Les Nordiques ont quitté Québec au milieu des années 90 et pourtant, l'un de leurs anciens choix au repêchage joue encore au hockey. Choix de 7tour en 1993 -l'année où le gardien Jocelyn Thibault avait été la première sélection du Fleurdelisé-, David Ling continue de rouler sa bosse chez les professionnels avec le Beast de Brampton dans la Ligue de la côte Est (ECHL).

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« J'ai participé à deux camps d'entraînement des Nordiques, dont celui qui a marqué l'arrivée de Peter Forsberg », se souvient l'ailier de 42 ans.

On ne vous en voudrait pas de ne pas vous souvenir de Ling, un joueur qui n'a fait que passer mais qui a disputé son tout premier match dans la LNH avec le Canadien. Ça se passait le 11 janvier 1997.

« C'était un samedi soir face aux Bruins de Boston, se rappelle-t-il. Le match était diffusé à Hockey Night in Canada et mon père, qui assistait à la partie, avait été interviewé. Je pense qu'il y avait eu une photo de moi avec Raymond Bourque le lendemain matin dans le journal...

« C'était des conditions idéales pour vivre un premier match. »

Vingt ans plus tard, Ling arbore toujours l'écusson du CH car il est brodé sur le chandail du Beast, l'équipe affiliée au Canadien dans la ECHL.

« C'est ironique, n'est-ce pas ? » reconnaît-il. 

« Le logo du Canadien, comme celui des Maple Leafs, symbolise le hockey. Vingt ans plus tard, je suis fier de le porter, même si c'est un chandail d'une équipe de l'East Coast. »

Le Beast aime présenter Ling comme le plus vieux joueur en Amérique après Jaromir Jagr. Pour remettre les choses en perspective, disons seulement que Ling a fait ses débuts professionnels en 1995, l'année où le gardien Zachary Fucale est né.

Aujourd'hui, les deux sont coéquipiers à Brampton.

Sur les traces de Gerard Gallant

La longue carrière de Ling est d'autant plus surprenante qu'il ne mesure que 5 pi 9 po et qu'il n'a jamais été bien rapide. Il a entre autres fallu qu'il soit épargné par les blessures, ce qui est un exploit, compte tenu de son style combatif.

« Il avait un méchant tir et de bonnes mains, se souvient Mathieu Darche qui a été son coéquipier pendant deux ans avec le Crunch de Syracuse, l'ancien club-école des Blue Jackets de Columbus. Il n'était pas grand, mais il brassait de la merde sur la glace, un peu comme Matthew Barnaby. »

Même si Ling avait été nommé joueur de l'année dans la Ligue de l'Ontario en 1994-1995, il n'était pas hautement considéré dans les cercles de la LNH. Personne à l'époque n'aurait pu imaginer qu'il représenterait un jour la dernière trace de l'existence des Nordiques.

« Dans le temps, si tu ne mesurais pas 6 pi, on ne te regardait même pas. Il fallait que je me fasse remarquer, et une façon d'y arriver était de démontrer que je jouais plus gros que ne le faisaient les autres joueurs de 5 pi 9 po. »

S'inspirant de Gerard Gallant, l'idole locale à l'Île-du-Prince-Édouard, il est devenu, en dépit de sa petite taille, un joueur qui pouvait vous défier autant par ses points que par ses poings. En 93 matchs dans la Ligue nationale - trois avec le CH et 90 autres avec les Blue Jackets -, il a entre autres jeté les gants devant Bryan Marchment, Jordin Tootoo et Steve Ott...

Ling aurait aimé avoir une meilleure chance de faire valoir ses atouts offensifs dans la LNH, mais « au moins, [il s'y est] rendu ». Et même si la ligue est désormais plus ouverte aux joueurs de petite taille, il ne croit pas avoir joué à la mauvaise époque.

« Je n'ai jamais été un bon patineur, et de nos jours, le hockey est devenu tellement rapide... »

À la banque avec un homme armé

En 22 ans de carrière, Ling a joué dans 10 ligues et porté 20 uniformes différents. Emporté par la vague du lock-out de 2004, il a mis une croix sur la LNH et entrepris une tournée mondiale qui l'a mené en Russie, en Finlande, en Suisse, en Italie et en Angleterre.

