En juin dernier, l'ancien joueur des Blackhawks de Chicago Dan Carcillo a semé l'émoi dans le monde du hockey en publiant une vidéo dans laquelle il affirmait être prêt à redonner son argent et ses conquêtes de la Coupe Stanley en échange d'un cerveau en santé.

On mesure parfois mal la portée de tels messages. Ils font jaser, ils suscitent des conversations, mais concrètement, quels en sont les effets?

Connor Crisp est l'incarnation même de l'impact de ces messages. C'est pourquoi dimanche, à l'âge de 24 ans, cet ancien espoir du Canadien a annoncé sa retraite en raison de symptômes liés aux commotions cérébrales.

«La vidéo de Dan Carcillo m'a vraiment ouvert les yeux, a dit le jeune homme à La Presse, en entrevue téléphonique. C'est fou de voir ce qu'il a vécu, entre le succès qu'il a connu et ce qu'il combat aujourd'hui. Je ne voulais pas continuer ma vie comme ça.

«Depuis trois ans, j'ai des maux de tête au quotidien. Certains jours, ils sont plus puissants que d'autres. J'ai consulté plusieurs médecins, parlé à plein de gens. Je préférais mettre fin à ma carrière maintenant, plutôt que jouer et me faire frapper en octobre et devoir me retirer à ce moment-là.»

Une bagarre de trop

Crisp se souvient parfaitement de ce 28 octobre 2015, quand tout a déraillé. Les IceCaps de St. John's étaient à Lehigh Valley. Après seulement 2 min 42 s en première période, les gants sont tombés. Dans l'aréna, on a entendu le bruit d'une cloche, comme lors du début d'un combat de boxe.

«Dès ma première présence, je me suis battu contre Derek Mathers. J'ai reçu un bon coup de poing, mais j'ai terminé le match. Le lendemain, je ne me sentais pas très bien, je l'ai dit à l'entraîneur. Je ne me suis jamais remis de ce coup. Je ne pouvais jamais revenir à la normale. Je pouvais me sentir correct, mais jamais bien.»

Crisp a disputé le match suivant, le 30 octobre, mais rien n'allait. Il l'ignorait à ce moment, mais c'est là que sa saison s'est terminée. Aux maux de tête et à la vision embrouillée s'est ajouté l'autre symptôme, peut-être le plus inquiétant: la dépression.

«J'ai eu des moments où je n'étais vraiment pas dans un bon état d'esprit. On dit souvent qu'un joueur sur la liste des blessés est un peu à l'écart des autres. Tu arrives plus tôt à l'aréna, tu repars à des heures différentes de tes coéquipiers, donc tu n'as pas beaucoup de contacts avec eux. L'équipe partait deux semaines sur la route, j'étais pris dans mon appartement à St. John's, je ne connaissais personne d'autre en ville, et je ne pouvais pas faire d'exercice. Je me sentais assez mal. Chaque mise en échec que je recevais me donnait des maux de tête. Ça allait en empirant.»

Les symptômes ne sont jamais partis de façon définitive. Puis, la saison dernière, quand il jouait avec le Walleye de Toledo, son corps lui a envoyé un message.

«Le vendredi soir, je me sentais déjà mal, mais j'ai tout de même joué. Puis, le samedi contre Atlanta, j'étais dans le coin, je me suis retourné, et ma vision était floue. Un rival a essayé de me mettre en échec, mais m'a raté. Sauf que je ne l'ai jamais vu venir! C'est là que j'ai réalisé que je n'étais pas là. Je suis retourné à la maison ce soir-là, j'ai appelé ma copine, je lui ai dit que je pensais à me retirer de la formation. J'en ai parlé aux entraîneurs, ils m'ont soutenu.

«J'ai commencé à me sentir un peu mieux ensuite. En fait, j'arrivais à me sentir comme à l'habitude, ce qui signifiait alors de légers maux de tête.»

Aucun regret

Quand le Canadien a repêché Crisp au troisième tour en 2013, l'intention de l'équipe était claire: ajouter du muscle. L'équipe s'était fait brasser toute la saison, et les sélections de Michael McCarron au premier tour et de Crisp au troisième tour allaient dans ce sens.

Selon le site spécialisé HockeyFights, Crisp s'est battu neuf fois dans les rangs juniors lors de son année de repêchage. En 63 matchs dans la Ligue américaine, il a livré 10 combats. Ressentait-il une pression de jouer de façon robuste pour répondre aux attentes de l'organisation?

«Non, ça faisait partie de mon style. [Marc] Bergevin voulait ajouter de la robustesse et protéger ses joueurs. Si les bagarres sont abolies, ça deviendra plus difficile de protéger les joueurs. Je ne regrette aucune de mes bagarres. Elles font partie du hockey et je savais très bien dans quoi je m'embarquais en jouant.

«Je ne changerais rien à ma carrière. Ma façon de jouer est ce qui m'a permis d'être repêché et de connaître une belle carrière.»

Nouvelle vie

Crisp n'a pas tardé à amorcer sa nouvelle carrière, et il demeurera dans le monde du hockey. Seulement, il le fera dans son patelin d'Alliston, au nord de Toronto.

Cette nouvelle carrière, c'est celle de «skills coach», entraîneur d'habiletés, pourrait-on traduire, à la barre de Crisp Hockey Training, son entreprise. Il travaille à son compte, autant avec des joueurs professionnels que de niveau mineur.

«J'ai été repêché au troisième tour pour une raison, et ce n'était pas parce que je me battais tous les soirs, dit-il fièrement. Les gens pensent que les habiletés, c'est le maniement de rondelle entre des cônes. Mais il y a d'autres habiletés à montrer, par exemple comment s'échapper d'un défenseur en fond de territoire, à deux contre deux, comment se créer de l'espace.

«Je veux transmettre des choses que j'ai dû m'apprendre à moi-même dans la Ligue américaine et en ECHL. Je ne vois pas pourquoi des jeunes ne peuvent pas l'apprendre avant d'arriver dans des niveaux supérieurs. Je viens d'une petite ville et je suis assez connu par ici. J'aimerais que plus de jeunes d'ici obtiennent l'occasion que j'ai eue.»

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