De l'avis de plusieurs, le jeune Seth Jones, 19 ans, deviendra d'ici quelques années le défenseur le plus dominant de la LNH depuis Chris Pronger. Celui dont la carrière a pris fin il y a deux ans en raison de commotions cérébrales pouvait allier force, vitesse, talent, robustesse et leadership. À 6 pi 5 po, 210 livres, un coup de patin fulgurant, une vision du jeu supérieure à la moyenne, le calme d'un vétéran en possession de la rondelle, une médaille d'or au Championnat mondial junior avec l'équipe américaine, Seth Jones, le fils de l'ancien basketteur professionnel « Popeye » Jones, a tous les outils pour aspirer un jour au trophée Norris. La Presse s'est rendue à Nashville au début de la semaine dernière pour dresser un portrait du jeune homme et de la progression de ce premier choix au repêchage des Predators (4e au total).

Les hauts et les bas d'une recrue

Quand Seth Jones vous serre la pince, il prend soin de ne pas trop forcer: votre main disparaît complètement dans celle de ce jeune géant...

Jones vous accueille avec le sourire dans le vestiaire des Predators, le visage encore couvert de sueur, même si votre visite n'a pas été annoncée et qu'il traverse actuellement ses moments les plus difficiles de la saison.

Dans les trois rencontres précédentes, il a joué entre 9 et 13 minutes, après avoir pourtant été utilisé entre 25 et 30 minutes par son entraîneur cet automne.

Mais ça ne semble pas affecter le moral de ce garçon que tous dans son entourage trouvent enjoué, sympathique et plein d'entregent.

Pendant la séance d'entraînement quelques instants auparavant, Jones est l'un de ceux qu'on entend le plus sur la glace, par son intensité, sa hargne, mais aussi son rire et sa vigueur.

«Ça demeure très exigeant physiquement et psychologiquement, dit-il. Je dirais la vitesse du jeu, qui nous amène à exécuter nos jeux à une vitesse à laquelle nous ne sommes pas habitués, mais aussi la robustesse, parce que nos adversaires sont plus gros et plus forts. Mon corps s'en ressent. Je ne suis pas blessé, heureusement, mais meurtri, comme la plupart de mes coéquipiers.»

Son mentor, Shea Weber, capitaine des Predators et deux fois finaliste au trophée Norris remis au meilleur défenseur, est ébloui par ce que Jones est en mesure d'accomplir à un si jeune âge.

«Je n'étais pas prêt pour la Ligue nationale à son âge. J'ai passé deux années supplémentaires dans les rangs juniors, puis dans la Ligue américaine jusqu'à 21 ans. Je n'ose pas imaginer ce qu'il peut traverser ici. Son coup de patin est probablement ce qui m'impressionne le plus chez lui. Je n'ai jamais vu un joueur de son gabarit patiner aussi bien. Il doit être plus constant, mais ça viendra avec le temps. Même les vétérans cherchent la constance.»

On a pu remarquer, lors du match de mardi contre les Blackhawks de Chicago, perdu 3-1, certaines lacunes dans le jeu du garçon, comparativement à sa brillante performance au Centre Bell plus tôt cette saison, où il avait marqué le but gagnant. La confiance ne semble pas aussi grande.

«Un entraîneur réduit l'utilisation de ses joueurs quand il observe de la fatigue, quand il remarque que son joueur ne semble pas capable d'exécuter des jeux de routine, et même jusqu'à un certain point les jeux complexes qu'il réalisait auparavant, explique l'entraîneur en chef Barry Trotz. La fatigue s'accumule avec les voyages, les blessures, l'augmentation du rythme de jeu. On a quand même demandé à un jeune de 19 ans de jouer régulièrement 25 minutes par match contre les meilleurs trios adverses. Il reviendra à un temps d'utilisation de 15 à 16 minutes sous peu.»

Jamais dans leur histoire les Predators de Nashville n'avaient-ils permis à un défenseur d'accéder à la LNH à 18 ans. Un seul attaquant a réalisé l'exploit, Scott Hartnell.

«Nous avons eu de grands défenseurs à Nashville, Shea Weber, Ryan Suter, Kimmo Timonen, Marek Zidlicky, dit Trotz. Seth Jones est en avance sur eux au même âge. Il y a une maturité dans son jeu, sans compter sa vitesse, qui nous a convaincus de le garder avec nous dans un rôle de premier plan malgré son jeune âge. C'est aussi un étudiant modèle qui veut sans cesse apprendre et qui est facile à diriger.»

