Comment une ville de moins de 30 000 habitants, située dans les forêts du nord de la Suède, a-t-elle pu produire des dizaines de joueurs de la LNH? C'est le mystère d'Örnsköldsvik. Voyage au coeur du hockey suédois.

Le train de nuit est parti de Stockholm et file dans la noirceur complète vers le nord de la Suède. Le voisin de couchette s'appelle Ronnie. Il porte une casquette frappée du logo d'un constructeur de motoneiges. Il retourne chez lui, à 200 km du cercle polaire, et sent un peu la bière.

«D'où tu viens?», demande Ronnie.

Quand il entend la réponse, ses yeux s'éclaircissent et il ose: «Tu aimes le hockey?»

Ronnie sort de son sac deux cannettes de cette bière forte, brune et alcoolisée dont raffolent les Scandinaves. C'est un signal universel: le temps est venu de parler de sport.

Quand il apprend que j'arrête à Örnsköldsvik, à 500 km au nord de Stockholm, il lance du tac au tac et d'un air rêveur: «Ah, Peter Forsberg!»

Au petit matin, Örnsköldsvik est un mélange de rose et de bleu, quand le jour se lève sur le golfe de Botnie. La ville - que l'on appelle aussi O-vik un peu par paresse - est modeste. Mais malgré ses quelque 30 000 habitants, elle a produit une vingtaine de joueurs de la LNH, comme Peter Forsberg, Markus Naslund et, plus récemment, les frères Sedin.

La télé suédoise s'est déjà demandé comment cette ville si petite arrivait à produire autant de joueurs de hockey, quelle était la raison derrière le «mystère d'O-vik». Peut-être la qualité de son eau, a-t-on conclu, moitié à la blague, moitié de guerre lasse.

L'après-midi, à l'aréna du club local, MODO, les joueurs font leur premier entraînement sur glace depuis les vacances d'été. Anders Forsberg donne ses consignes. À 48 ans, l'homme qui a grandi à O-vik dirige maintenant cette équipe mythique.

«Le hockey, c'est tout ici. C'est une ville de cols bleus où tout tourne autour du hockey. Si l'équipe va mal, la ville va mal. Ça ressemble un peu à Montréal, toutes proportions gardées, dit en rigolant Forsberg, qui n'a pas de lien avec Peter. Même si vous n'êtes pas intéressé par le hockey, ici, vous êtes quand même intéressé par le hockey. Quand vous pratiquez un sport qui n'est pas le hockey, les gens vous demandent: mais pourquoi? Le soccer passe en deuxième, ici.»

À O-vik, il n'y a pas beaucoup de riches. La ville du Nord vit entre autres de l'industrie des pâtes et papiers. Elle accueille aussi le siège social d'une entreprise de plein air qui a le vent dans les voiles, Fjällräven.

«Mes parents étaient cols bleus, ils n'avaient pas un sou, raconte Forsberg. Mon père était menuisier et ma mère s'occupait de nous à la maison. Ils étaient comme un peu tout le monde ici. Il n'y a pas de riches dans cette ville.»

L'exemple Karlsson

Selon l'entraîneur-chef de MODO, plus que la qualité de l'eau, c'est le modèle suédois de développement qui explique le nombre élevé de joueurs qui proviennent d'O-vik. Forsberg a oeuvré dans le hockey nord-américain, notamment comme dépisteur chez les Sénateurs d'Ottawa. C'est d'ailleurs lui qui a convaincu les Sénateurs de choisir Erik Karlsson au premier tour du repêchage de 2008.

«J'ai aidé au repêchage d'Erik Karlsson. Erik n'aurait jamais, jamais percé dans le système nord-américain. Il aurait été mis de côté à l'âge de 12 ans. Parce qu'il était petit, l'un des joueurs les plus petits que j'ai vus à cet âge, raconte le Suédois. Et il était nul en défense. Il a encore des problèmes avec l'aspect défensif, mais il était vraiment nul plus jeune.»

«Il était petit, maigrichon et n'avait aucun muscle. Mais le système suédois n'écarte pas tout de suite des joueurs comme ça. Ils ont leur chance même s'ils ont leur poussée de croissance à 18 ou 19 ans.»

Karlsson a depuis remporté le trophée Norris remis au meilleur défenseur de la LNH, il a été nommé capitaine par les Sénateurs et est considéré comme l'un des meilleurs joueurs de la ligue.

«La plus importante différence entre les deux systèmes, c'est qu'en Amérique du Nord, il y a des sélections. Il faut être exceptionnel à 10 ou 13 ans. Ici, toutes les équipes espèrent garder tous leurs joueurs au fil des ans, remarque Anders Forsbger. On ne les coupe jamais. L'Amérique du Nord est une société plus dure. Ici, c'est social-démocrate.»

Le «slow hockey»

Au bord du golfe, l'aréna flambant neuf de MODO est le plus grand bâtiment en ville. C'est dans ses entrailles que se trouve le bureau de Tomas Grundstrom, responsable des équipes de 6 à 16 ans.

Grundstrom a la responsabilité des équipes mineures de MODO. En Suède, les équipes de jeunes sont divisées en clubs, et chaque équipe professionnelle de la Ligue de hockey suédoise (SHL) a son équipe de hockey mineur.

«Une des parties les plus importantes de mon travail est de voir comment les entraîneurs dirigent les jeunes, explique Grundstrom. Je leur parle souvent de cet aspect. Jusqu'à 14 ans, les joueurs doivent avoir le même temps de glace.»

Comme les autres clubs de Suède, MODO emploie le modèle du «slow hockey» qui fait la particularité du pays. «Les systèmes de jeu, on commence un petit peu à 15 ans, mais c'est vraiment à 16 ans qu'on les introduit. Je veux que mes entraîneurs travaillent davantage sur le jeu à un contre un, ou à un contre deux.»

Le système lent des Suédois a ses avantages et ses inconvénients. Les joueurs prennent davantage de temps à se développer, selon Anders Forsberg. «Aux championnats du monde junior, les Canadiens sont plus costauds et plus forts que les Suédois. Mais leur sens du hockey n'est pas supérieur au nôtre. Parfois on gagne, parfois on perd.»

Pour l'entraîneur-chef, il ne fait aucun doute: le système suédois est le bon pour son pays. «Un système lent aide les gars comme Erik Karlsson. Mais ce n'est pas juste au hockey, précise l'entraîneur de MODO. Notre pays est construit selon ce modèle. Il y a un filet social ici, les gens ont des chances plus égales. C'est vrai au hockey aussi.»

Alors, il est où, le secret d'Örnsköldsvik? Pas dans l'eau, paraît-il. Peut-être dans la lenteur. Dans ce modèle suédois qui, dans ce pays même, est souvent remis en question, mais qui perdure parce qu'il fonctionne. Mais aussi parce qu'il est, jusqu'au bout des ongles, intrinsèquement suédois.