Comment fabriquer des joueurs de la LNH? Il n'y a pas de recette magique. Sauf que celle de la Suède fonctionne, contrairement à celle du Québec. Depuis quelques années, la nation scandinave a doublé la province au hockey. Comment les Suédois s'y sont-ils pris? Le Québec peut-il imiter son modèle? La Presse est allée voir sur place.

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Norrtälje est une bourgade au nord de Stockholm aux maisons colorées, serpentée par un canal où se baignent les canards. Arriver ici, c'est comme mettre les pieds dans une carte postale.

La région est ancienne. Des archéologues y ont découvert un important cimetière datant de l'âge des Vikings, une période de grande expansion pour les sociétés scandinaves.

C'est dans cette petite ville que se rassemblent chaque été les meilleurs jeunes hockeyeurs de la Suède pour un camp de perfectionnement. Le symbole est fort, car comme les Vikings à l'époque, le hockey suédois connaît lui aussi une période de grande expansion. Et rien n'indique que la fin approche.

Les chiffres ne mentent pas. Quand Peter Forsberg a mis les pieds dans la Ligue nationale de hockey, en 1994, il y avait 28 joueurs suédois qui évoluaient au plus haut niveau. Dix ans plus tard, ils étaient 52; 20 ans plus tard, en 2013-2014, la LNH comptait 78 joueurs suédois.

Pendant ce temps, le Québec recule. La province fournissait 97 joueurs à la LNH en 1994; 10 ans plus tard, ils étaient 94. Mais dans les 10 dernières années, le nombre de Québécois dans la ligue n'a cessé de baisser. Il n'y en avait plus que 59 la saison dernière.

Cette tendance ne semble pas près de fléchir. Jamais autant de joueurs suédois n'ont été repêchés. Le repêchage de 2011 a marqué un record avec 28 Suédois sélectionnés. Ils étaient 23 l'année suivante, puis 23 il y a 2 ans, et finalement 27 au repêchage du printemps dernier.

Les Québécois, eux? Ils ont été 10 à être repêchés en 2011, 11 en 2012, 21 en 2013 lors d'une cuvée exceptionnelle, puis 11 au dernier repêchage.

Le constat est simple: la Suède a doublé le Québec. Pourtant, les deux sociétés sont comparables. Si le pays scandinave a 1,5 million d'habitants en plus, il compte moins de joueurs de hockey. Selon les chiffres fournis par les deux fédérations, le Québec a 35 000 joueurs de hockey de plus que la Suède.

À la lumière de ces chiffres, une seule conclusion s'impose: le modèle suédois de développement des joueurs fonctionne, alors que le modèle québécois peine à produire des joueurs d'élite. Est-il trop tard pour rectifier le tir? Les Québécois sont-ils condamnés à la marginalité dans la LNH?



Le sommet de 2002

Sur la glace du petit aréna de Norrtälje, les meilleurs joueurs suédois de 16 ans driblent avec la rondelle, contournent les cônes, tirent au filet sous les yeux attentifs des entraîneurs les plus réputés du pays.

«On appelle ces camps des "russincamps", explique l'entraîneur de l'équipe nationale suédoise U16, Uffe Lundberg. Le mot "russin" signifie petits raisins, en suédois. On rassemble deux fois par année les meilleurs joueurs du pays, comme on sortirait les petits raisins d'un gâteau, car les raisins sont le meilleur du gâteau!»

Par les temps qui courent, les «petits raisins» suédois vont très bien. Lors des trois derniers championnats du monde junior, la Suède a remporté une médaille d'or et deux d'argent.

Aujourd'hui, le modèle suédois de développement est cité en exemple. Mais ça n'a pas toujours été le cas.

En 2002, le hockey suédois était malade. L'équipe U20 n'arrivait plus à battre l'Allemagne ou même la Biélorussie. «Nous n'arrivions plus à produire de grands joueurs et notre équipe junior n'était plus capable de gagner à l'international», note Tommy Boustedt, responsable du développement des joueurs à la Fédération suédoise de hockey.

Boustedt a donc été chargé d'opérer une petite révolution. Il a réuni 120 des plus brillantes têtes de hockey que comptait le pays - des entraîneurs, d'anciens joueurs de la LNH, des arbitres, des agents, des dépisteurs - pour un séminaire où absolument tout était sur la table.

«La société suédoise n'est pas très hiérarchique. Les Suédois ont la tête dure: s'ils n'ont pas été impliqués dans la décision, il est presque impossible de leur vendre une idée, explique Boustedt, qui a connu une brillante carrière d'entraîneur dans la ligue suédoise avant de s'impliquer dans la fédération. Mais si tout le monde avait son mot à dire dans le programme, alors tous travailleraient corps et âme pour le mettre en pratique. Ç'a été la clé pour nous.»

La rencontre a accouché de 10 pistes de solution. Elles devaient permettre au hockey suédois de sortir de sa torpeur, de revenir au sommet. L'une de ces recommandations était la création de 12 postes de conseiller.

Les 12 apôtres

Ces 12 apôtres du nouveau hockey suédois devaient partir aux quatre coins du pays pour propager la bonne nouvelle. Ils seraient le lien entre la Fédération et toutes les équipes de hockey mineur au pays. Ils devaient mettre en place les neuf autres recommandations. Ils seraient la clé du succès ou de l'échec de cette petite révolution.

«Ça n'a pas été facile au début», concède Uffe Lundberg. Celui qui s'occupe maintenant des U16 a été embauché comme conseiller en 2002. À l'époque, Lundberg était un ancien joueur, tout juste sorti de l'université. Il a étudié la psychologie du sport et le leadership avec une spécialisation en hockey. Il avait 24 ans et se voyait soudainement comme un rouage essentiel du renouveau du hockey suédois.

Douze ans plus tard, il constate que l'opération a été un succès. «Nous sommes suédois, alors nous ne sommes pas les meilleurs pour vanter notre système, dit Lundberg en rigolant, en référence au caractère humble que l'on prête aux Scandinaves. Partout dans le monde, plusieurs personnes nous demandent notre secret, reconnaissent notre réussite. Peut-être qu'on devrait commencer à en parler un peu plus.»