Jones, qui a 10 points en 35 matchs et une fiche de - 10, a la chance d'être dirigé par le nouvel entraîneur des défenseurs, Phil Housley, avec qui il a développé une belle confiance au Championnat mondial junior avec l'équipe américaine. Housley a fait le saut dans la LNH avec les Sabres de Buffalo à 18 ans lui aussi.

«Scotty Bowman m'avait fait l'honneur de me repêcher au sixième rang en 1982. C'est vrai que j'avais fait le saut directement de l'école secondaire à la LNH, mais il faut se rappeler qu'à l'époque, contrairement à Seth, j'avais disputé le Championnat mondial avec des hommes quelques mois avant mon premier camp professionnel. Et le travail d'un défenseur était beaucoup moins exigeant à mon époque parce que le joueur moyen aujourd'hui est nettement supérieur à celui des années 80.»

Vous qui regarderez le match entre le Canadien et les Predators ce soir, surveillez bien le grand numéro 3 au sein de la défense adverse...

Un coup de chance au repêchage

C'était un scénario digne d'Hollywood. Né au Texas, Seth Jones a grandi à Denver où il a donné ses premiers coups de patin, et même bénéficié des conseils de Joe Sakic, ami personnel de son père, le basketteur professionnel des Nuggets de Denver, «Popeye» Jones.

Le jeune Jones est même dans les gradins quand l'Avalanche remporte la Coupe Stanley en sept matchs en 2001. Il a six ans.

Arrive le repêchage de la LNH en juin 2013, Jones est sérieusement considéré à titre de premier choix au total, détenu par l'Avalanche du Colorado et son nouveau président... Joe Sakic.

La suite est connue, Sakic et Patrick Roy, malgré une pénurie de bons jeunes défenseurs, jettent leur dévolu sur le centre Nathan MacKinnon.

Les Predators de Nashville, qui repêchent au quatrième rang, n'osent pas encore rêver, mais ils espèrent...

«Tous nos recruteurs l'avaient au premier rang sur leur liste et nous étions convaincus qu'il ne serait plus disponible à notre rang», raconte Barry Trotz, qui a assisté au repêchage avec toute la direction de l'équipe.

«Nous savions que Nathan MacKinnon serait choisi parmi les trois premiers, poursuit l'entraîneur. Nous nous attendions à obtenir [Aleksander] Barkov ou [Jonathan] Drouin. Ce qui était très satisfaisant pour nous. Mais quand le premier joueur sur votre liste est encore disponible au quatrième rang...»

L'arrivée de Jones a permis aux Predators de combler une lacune à court et à long terme. «Il nous permet de combler la perte de Ryan Suter, dit Trotz. Avec Shea Weber, Roman Josi, qui ne reçoit pas toute la publicité qu'il mérite, Seth Jones et notre gardien Pekka Rinne, quand il est en santé, nous pouvons rivaliser contre n'importe qui. Nous n'avons pas reçu le gros attaquant d'avenir dont nous avons besoin, mais nous ne nous en plaignons surtout pas.»

Phil Housley a été embauché comme entraîneur des défenseurs quelques semaines avant le repêchage. Il n'aurait jamais cru avoir le privilège de diriger celui avec qui il a remporté l'or au Championnat mondial junior, en janvier.

«Chaque organisation choisit en fonction de ses besoins, mais il n'y a pas beaucoup de défenseurs de 6 pi 5 po mobiles comme lui, qui peut jouer dans toutes les situations, dit-il. Malgré son gros gabarit, sa mobilité est son plus grand atout. Nous sommes chanceux de l'avoir réclamé quatrième rang. Sur le plan personnel, c'est un défi emballant en raison de son talent et de notre relation. Il est encore très jeune et il s'améliorera énormément.»

Vivre avec maman...

On a déjà reproché au Canadien de Montréal de mal encadrer ses recrues, dont certaines, ces dernières années, avaient tendance à faire un peu trop la fête au centre-ville de Montréal.

Les Penguins de Pittsburgh n'ont pas pris ce risque avec Sidney Crosby, qui a habité quelques années chez Mario Lemieux. À Denver, Nathan MacKinnon habite chez Jean-Sébastien Giguère et sa petite famille.

