Rares sont les athlètes professionnels capables de prévoir leur sortie de piste. Mathieu Darche se rappelle parfaitement la sienne, le 21 février 2012 au Centre Bell, même si le public ne s'en souvient probablement pas.

Il n'y a pas eu de tour de glace pour saluer les fans une dernière fois, pas d'ovation, pas d'étoile. «C'était contre Dallas. Plekanec était malade et en son absence, on m'avait cousu le "A" sur le chandail. Ça ne voulait plus ou moins rien dire parce que je n'étais pas un assistant permanent, mais pour un p'tit gars qui a grandi à Montréal, c'était un privilège. J'étais fier.»

Quatre matchs plus tôt, Darche était rentré au banc en voyant des étoiles alors qu'il n'avait pas reçu de coup à la tête. « Je trouvais ça bizarre, mais je n'ai rien dit au soigneur, je ne voulais pas rater de match, il y avait plein de blessés et je jouais de 20 à 22 minutes par match.»

Téméraire et courageux, comme d'habitude, il a plongé pour bloquer un tir de l'adversaire. «Josh Gorges a eu la même idée et j'ai reçu son genou derrière la tête. Je ne me sentais pas bien et j'ai quitté la rencontre. Je n'ai plus jamais joué par la suite...»

Parce qu'il a fait des études universitaires, parce qu'il a eu l'intelligence de préparer la suite, Mathieu Darche vit néanmoins sa retraite mieux que certains de ses anciens coéquipiers. Il travaille comme directeur du développement des affaires et des relations publiques pour la société Delmar International, fait des interventions à RDS et rêve de devenir directeur général d'une équipe de la Ligue nationale de hockey.

«J'étais déçu sur le coup, dit-il. Avec la dernière saison du Canadien, difficile collectivement, ma commotion cérébrale, et en raison de mon âge, les équipes étaient réticentes à m'offrir un contrat garanti. J'avais disputé plus de 600 matchs dans la Ligue américaine, j'ai décidé de ne plus déménager la famille. Je suis heureux où je suis en ce moment. Ça m'a permis de visiter la Chine, le Viêtnam, et mon rôle est de gérer une équipe de vente, alors ça peut me préparer à un rôle de gestionnaire dans la LNH.»

Darche, originaire de l'arrondissement de Saint-Laurent, à Montréal, a connu un parcours atypique. Rien ne le destinait à la LNH. Mais sa domination dans les rangs universitaires à McGill lui a valu, à 24 ans, un premier contrat professionnel avec les Blue Jackets de Columbus.

Il lui aura fallu neuf ans pour s'implanter dans la LNH, avec le Canadien, au début de la trentaine. «C'est probablement ça qui est difficile, dit-il. J'ai tellement bûché pour atteindre la LNH et j'ai disputé presque tous mes matchs après 30 ans, j'aurais aimé que ça dure plus longtemps.»

Le lock-out de 2012, dont il a été l'un des principaux acteurs dans le camp de l'Association des joueurs, mais qui a sonné le glas de sa carrière de hockeyeur, lui aura permis d'en apprendre plus sur le milieu et de cultiver de précieux contacts. «Je me suis impliqué pour les joueurs, mais pour moi aussi, pour l'expérience d'affaires. C'est comme faire un MBA en six mois.»

«Si une porte s'ouvrait...»

Il continue à entretenir des liens occasionnels avec le numéro deux de la LNH, Bill Daly, avec Brendan Shanahan et quelques personnages importants du monde du hockey.

«Le coaching ne m'intéresserait pas. J'ai eu des discussions avec certaines équipes pour agir comme recruteur, mais je ne voudrais plus être éloigné de ma famille vingt jours sur trente. Mais si une porte s'ouvrait comme directeur général ou adjoint au directeur général... Je connais la convention collective aussi bien que plusieurs d'entre eux. Je jase régulièrement avec Julien Brisebois (adjoint au DG du Lightning, Steve Yzerman), j'aime sa façon de penser, je ne comprends pas qu'il ne soit toujours pas directeur général d'une équipe de la LNH, il est tellement intelligent. »

Mathieu Darche commence enfin à regarder des matchs du CH sans trop souffrir émotionnellement.

«Au début, c'était dur parce que tous mes chums y étaient encore, mais il y en a de moins en moins. L'émotion sur la glace me manque. Marquer un but au Centre Bell et voir 22 000 personnes bondir, il n'y a pas moyen de reproduire ce feeling ailleurs.»

Son meilleur ami au sein du club, Travis Moen, a été échangé à Dallas récemment. Il jase à l'occasion avec les amis qui y sont encore, P.K. Subban, dont il était en quelque sorte le grand frère, Carey Price, Max Pacioretty.

«On savait qu'il allait y avoir des changements pour rajeunir l'équipe. Mais j'ai été surpris de voir autant de leaders partir en même temps. En même temps, le noyau est meilleur qu'il ne l'a jamais été.

«Quand ils ont nommé quatre assistants, on a clairement identifié Carey (Price) comme le capitaine de cette équipe, mais on ne pouvait lui donner la lettre. Il ne parle pas souvent, mais quand il parle, tout le monde va l'écouter.»

Stress et blessures

Qui sera le prochain capitaine? «En début de saison, j'aurais dit P.K. sans hésiter, mais j'aime la façon dont "Patch" se comporte dernièrement, il m'impressionne. Il était plus jeune quand je jouais avec lui, il ne prenait pas beaucoup de place. Je le vois désormais répondre aux questions, même après les mauvais matchs, il prend de plus en plus de place.

«Mais il ne faut pas écarter Brendan Gallagher non plus comme candidat avec ces deux-là. Je l'ai côtoyé pendant un camp seulement, et après les pratiques, plutôt que de laisser les gars de la Zamboni ramasser les rondelles comme c'est toujours le cas habituellement, il se mettait à genoux sur la glace pour les ramasser...»

Il y a deux choses dont Mathieu Darche ne s'ennuie pas: le stress et les blessures.

«Un mauvais match ou une mauvaise séquence et je pouvais perdre mon travail. C'était dur pour ma famille et moi, qui ai eu à déménager huit fois au cours de mes neuf premières années professionnelles. Les gens croient que c'est glamour et tout, que c'est une super belle vie, mais je me suis promené.

«Les blessures, tu as mal à compter du premier mois de la saison jusqu'en juillet, puis tu as un répit de deux mois et ça recommence. Même à la retraite, et j'en parlais justement avec mon frère (Jean-Philippe), retraité du football, tu as le dos un peu magané. J'ai eu une bonne séparation de l'épaule et j'ai un os qui ressort, une côte de fracturée avec une bosse, ce n'est pas que ça fait mal, mais ton corps en a pris un coup. J'en ai eu des commotions, j'ai dû en avoir une par saison. Sauf que je recommencerais demain matin...»

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Mathieu Darche en bref

> Livre favori: Steve Jobs, par Walter Isaacson

> Film favori: Usual Suspects

> Personnalité marquante: Jean Béliveau («et j'aurais répondu la même chose l'an dernier»)

> Métier de rêve: DG d'un club de la LNH

> Citation favorite: «Ma mère me disait toujours: "Si tu fais quelque chose, fais-le bien." Je répète la même chose à mes enfants...»