait à noter, les rares casques de cette époque étaient en fait conçus pour le football, avec quelques lanières de cuir rembourrées et merci bonsoir. Autant dire que la protection était symbolique.

Il faudra attendre les années 60, et l'apparition des marques CCM et Cooper, pour voir les premières innovations dans le domaine. Avec la révolution du plastique, la technologie du casque évolue. Le polyéthylène remplace le cuir, avant d'être lui-même remplacé par le polycarbonate. Les deux parties de la coquille sont alors ajustables par un savant (hem...) système de vis et de boulons. Quant au rembourrage intérieur, il passera du coton à la mousse en polymère, qui deviendra la norme.

Mais les joueurs de la LNH continuent de snober cette protection, qui par crainte de passer pour une «poule mouillée» (dixit Toe Blake), qui par pure coquetterie. Selon Peter Romano, de la Société internationale de recherche sur le hockey, le port du casque fut notamment retardé parce que les joueurs se trouvaient moches avec. «Le test du miroir a toujours été déterminant. Si le casque ne passe pas le test et que le joueur se sent ridicule, il n'adopte pas le casque. À une époque où c'était peu répandu, cela a sûrement joué», explique ce spécialiste de l'équipement de hockey.

En 1949-50, seulement deux joueurs se protègent le coco, dont un certain Jack Crawford qui - selon la légende - le fait uniquement pour dissimuler sa calvitie! Dix ans plus tard, ce chiffre a doublé. Le quatuor se résume à Charlie Burns et Vic Stasiuk (Boston), Warren Godfrey (Détroit) et Camille Henry (Rangers). La prise de conscience s'amplifie en 68 avec la mort de Masterton. Étonnamment, la LNH rejette deux ans plus tard une résolution visant à rendre le port du casque obligatoire. Clarence Campbell se prononce notamment contre, arguant que ce serait ajouter un poids inutile sur la tête des joueurs.

Mais le mouvement est amorcé. Au début des années 70, des vedettes comme Stan Mikita des Blackhawks et Jean-Claude Tremblay. du Canadien, portent le casque de leur propre initiative. En 1972, Paul Henderson donne un gros coup en marquant le but gagnant de la Série du siècle avec son inséparable CCM. Avec ces exemples «gagnants», le port du casque devient moins connoté. Normal. «Au hockey comme au cinéma, les stars montrent la voie», résume Craig Campbell.

Petites révolutions

En 1979 enfin, la LNH adopte un nouveau règlement obligeant tout nouveau joueur à porter le casque. Cette décision fait hurler les traditionnalistes comme Don Cherry, Bobby Clarke et le journaliste Stan Fischler, qui crient à la violation des libertés individuelles! Mais il n'y aura pas de retour en arrière. Seuls les joueurs arrivés avant cette date peuvent continuer à jouer crinière au vent. Un passe-droit dont profiteront des stars comme Guy Lafleur des Canadiens et Ron Duguay des Rangers. Le dernier joueur à se prévaloir de ce droit acquis sera Craig MacTavish, qui jouera encore nu-tête avec les Blues pendant la saison 1996-1997.

En 1980, on estime que 70% des joueurs de la Ligue nationale portent le casque. Bien que CCM et Cooper restent les marques de référence, la marque Jofa s'impose, poussée par l'arrivée massive de joueurs européens et les miracles sur glace de Wayne Gretzky, qui s'en fait le plus glorieux ambassadeur. Mais la mode sera de courte durée. «C'était un casque léger, mais pas très sécuritaire. On aurait dit que c'était fait pour la ringuette», résume Peter Romano. Mark Messier le comprend assez vite. Il troque son Jofa pour un Winnwell, sous-marque de la compagnie Cooper, laquelle sera achetée par Bauer en 1990... qui sera à son tour vendue à Nike en 1995!

Côté design et protection, la science évolue lentement et les innovations sont mineures. Cooper renouvelle le design traditionnel avec son XL7, qui semble tout droit sorti d'un film de science-fiction. Mais le modèle ne passe pas «le test du miroir». En 1995, Cooper introduit un nouveau type de rembourrage: la mousse EPP, déjà utilisée pour les casques de vélos. Ce matelassage dur et léger a la réputation d'être résistant et de mieux disperser les chocs. Mais cela n'empêchera pas son plus célèbre porte-parole, Eric Lindros, d'accumuler les commotions cérébrales...

C'est là toute l'absurdité de la chose. Alors que les nouvelles marques se multiplient (Mission, iTech, Nike/Bauer, Cascade m11, Easton Z-Shock) et que les technologies ne cessent de se raffiner (rapport sécurité-rembourrage-design-hygiène), le nombre de commotions cérébrales lui, ne semble pas en passe de diminuer. Selon la LNH, on en compterait 75 en moyenne par année. Mais début décembre, 33 avaient déjà été enregistrées, ce qui n'annonçait pas beaucoup de changement...

Deux possibilités: soit les commotions sont plus systématiquement déclarées aujourd'hui. Soit le jeu est devenu plus violent, comme le suggère l'ancien joueur Michel Goulet.

«Quand il n'y avait pas de casques, c'était différent, lance Goulet, dont la carrière s'est brutalement terminée par une blessure à la tête. Il y avait moins de coups vicieux. Aujourd'hui, on joue plus violemment. On se croit mieux protégés, alors on se pense invulnérables.»

«Mais on se trompe...»

Avec l'aimable collaboration de Carl Lavigne, du Canadien de Montréal, et de Jean-Patrice Martel, de la Société internationale de recherche sur le hockey.

Le saviez-vous?

Le port obligatoire du casque fut proposé une première fois à la LNH en 1927, par un certain Barney Stanley.

Lors d'un match de la coupe Stanley en 1905, l'arbitre Mike Grant aurait porté un casque de la construction ( !) par crainte du jeu rude.

En 1969, la Ligue internationale de hockey (IHL) fut la première ligue professionnelle à imposer le port du casque

En 1992-93, la LNH aurait autorisé les joueurs à jouer sans casque, à condition de signer une décharge. Seul Greg Smyth, des Flames, aurait fait ce choix, et seulement pour un match.

Fin renard du marketing, Michael Eisner, patron de Disney (et donc des Mighty Ducks) aurait déjà suggéré que les joueurs portent un casque transparent pour qu'on puisse voir leurs cheveux.

Et le rembourrage M. Eisner, on le met où?

Bobby Orr était un type plein d'esprit. À la question : «Pourquoi portez-vous un jock strap et non un casque?», il aurait répondu: «Eh bien, je peux toujours trouver quelqu'un pour penser à ma place.