Seth Jones a passé le premier mois de la saison chez le vétéran Shea Weber, avant d'emménager avec sa maman.

«Shea a été incroyable pour moi, il m'a vraiment permis de me familiariser avec la ville, nous allions régulièrement manger ensemble et discuter.»

Pour Weber, c'était un simple retour d'ascenseur. «Je vais toujours me rappeler ce que les vétérans Rick Berry et Greg Zanon ont fait pour moi. Ils m'ont pris sous leur aile et en plus, j'étais plus vieux que Seth à mon arrivée à Nashville. Lui n'avait jamais vécu seul. L'arrivée de sa mère aide beaucoup désormais.»

«La présence de ma mère est réconfortante dans le sens où je peux parler d'autre chose que de hockey lorsque je quitte l'amphithéâtre, dit Jones. En plus, elle me cuisine de bons plats!»

Le mentor de Seth Jones, l'entraîneur des défenseurs Phil Housley, estime que la présence de la maman joue un rôle fondamental sous plein d'aspects, mais entre autres pour la nutrition, un élément qu'il ne prend pas à la légère. «Aucun détail ne doit être laissé au hasard tellement ce sport est exigeant. Tu dois prendre bien soin de toi. Les jeunes joueurs ne sont pas habitués à faire l'épicerie et ne sont généralement pas de bons cuisiniers. Il faut bien se nourrir, car on perd du poids pendant une saison. L'athlète doit maintenir la bonne dose de protéines. Je suis convaincu que Trotzie [Barry Trotz] parle à Jones et à sa mère en compagnie de notre nutritionniste. C'est tellement facile de prendre tous ses repas au resto où trop de plats contiennent du gras inutile...»

Non, rien n'est laissé au hasard quand on a un joyau entre les mains.

Un défenseur droitier à gauche

À une certaine époque chez le Canadien, l'entraîneur Michel Therrien, devant le nombre trop élevé de défenseurs droitiers dans l'organisation, avait demandé au jeune Stéphane Robidas de se sacrifier et de jouer du côté gauche.

Les résultats avaient été catastrophiques et Robidas, qui montrait pourtant de belles promesses, avait été soumis au ballottage la saison suivante.

Il a finalement réussi à faire sa niche du côté droit à Dallas et à devenir l'un des défenseurs les plus fiables de la LNH.

Toujours est-il qu'on ne retrouve des droitiers à gauche que dans des cas exceptionnels dans la Ligue nationale.

Les Predators de Nashville ont tout de même pris le risque de confier cette position à Seth Jones, un droitier. Il s'y débrouille bien, malgré quelques heurts.

«Nous avons pris cette décision dans une perspective à long terme, car nous voulons l'utiliser dans la première paire avec Shea Weber, qui est droitier lui aussi, explique l'entraîneur Barry Trotz. On songe parfois à le remettre à droite pour l'aider, mais il joue actuellement avec un autre droitier, Ryan Ellis, et il est plus à l'aise à gauche que celui-ci.»

L'entraîneur des défenseurs Phil Housley a pris part à la décision et il a fait ses devoirs.

«Je me suis informé auparavant auprès des dirigeants du programme national américain, puisque j'ai de bons contacts là-bas, et vers la fin de la dernière saison, il jouait à gauche avec Jacob Trouba. Dans un monde idéal, on aime avoir les gauchers à gauche et les droitiers à droite, mais nous n'avions pas ce luxe.»

Housley estime qu'un bon défenseur droitier comme Jones peut aisément passer une carrière à gauche et y connaître autant de succès. «C'est juste une vieille perception qui subsiste. Il y a un ajustement à faire, mais tout est dans le pivot. Les joueurs mobiles peuvent faire la transition.»

Shea Weber n'a jamais eu à jouer à gauche avec Nashville. «J'y ai évolué un peu à ma dernière année dans les rangs juniors, mais c'est tout. Tous les angles changent quand on joue de l'autre côté. Le défenseur à droite a l'habitude de pivoter du côté droit, car les attaquants nous contournent généralement par l'extérieur. Alors à gauche, ton pivot se fait presque toujours du côté gauche.»

Seth Jones est le dernier à s'en plaindre. «Je m'y sens à l'aise. Tout est dans le jeu de pieds et je m'en sors bien à ce chapitre.

«C'est plus facile que l'on croit.»

Facile à diriger, qu'ils disent...