C'était un peu comme si quelqu'un, quelque part, avait écrit tout ça d'avance.

C'était un peu comme si cette scène-là, d'une certaine façon, avait été prévue.

Il y avait ce vent de mélancolie qui soufflait sur le parvis. Cette neige d'un blanc poétique qui tombait sur la ville. Et il y avait ces gens, tous ces gens, des gens très connus, des moins connus, qui étaient là pour offrir un ultime coup de chapeau à celui qui a jadis porté le numéro 4 avec la grâce que l'on sait.

Mercredi après-midi, à la basilique-cathédrale Marie-Reine-du-Monde, au centre-ville de Montréal, les funérailles de Jean Béliveau ont été à l'image de l'homme que l'on connaissait, de près ou de loin: grandioses sans être bruyantes, sobres mais éloquentes.

Ils ont été nombreux à vouloir lui faire un dernier salut, tellement que des écrans géants avaient été placés à l'extérieur, boulevard René-Lévesque, pour cause de places limitées à l'intérieur.

Ce départ aura été salué comme on salue les plus grands. Car tous les visages repérés dans l'allée centrale avant le début des obsèques permettaient de saisir l'impact de Jean Béliveau, de faire comprendre que son immensité dépassait largement le cadre parfois restreint de la patinoire.

Il y avait là des politiciens, parmi lesquels le premier ministre du Canada Stephen Harper, le premier ministre du Québec Philippe Couillard ainsi que le maire de Montréal Denis Coderre. Il y avait d'anciens joueurs du Canadien, dont ceux qui ont porté le cercueil (Phil Goyette, Robert Rousseau, Guy Lafleur, Yvan Cournoyer, Serge Savard et Jean-Guy Talbot). Il y avait le commissaire de la Ligue nationale de hockey, Gary Bettman, ainsi qu'un propriétaire et ancien grand joueur débarqué directement de Pittsburgh, Mario Lemieux, qui n'a pas l'habitude de sortir bien souvent.

Vibrants hommages

Et il y avait bien sûr la famille de Jean Béliveau, notamment madame Élise Béliveau, qui avait touché tant de coeurs la veille au Centre Bell lors d'un hommage aussi réussi qu'émouvant.

Quelques anciens ont ensuite pris la parole.

«Nous venons de perdre un grand homme, a tenu à dire Dickie Moore. Tellement de gens ont dit tellement de mots à son propos... Moi, j'ai été chanceux, mais lui, il a été bon.»

Ken Dryden, le gardien des grandes conquêtes des années 70: «Tout le monde, un peu partout au pays, a parlé de lui de la même manière: en disant que Jean Béliveau avait de la classe. Je dirais que ce n'est qu'au moment de sa retraite, en 1971, qu'il est devenu vraiment spécial. Ceci n'est pas le moment de dire au revoir, ceci est le moment de dire merci.»

Geoff Molson, propriétaire du Canadien, a expliqué comment il a rapidement saisi l'immensité du numéro 4 à un très jeune âge. «J'avais 1 an et la première fois que j'ai vu Jean Béliveau, il était déjà un géant, a raconté M. Molson. Ses victoires étaient nos triomphes...

Beaucoup de choses ont été dites, j'espère qu'on retiendra ses valeurs: l'humilité, l'abnégation, le courage, la générosité.»

Environ deux heures plus tard, le cercueil recouvert d'un immense drapeau aux couleurs du Canadien a été redirigé vers la sortie, dans ce Montréal enveloppé d'une neige immaculée. Ce vent agressif qui frappait au visage n'a pas empêché des dizaines de partisans d'attendre au froid, le temps d'un dernier au revoir.

Ou plutôt, comme l'a suggéré Ken Dryden, le temps d'un dernier merci.

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Ils ont dit

> Geoff Molson: «La cérémonie était fantastique et très appropriée pour Jean Béliveau. J'étais très fier de lui avoir rendu hommage, je n'aurais jamais pensé avoir la chance de faire ça pour un si grand homme. On a beaucoup honoré Jean, cette semaine, et il y aura maintenant des choses plus permanentes qui seront faites au Centre Bell.»

> Max Pacioretty: «Il respectait tout le monde comme peu de gens sont capables de le faire. C'est pourquoi il a laissé une si bonne impression à tout le monde. Au bout du compte, ça incitera tout le monde qui était présent ici à être de meilleures personnes.»

> Bernard Landry, ex-premier ministre du Québec: «Pour toute la nation québécoise, c'était un personnage très important. Pour le sport, mais ailleurs aussi. Même en administration, il était bon.»

> Dr David Mulder, médecin en chef du Canadien: «Je le connais depuis 1963, comme joueur, mais plus important, comme patient. Il a longtemps été mon patient. Il a livré toute une bataille (contre la maladie). C'est un homme incroyable.»

> Le Dr Mulder, au sujet de la rondelle que lui a donnée Tomas Plekanec après le match de mardi pour qu'il la remette à Élise Béliveau: «N'est-ce pas incroyable? Il m'a dit: "Donnez-la à Mme Béliveau". Elle était tellement contente de recevoir la rondelle, de voir qu'il avait pensé à elle. C'était une fin formidable à une belle soirée.»

> Pierre Boivin, ancien président du Canadien: «Jusqu'à ce qu'il soit très malade, il était encore impliqué dans les activités de la Fondation (des Canadiens pour l'enfance). D'ailleurs, s'il y a une fondation, c'est en grande partie grâce à son inspiration, car on voulait que son oeuvre dans la communauté soit éternelle.»

> Frank Mahovlich, ancien coéquipier et rival de Jean Béliveau: «C'est triste dans la mesure où l'on ne pourra plus lui parler ou le saluer, mais ce n'est pas triste quand on voit la réaction des gens. Tout le monde rend hommage à ce que Jean Béliveau représentait. La partie triste est que tu ne peux pas remplacer un être humain comme lui, et le monde a besoin de gens comme lui.»

> Brendan Shanahan, président des Maple Leafs de Toronto: «Il était l'exemple parfait de la façon dont un joueur de hockey et un être humain doit se comporter.»

> Stéphane Quintal, ancien défenseur du Canadien et vice-président, sécurité des joueurs, de la LNH: «C'était le gentleman et le capitaine parfaits. Je me sens privilégié d'avoir pu le côtoyer, car il avait toujours le temps de nous parler. Même dans le salon des anciens (joueurs), il était toujours là avec son épouse. C'était un grand modèle et une figure charismatique.»

Propos recueillis par Guillaume Lefrançois, Pascal Milano et Richard Labbé