Ça s'est passé durant la saison 1996-1997. Scotty Bowman est entré dans le vestiaire des Red Wings de Detroit. Il s'est approché de ses cinq joueurs russes et leur a dit: «Je ne sais pas qui vous a appris à jouer comme ça, mais surtout ne changez rien.»

Qui leur a appris à jouer comme ça? C'est ce qu'explique le documentaire Red Army, qui prend l'affiche le 27 février au Québec. Le film raconte la naissance du hockey soviétique, son hégémonie passagère et son influence sur la Ligue nationale de hockey.

Mais il raconte surtout le parcours du grand défenseur Viacheslav Fetisov, né dans la pauvreté en Union soviétique, capitaine de l'équipe nationale, ardent patriote, déchiré entre son pays et son désir de jouer dans la Ligue nationale.

«Je le considère comme un ami, mais je ne savais pas tout ce que Fetisov avait vécu, tous les obstacles qu'il a dû surmonter. Je l'ai appris dans le film, a expliqué Scotty Bowman en entrevue cette semaine. Ç'a été dur pour lui. Il a dû traverser beaucoup d'épreuves.»

Red Army remonte aux sources. Il y a d'abord eu Anatoli Tarasov, un entraîneur proche de ses joueurs, à l'allure de grand-papa gâteau, sorte d'intellectuel du hockey qui pensait que les hockeyeurs pouvaient apprendre de l'entraînement des danseurs de ballet et ne jurait que par les passes et la possession de la rondelle.

Il y a aussi eu Viktor Thikonov, un cadre du KGB devenu entraîneur. Autoritaire et détesté de ses joueurs, il les tenait enfermés loin de leurs familles 11 mois par année.

Puis il y a le parcours de Fetisov, ce héros soviétique tombé en disgrâce parce qu'il rêvait de jouer dans la LNH. Quand Scotty Bowman a pris la tête des Red Wings en 1993, l'équipe comptait déjà trois Russes: Sergei Fedorov, Vyacheslav Kozlov et Vladimir Konstantinov. Les Russes venaient de faire leur entrée dans la LNH. Plusieurs entraîneurs avaient des doutes. Bowman, l'un des plus grands tacticiens de l'histoire du hockey, n'en avait pas. Il a mis la main sur Fetisov et Igor Larionov.

Les Red Wings et leurs joueurs russes allaient gagner deux Coupes Stanley de suite (1997 et 1998). Ils allaient aussi changer l'allure du hockey dans la LNH.

«Je ne voulais rien changer à leur style. Je voulais qu'ils jouent leur genre de hockey, se souvient Bowman. Je limitais même leur temps de glace pour que les autres équipes ne comprennent pas leur style. Mais je les ai beaucoup utilisés en séries, par contre.»

«Les autres équipes ne pouvaient pas toucher à la rondelle. Les amateurs les adoraient. Il y avait des passes, de l'anticipation, et tout à coup il y avait une échappée. C'était excitant. C'était du beau hockey.»

Ils ont changé la LNH

Bowman, un natif de Montréal qui a remporté cinq fois la Coupe Stanley à la tête du Canadien, vit maintenant à Sarasota, en Floride. À 81 ans, il regarde encore des matchs de la LNH. «Tous les soirs», dit-il.

Il est persuadé que l'arrivée massive des joueurs russes dans la LNH a changé le hockey à jamais. «Les défenseurs qui bougent, qui jouent comme des attaquants. Les ailiers qui changent d'aile, qui se déplacent. Les Russes ont introduit tout ça, note Bowman. Avant, dans le hockey nord-américain, si tu étais ailier gauche, tu restais à gauche. Mais maintenant ils vont partout, de tous les côtés, à l'avant ou à l'arrière.»

Selon lui, la Ligue nationale aurait pu aller plus loin en adoptant la tradition russe des quintettes (trois attaquants et deux défenseurs) plutôt que les trios.

«J'ai essayé cette manière de faire, mais c'était difficile avec notre système. On joue à 6 défenseurs et 12 attaquants, alors ça fait trois lignes de défenseurs et quatre d'attaquants, explique-t-il. C'est pourquoi les Russes aiment pouvoir habiller 20 joueurs, parce qu'ainsi ils ont quatre quintettes. C'est une idée très rusée. Quand les mêmes défenseurs jouent avec les mêmes attaquants, ils s'habituent. C'est un gros avantage.»

«Je l'ai essayé un peu à Montréal quand je faisais jouer Serge Savard avec Larry Robinson. Quand ils étaient sur la glace avec Lafleur, Lemaire et Shutt, ces cinq gars-là étaient impossibles à arrêter.»

L'équipe nationale soviétique aussi a été impossible à arrêter, tout comme Viacheslav Fetisov, qui a fini par jouer dans la LNH, et tout comme la marche de l'histoire, qui a brisé le rideau de fer et changé le hockey nord-américain à jamais.

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Red Army, un documentaire du réalisateur Gabe Polsky, prendra l'affiche le 27 février au Québec. Une présentation spéciale aura lieu lundi à 18 h 30 au Cineplex Forum, en présence de Serge Savard.