Décidément, ce début d'année est plutôt étrange. Il y a des oiseaux qui tombent du ciel. Il y a Sergei Kostitsyn qui se met à marquer. Et il y a Martin Brodeur qui n'est plus le gardien numéro un au New Jersey.

C'est bien ça. À compter de maintenant, Brodeur doit partager le travail avec Johan Hedberg devant le filet des Devils. Ainsi en a décidé Jacques Lemaire, qui a jugé que ça commençait à bien faire. Dur de blâmer le coach dans cette affaire; avec son taux d'efficacité de ,882, Martin Brodeur arrive au dernier rang chez les gardiens de la LNH...

N'empêche, c'est une décision qui renverse. Parce qu'il s'agit de Martin Brodeur. Le recordman. L'homme de fer. Celui qui s'en va droit au Temple de la renommée. Celui qui n'a jamais été ébranlé par les ravages du temps. «Marty», comme ils disent aux States, a déjà connu des petits ennuis par le passé. Mais partager le filet? Ça, c'est quelque chose qu'il n'a jamais eu à faire.

Les chiffres disent tout, n'est-ce pas? En 27 matchs, le gardien de 38 ans n'a récolté que cinq victoires cette saison. Sa moyenne est de 3,15, sa pire depuis qu'il est chez les pros. Bref, ces statistiques ressemblent étrangement à un type qui approche de la retraite.

«Moi, ça ne me surprend pas, a répondu l'analyste et ex-gardien Greg Millen, hier, lors d'une conversation téléphonique. Oui, Martin est l'un des meilleurs de tous les temps, mais dans ce milieu, il n'y a jamais rien de certain. La décision de lui faire partager le filet, c'est pour maintenant, mais ça peut changer.»

Millen, qui a joué dans la LNH pendant 14 saisons, a vu Brodeur et les Devils assez souvent cette saison. Sa conclusion? Ce qui arrive au New Jersey, ce n'est pas seulement la faute de «Marty».

«De nos jours, je trouve qu'on met trop d'accent sur le travail du gardien. On s'attarde tellement sur ces gars-là qu'on oublie souvent le reste du club. On a vanté Antti Niemi à Chicago, mais on a oublié de dire combien il avait un très bon club devant lui.»

Selon Millen, les nombreuses distractions au New Jersey ont probablement miné le moral - et les performances - de Brodeur.

«Un gardien a toujours besoin d'obtenir l'aide de ses coéquipiers, et avec tout ce qui est arrivé cette saison chez les Devils, j'imagine que ça n'a pas été facile pour Martin. Ce gars-là a à coeur les succès de l'équipe, et je suis sûr que toutes les distractions l'ont dérangé. Ça arrive à tous les gardiens. Ça m'est arrivé et je crois que ça lui est aussi arrivé. Il a fini par se perdre dans toutes ces histoires-là.

«Il y a aussi que la défense des Devils n'est plus ce qu'elle était. Regardez un peu leurs défenseurs. Il n'y a personne pour transporter la rondelle. Le départ de Paul Martin a été une lourde perte.»

Oui, ça ressemble un peu à la fin d'une époque. Pendant des années, Brodeur était là, au sommet, seul sur son trône. La saison dernière, il a disputé 77 matchs! Comment un gardien peut-il tomber aussi bas aussi rapidement?

«Allez poser la même question à Tim Thomas, répond sans hésiter Greg Millen. L'an passé, tout le monde disait que c'était la fin pour lui, il n'était plus le numéro un à Boston. Regardez-le aller maintenant...»

Greg Millen a raison. Des gars que l'on croyait finis mais qui reviennent encore plus fort, ça se peut, et Tim Thomas en est le plus récent exemple. On s'entend.

Sauf qu'il y a aussi l'autre réalité. Celle de ceux qui s'accrochent trop longtemps. Ceux qui refusent d'accepter les faits et qui ternissent leur propre réputation en s'attardant sous les réflecteurs. Appelons-ça le syndrome Brett Favre.

Je ne sais pas ce qui cloche avec Martin Brodeur, et peut-être que Brodeur lui-même ne le sait pas non plus.

Mais si le chemin doit s'arrêter ici, si c'est vraiment la fin, alors Brodeur n'a pas à rougir. Sa place parmi les grands est déjà acquise.

La dernière chose qu'on veut, c'est de voir Martin Brodeur s'accrocher trop longtemps.