Ling a passé cinq ans en Russie : deux ans d'abord à l'époque de la Super Ligue, puis trois saisons, un peu plus tard, lorsque le circuit était devenu la KHL.

« C'est moi qui lui ai trouvé son premier emploi en Russie, lance l'ancien gardien Tyler Moss, qui a été son coéquipier dans quatre organisations différentes.

« Il avait été embauché par le Dynamo de Moscou, mais l'équipe refusait de le payer. Ils voulaient le forcer à aller sur la glace quand même et il avait refusé. J'étais avec le Spartak à ce moment-là - à l'autre extrémité de la ville - et je lui ai dit que notre club s'intéressait à lui. Il est venu et on a pu conclure une entente dans les jours qui ont suivi. »

Quand est venu le temps d'être payé, le Spartak a sorti les enveloppes brunes et l'argent comptant. Ling a bien fait de cacher sa paie à l'aréna, car le jour même, son appartement a été vandalisé.

« Je pense que ça venait de l'intérieur, que quelqu'un de l'organisation était derrière le coup, dit-il. Je pense même savoir de qui il s'agit, mais je n'ai jamais pu le prouver. Un coéquipier et moi avons dû embaucher un homme armé le lendemain pour nous accompagner à la banque... »

Ling a terminé cette saison-là en tête des marqueurs du Spartak. Et il avait passé l'année à enguirlander les équipes adverses sans que personne comprenne un mot de ce qu'il disait.

Dur pour la famille

Plus tard, Ling est devenu une sorte de légende dans la Ligue élite anglaise où il a aidé les Panthers de Nottingham à remporter le championnat en 2013.

« Il y a 11 ou 12 joueurs importés dans chaque équipe, et puisque la livre sterling vaut plus que l'euro, ça attire plusieurs joueurs, explique Ling. La ligue s'améliore constamment et elle est compétitive avec les autres championnats européens de second niveau. »

Il a toutefois mis fin à son deuxième séjour en Angleterre, l'an dernier, lorsque le Beast lui a offert un salaire équivalent pour rentrer au pays.

« Normalement, ce n'est pas dans ma personnalité de lâcher quelque chose que j'ai entrepris, mais ça me donnait l'occasion de me rapprocher de mes garçons [Bates et Dylan]. En plus, ils ont eu l'occasion de nous accompagner en autobus lors d'un de nos voyages.

« Je me sens mal d'avoir abandonné l'équipe en cours de saison, mais on apprend dans le hockey qu'il faut d'abord s'occuper de soi-même, car il n'y a personne pour veiller sur nous. »

Ling reconnaît qu'au fil des ans, le hockey a durement éprouvé sa vie de famille.

« Vous pouvez demander à mes ex-épouses ! Les relations ne sont pas faciles dans le hockey, surtout pour les plus jeunes joueurs. Les conjointes délaissent leur vie en vous accompagnant aux États-Unis, elles perdent un peu leur identité et si elles ne sont pas en mesure de travailler, elles vivent à vos crochets et les choses peuvent mal tourner. Si c'était à refaire, je me marierais à un âge plus avancé. Non pas que je n'étais pas prêt à l'époque, mais parce que ça fait 23 ans que je suis un nomade. Je n'ai pas vraiment de maison. »

Tout ce temps-là, Ling y est allé à coups de contrats d'un an, avec l'incertitude comme seule garantie. Il a décroché une maîtrise en administration des affaires durant son séjour en Angleterre et s'est ensuite cru prêt à accrocher ses patins. Mais après avoir travaillé six mois pour la Commission des alcools de l'Île-du-Prince-Édouard, il était en train de devenir fou.

« J'ai pris ma retraite au moins trois fois », estime-t-il. Mais chaque fois, le sport - mais surtout la camaraderie - a fini par lui manquer.

À 42 ans, le poids des années se fait sentir. Ling va aider le Beast de Brampton en séries éliminatoires, mais au-delà de cela, il ignore de quoi sera fait l'avenir. Et s'il est prêt à se consacrer à temps plein à son après-carrière.

« Je ne peux même plus dire que c'est ma dernière saison parce que mes amis vont rire de moi », lance-t-il avec un sourire édenté.

Photo John Warren, fournie par le Beast de Brampton

À 42 ans, David Ling va aider le Beast de Brampton en séries éliminatoires, mais au-delà de cela, il ignore de quoi sera fait l'avenir.