Dans un concours insolite, les partisans des Seahawks de Seattle, de la Ligue nationale de football, se sont inscrits au livre des records Guinness en hurlant jusqu'à 137 décibels, l'équivalent d'une voiture de F1. Par pur esprit de compétition, La Presse a voulu savoir si les fans du Canadien de Montréal, réputés les plus bruyants de la ligue, pouvaient rivaliser avec ce record. Accompagnés d'un acousticien, nous nous sommes rendus incognito au Centre Bell, mardi soir. Les fans montréalais ont-ils surclassé Seattle?

1. Bruit de fond de foule

> Niveau: 83 dB

> Aspirateur ou malaxeur en marche

18h50. La foule est joyeuse, un murmure constant remplit le Centre Bell. La partie n'est pas commencée et on atteint malgré tout, déjà, les 83 décibels. «Après huit heures à ce niveau, les dommages au tympan apparaissent», note notre acousticien, Jean Laporte, d'Acoustika Lab. Les décibels ne disent pas tout, évidemment: «Une foule, c'est un bruit large, alors qu'un aspirateur, c'est aigu, agaçant. Une petite fille qui joue tout croche de la flûte à 80 dB, c'est long longtemps!»

2. Ginette! Ginette! Ginette!

> Niveau: 112 dB

> Marteau piqueur à 1 m

Le sonomètre de Jean Laporte, un coûteux joujou de 20 000 $ relié à un micro au bout d'une perche, s'anime à 19h05. Un enfant met le feu à la glace, grâce à un ingénieux effet de projecteur: 108 dB. Les joueurs du Canadien entrent sur la patinoire à 19h09: 111 dB. La foule scande «Ginette! Ginette! Ginette!» à 19h14, la chanteuse entame avec fougue l'Ô Canada et les fans la remercient avec un 112 dB bien senti.

Photo André Pichette, La Presse

La foule du Centre Bell a atteint un premier pic après l'Ô Canada de Ginette Reno.

3. Acoustique 101

> Niveau: 137 dB?

> «Pratiquement impossible pour une foule»

Avant d'aller plus loin, un petit cours de base en acoustique. Nous avons choisi de mesurer les décibels de la façon la plus reconnue, avec un réglage qui imite l'oreille humaine - «LAF», dans le jargon. Cette lecture donne une valeur plus basse que celle qui mesure les crêtes, appelée «LZpeak». Notre spécialiste soupçonne d'ailleurs que les 137,6 dB atteints à Seattle ont été obtenus en trichant un peu, en mesurant les «peaks». En effet, «137 dB en oreille humaine pour une foule, pendant un bon moment, c'est pratiquement impossible. Les gens hurleraient... mais de douleur». La suite lui donnera raison.

4. Le «peak» de Subban

> Niveau: 117,5 dB

> Coup de tonnerre

> Note: seuil d'apparition de la douleur

Première explosion à 19h37, un joli 114 dB pour le but de Tomas Plekanec, l'équivalent d'une alarme qui sonne à deux mètres de vos oreilles. Huit minutes plus tard, c'est le feu d'artifice: le flamboyant P.K. Subban s'échappe en sortant du banc des pénalités et porte la marque à 2-0. Le sonomètre tape à 117,5 dB pour une oreille humaine, 128,7 dans les crêtes. «Une foule n'aurait pas pu crier plus fort», estime Jean Laporte. Merci, P.K.

Photo Robert Skinner, La Presse

Le but de P.K. Subban a soulevé la foule en première période.

5. «Faites du bruit»

> Niveau: 112 dB

> Discothèque

À 20h21, à la demande de l'animateur du Centre Bell, la foule hurle à qui mieux mieux. Notre sonomètre enregistre 110,8 dB - toujours pour une oreille humaine. Sur le tableau, grâce à un réseau de micros répartis dans l'enceinte, on confirme notre diagnostic et on affiche 111 dB. À deux autres occasions, nos chiffres concordent. «La preuve, conclut notre acousticien, qu'eux aussi utilisent la lecture équivalant à l'oreille humaine.»

6. Musique pas si assourdissante

> Niveau: 92 dB

> Tondeuse à gazon

Déboulonnons un mythe: la musique au Centre Bell n'est pas si assourdissante qu'on le dit. Tout au long de la soirée, que ce soit en faisant jouer TNT d'AC/DC ou Deux autres bières d'Offenbach, on atteint à peine les 92 dB. Pourquoi alors cette impression de sentir nos membres trembler? «La basse, tout simplement, explique M. Laporte. Elle ne fait pas monter les décibels autant que les aigües.»

7. Faire taire la foule: ça marche

> Niveau: 85 dB

> Camion à 50 km/h à 20 m

Les fans des Bruins sont peu nombreux ou discrets, les deux buts suivants de leur équipe nous le démontrent. Le sonomètre pique du nez chaque fois, on entendrait une mouche voler - c'est relatif - à 20h49, quand Patrice Bergeron marque. Même chose à 21h48 quand Boston resserre la marque 3-2. Notre graphique montre en outre que la foule est nettement moins énergique en troisième période. Une vague lancée à 21h35 atteint à peine les 100 dB, un «Make Some Noise» à 21h41 fait 108 dB. «Les gens sont fatigués de crier», note M. Laporte.

8. Une fin de rêve... et verdict

> Moyenne pendant tout le match: 97 dB

> iPod au volume maximal

On a évidemment droit à un regain d'énergie quand Lars Eller marque dans un filet désert, confirmant la victoire du Canadien avec un magnifique 113 dB.

Le verdict: le sommet a été atteint avec le but de P.K. Subban, avec une valeur «oreille humaine» de 117,5 dB. Pour se comparer à Seattle, trichons un peu et utilisons comme eux notre crête maximale, qui est de 128,7 dB. «C'est 9 dB de moins qu'à Seattle, dit Jean Laporte. Ça paraît peu, mais c'est techniquement deux fois moins fort.»

1-0 pour Seattle, donc, mais n'utilisons que les statistiques réellement significatives: c'est 2-1 Montréal.

Photo Eric Bolte, USA Today

Lars Eller (à gauche) a confirmé la victoire du Canadien en marquant dans un filet désert.