(Buffalo) Il y a les athlètes, nombreux, qui se décrivent comme des « étudiants du jeu ». Et il y a, dans une classe à part, Devon Levi.

Il y a une dizaine de jours, le gardien montréalais évoluait encore avec les Huskies de l’Université Northeastern. Après l’élimination de son équipe, il a signé son premier contrat avec les Sabres de Buffalo. Jeudi dernier, il prenait part à son premier entraînement de la LNH.

Lundi matin, alors que l’équipe avait eu congé la veille au terme d’un week-end chargé, il s’est encore entraîné avec ses nouveaux coéquipiers. Un œil non averti n’aura rien remarqué de particulier. Don Granato, lui, n’a rien raté.

« On voit déjà qu’il a étudié chaque tireur de notre équipe, a souligné l’entraîneur-chef des Sabres. Il prévoyait comment chacun d’entre eux allait tirer. On voit déjà à quel point il est efficace. »

Jordan Harris a disputé une saison avec Levi à Northeastern. « Ça ne me surprend pas du tout ! », s’est-il exclamé, lundi, lorsqu’on lui a rapporté les propos de Granato.

Le défenseur du Canadien se rappelle notamment avoir vu son coéquipier travailler avec un casque de réalité virtuelle. « Il était là, au milieu du vestiaire, à arrêter des rondelles avec personne autour de lui. C’était assez fou ! »

C’est, aux yeux de Harris, ce qui rend Levi « aussi bon ».

Ce n’est pas d’hier que le natif de Dollard-des-Ormeaux aborde son métier avec autant de sérieux. Dans une entrevue accordée à La Presse en novembre 2020, soit à ses débuts dans la NCAA, il expliquait la manière dont il décortiquait chacun de ses entraînements en visionnant les images captées par une caméra GoPro installée derrière son filet.

Mesurant 6 pi, il est considéré comme un petit gardien. Il a donc érigé le suivi visuel de la rondelle (tracking) au rang de quasi-obsession et accorde un souci méticuleux à peaufiner ses déplacements.

« Il bouge tellement bien ! », lance Ukko-Pekka Luukkonen, nouveau partenaire de Levi devant le filet des Sabres. « Il n’est pas le plus gros, mais il compense autrement. Regardez Juuse Saros, qui est un des meilleurs gardiens de la ligue. »

Petit ou grand, ça ne compte pas ; si tu es un bon gardien, tu es un bon gardien. Tu dois te démarquer.

Ukko-Pekka Luukkonen

Le nom de Saros est presque systématiquement prononcé lorsqu’il est question de Levi. D’une part parce qu’il fait partie des gardiens préférés du Montréalais. Et d’autre part parce qu’il est le seul cerbère de 6 pi ou moins à avoir disputé la majorité des matchs de son équipe cette saison dans la LNH.

Le sujet de la grandeur des gardiens n’est pas neuf, remarquez. « On m’en parlait à mon année de repêchage », a rappelé Saros lui-même, au début du mois de janvier, en marge de la visite du Canadien à Nashville. Le Finlandais a été repêché en 2013.

La marge de manœuvre, pour les gardiens au gabarit plus menu, est mince, voire inexistante. « Je dois être attentif aux détails dans mon positionnement et dans mes mouvements pour ne donner aucun espace », avait ajouté Saros.

Ça ressemble drôlement à la quête de Devon Levi.

Nuage

Aussi cérébral et rationnel soit-il, le Québécois semble encore flotter sur un nuage.

Après l’entraînement de son équipe, lundi, il a parlé de la chance qui s’offre à lui comme d’un « honneur ». Il ne sait pas s’il disputera un match d’ici la fin de la saison, mais il ne s’en soucie pas. Il est survolté dès l’instant qu’il se réveille le matin et concentre toutes ses énergies dans l’unique journée devant lui.

« Quand ils me donneront le signal, je serai prêt », promet-il. Une déclaration qui est valable autant ces jours-ci que la saison prochaine, à Buffalo ou à Rochester, dans la Ligue américaine. « Je veux juste arrêter des rondelles », résume-t-il.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Devon Levi

L’organisation place des espoirs élevés en lui, mais semble prête à prendre son temps. Dans une entrevue à La Presse il y a un peu plus d’un an, le directeur général Kevyn Adams s’était enthousiasmé au sujet du jeune gardien qu’il avait acquis, quelques mois auparavant, par le truchement d’une transaction.

« Je crois qu’il a un avenir brillant », avait affirmé le DG, ajoutant que l’organisation ne voulait « rien précipiter » dans son cas. L’équipe était prête à lui offrir un contrat le printemps dernier, mais on a respecté sa décision de passer une année de plus à l’université.

Si l’organisation est conséquente, elle lui accordera le temps nécessaire pour s’adapter. En lui faisant signer un contrat de la LNH dès cette saison, on a voulu le voir évoluer immédiatement dans l’entourage de l’équipe, ce qui n’empêche pas qu’on le cède aux ligues mineures l’automne venu.

Levi n’en demandait pas tant. Depuis une semaine, il touche à son rêve. Sur la glace, il constate qu’il doit être « parfait » vu la qualité des tirs qu’il affronte. « Tout le monde peut compter des buts », dit-il.

Dans le vestiaire, il trouve ses repères auprès de ses nouveaux coéquipiers. Les trois gardiens de la formation – Ukko-Pekka Luukkonen, Eric Comrie et Craig Anderson – l’ont pris sous leur aile.

Luukkonen ne l’avait jamais rencontré avant la semaine dernière, mais on croirait l’entendre parler d’un vieil ami. « Tout le monde voit à quel point il est talentueux, mais la première chose qu’on remarque, c’est son éthique de travail. Il s’intéresse à tous les détails, il est impatient de s’améliorer. Il est impressionnant. »

C’est facile de travailler avec eux. Ils sont tous très accueillants.

Devon Levi

Il apprécie notamment ses discussions avec Anderson qui, à 41 ans, pourrait littéralement être son père. « Il est tellement intelligent ! J’apprends beaucoup avec lui, c’est très bon pour moi. C’est parfait, en fait. »

Le scénario encore plus parfait aurait sans doute été qu’il affronte le Canadien lundi, mais son premier départ attendra encore un peu. Les Sabres s’accrochent encore à un mince espoir d’accéder aux séries éliminatoires. Et Levi, de toute façon, n’est pas pressé.

Même si cet étudiant du jeu semble prêt pour la remise des diplômes, il n’a pas fini d’apprendre. On peut même croire qu’il ne fait que commencer.