Jacques Demers va regarder la finale de la Coupe Stanley, à compter de demain soir, avec beaucoup d'attention. Pour le spectacle, bien sûr. Mais avant tout parce qu'il connaît très bien les deux entraîneurs impliqués.

Comme plusieurs au Québec, l'ancien entraîneur du Canadien se réjouit de la présence de deux entraîneurs francophones en finale, Claude Julien chez les Bruins de Boston, puis Alain Vigneault chez les Canucks de Vancouver. Il s'agit d'une grande première dans l'histoire de la Ligue nationale. Mais pour Demers, il y a plus: les deux hommes se sont jadis retrouvés sur son chemin alors qu'il tentait de faire sa place derrière les bancs de la LNH.

«Peu de gens le savent, mais j'ai été échangé en retour de Claude Julien! a rappelé Demers en entrevue téléphonique. Et quand je suis arrivé à St.Louis pour diriger les Blues, Alain Vigneault était l'un des défenseurs du club!»

Demers ne plaisante pas. Il a bel et bien été impliqué dans un échange avec Claude Julien, sans doute l'un des échanges les plus étranges de l'histoire du hockey. C'était en 1983, et Demers, alors entraîneur de l'Express de Fredericton (jadis le club-école des Nordiques) fut acquis par les Blues de St-Louis, en retour de deux joueurs: le poids lourd Gord Donnelly... et Julien, qui ne disputera ensuite que 14 parties avec les Nordiques.

Puis, en arrivant chez les Blues, Demers a brièvement dirigé Vigneault, un défenseur qui, semble-t-il, n'était pas reconnu pour faire dans la dentelle.

«Comme défenseur, Alain Vigneault était un dur de dur, se souvient Demers. C'était un gars qui ne reculait devant personne et qui aimait le jeu rude. C'était un joueur au talent limité, qui essayait de faire sa place dans la Ligue nationale à ce moment-là.»

Comme Claude Julien, Vigneault n'a pas connu une grande carrière sur les patinoires de la LNH. Son expérience chez les grands s'est terminée après 42 matchs dans le maillot des Blues de St.Louis.

«Alain ne l'a pas eu facile, a ajouté Demers. C'est un gars qui est parti de loin, et juste le fait de le revoir en grande finale comme ça, je suis très content pour lui. Même quand il était joueur, c'était un gars qui fonçait toujours. Comme entraîneur, il a dû retourner chez les juniors et dans la Ligue américaine avant de revenir dans la Ligue nationale. Il n'a jamais emprunté le chemin le plus facile.»

Le plus drôle, soutient Demers, c'est que Julien et Vigneault jouaient supposément leurs postes lorsque les séries ont commencé en avril. «Il y a des gens qui disaient qu'ils allaient être congédiés si jamais leur équipe s'écrasait en séries... Y'a plus personne qui parle de ça maintenant!»

Une présence qui va ouvrir des portes

Pour Jacques Demers, il y a donc les souvenirs, la portée historique... et la suite des choses. Selon lui, cela ne fait aucun doute: la présence de Julien et de Vigneault en grande finale va profiter aux entraîneurs francophones qui visent les plus hauts sommets.

«C'est sûr que ça ne va pas nuire. Ça va aider les entraîneurs francophones, par exemple ceux qui attendent leur tour chez les juniors. Il ne faut pas non plus oublier l'impact de Guy Boucher. C'est ça qui est intéressant; Boucher, Julien et Vigneault ont chacun été engagés par des directeurs généraux anglophones.

«Ça change. Pendant ma carrière dans la Ligue nationale, j'ai toujours été embauché par des dirigeants francophones, sauf à Detroit. Je ne dirais pas qu'il y avait du racisme, mais la Ligue nationale des années 80, c'était avant tout une ligue réservée aux entraîneurs anglophones, a souligné Demers. Dans ce temps-là, pour un entraîneur francophone, c'était très dur.»

C'est un peu le chemin parcouru que Demers observe à l'aube de cette grande finale. Il voit en Claude Julien et Alain Vigneault deux hommes qui ont fini par faire leur place, deux hommes qui vont permettre de changer les choses, selon lui. Et il voit aussi deux hommes dont les destins ont croisé le sien il y a plusieurs années.

«C'est sûr que c'est spécial d'observer ça, a-t-il offert en guise de conclusion. Ce que Claude et Alain sont en train de faire, je trouve que c'est extraordinaire pour les futurs entraîneurs du Québec.»