1992. Le repêchage de la Ligue nationale a lieu à Montréal et la rumeur s'apprête à se concrétiser: l'invasion européenne va frapper la LNH de plein fouet. Sur place, les médias n'en ont que pour l'échange d'Eric Lindros. Pourtant, une autre histoire s'écrit sous leurs yeux.

Parmi les joueurs qui, cette fin de semaine là, vont contribuer à changer le visage de la ligue, il y a Sergei Gonchar.

Le défenseur russe était venu en Amérique pour des tournois internationaux juniors, mais n'avait jamais mis les pieds à Montréal. Or, c'est dans l'enceinte du mythique Forum que Gonchar va être repêché au 14e rang par les Capitals de Washington.

«J'étais excité d'être repêché et je savais que ça se passait au domicile du Canadien de Montréal, dans un vieil édifice, mais un jeune comme moi qui avait grandi en Russie ne pouvait pas vraiment mesurer l'importance de l'équipe et reconnaître sa place dans l'histoire», explique Gonchar, qui est maintenant âgé de 40 ans.

«J'apprécierais davantage le moment si ça m'arrivait aujourd'hui.»

Il rêvait d'être Kharlamov

Le petit Sergei a passé son enfance à Tcheliabinsk, une ville située à 1800 kilomètres à l'est de Moscou. Né d'un père soudeur et d'une mère travaillant pour une entreprise de téléphonie, il a grandi sous le régime communiste, mais il était trop jeune pour avoir conscience des enjeux politiques de l'époque.

Ce qu'il constate, toutefois, c'est que l'environnement favorisait le développement des joueurs de hockey.

«Il n'y avait pas de problème quand j'étais petit, dit-il. On donnait une chance égale à tous les enfants qui avaient envie de jouer. L'accès aux patinoires était gratuit, l'équipement nous était fourni gratuitement, l'école payait les déplacements... Nos parents, qui touchaient à peu près tous le même salaire, n'avaient rien à débourser. C'était somme toute un bon système si l'on compare à ce que cela coûte aujourd'hui pour qu'un jeune joue au hockey.

«Je me suis inscrit à l'une des huit écoles de hockey que comptait Tcheliabinsk. Et quand je n'étais pas à l'école ou à l'entraînement avec mon équipe, je jouais sur l'une des nombreuses patinoires extérieures qu'il y avait juste devant chez moi.

«Bref, je réalise que j'ai eu de la chance d'avoir autant de hockey organisé à ma disposition...»

Dès ses premiers coups de patin, Gonchar rêvait de venir attaquant.

«Mais j'étais trop lent, s'esclaffe-t-il. Ma mère m'a raconté que quand j'étais tout petit, je passais mon temps à dire que je voulais devenir Kharlamov...»

Tout a changé très vite

La carrière de Gonchar a pris son envol à une époque où le hockey russe était en pleine mutation.

«Quand j'étais petit, je rêvais de jouer pour l'Armée rouge et de représenter mon pays aux Jeux olympiques. Nous ne pensions pas que ce serait possible de jouer dans la LNH. Les premiers qui l'ont fait ont dû s'enfuir. C'est ce qu'a fait Alexander Mogilny en 1989.

Sergei Gonchar a débuté sa carrière avec les Capitals de Washington.

«La LNH, elle, était excitée à l'idée d'intégrer de nouveaux joueurs. La Russie avait eu de bons joueurs à offrir auparavant, mais puisque les équipes n'avaient pas l'occasion de les mettre sous contrat, elles n'allaient pas gaspiller de hauts choix de repêchage pour ces gars-là.»

Un an avant que Gonchar ne soit repêché par les Capitals, Alex Kovalev était devenu le premier Russe dans l'histoire de la LNH à être sélectionné en première ronde.

En juin 1992, sur le parquet du Forum, ils allaient être sept membres de l'ex-Union soviétique choisis au premier tour.

«Nous avions fait tous ensemble le long voyage en avion», se souvient Gonchar, qui était accompagné des Alexei Yashin, Boris Mironov, Sergei Krivokrasov, entre autres.

Deux records

Alors que Gonchar approche de la fin de sa carrière, il revendique le record du plus grand nombre de points par un défenseur russe dans la LNH (800). Et s'il reste en santé d'ici la fin de la saison et joue au moins 54 rencontres, il dépassera Alex Kovalev, aujourd'hui le Russe qui a joué le plus grand nombre de matchs dans la LNH.

Ce sont des plateaux impressionnants qui, d'une certaine façon, sont le fruit des événements qui ont transformé la Russie et la LNH et de la conjoncture particulière dans laquelle Gonchar a amorcé sa carrière.

«Je suis fier de cela et je suis sûr que mes parents en sont également très fiers, mais on ne pense pas à ce genre de chose pendant qu'on joue, dit-il. Ça arrive et c'est tout. Ça signifiera peut-être davantage pour moi dans quelques années à mesure que d'autres Russes auront passé beaucoup de temps dans la LNH.»

Le défenseur le plus âgé de la ligue ignore ce que l'avenir lui réserve. Mais si ça devait se terminer au terme de la présente campagne, il bouclerait la boucle en terminant sa longue aventure dans la LNH là même où tout a commencé, il y a plus de 20 ans.

L'amour au temps des Jeux

Six ans après avoir été repêchés, plusieurs des joueurs russes qui avaient fait le voyage à Montréal avec Sergei Gonchar se sont envolés pour les Jeux de Nagano, où ils ont mis la main sur la médaille d'argent.

Gonchar, lui, a en outre mis la main sur le numéro de téléphone de Ksenia Smetanenko, une patineuse artistique représentant l'Arménie.

Sa future femme.

«Ça se passait au tout dernier jour des Jeux, raconte-t-il. Mon coéquipier Alexei Zhamnov nous a présentés par l'entremise d'une amie commune et nous avons parlé un bon moment au Village olympique...»

Pour l'instant, la famille Gonchar est établie à Dallas. Il n'était pas question de sortir les deux filles de l'école en cours d'année.

«C'est la première fois que je suis séparé de ma famille aussi longtemps, confie Gonchar. C'est difficile en ce moment, mais il y a des hommes d'affaires qui se promènent à longueur d'année et qui voient très peu leurs enfants. Moi, je suis privilégié, car j'ai eu la chance de jouer à la même place pendant dix ans puis à Pittsburgh pendant cinq ans.

«Nous allons rester en Amérique du Nord au moins jusqu'à ce que les filles aient terminé leurs études. Mais nous allons continuer de retourner à notre maison d'été en Russie afin qu'elles puissent continuer de parler le russe et qu'elles gardent le contact avec leur culture.»