Plusieurs commencent à penser qu'il pourrait s'agir de la dernière saison de Martin Brodeur. Le gardien de 41 ans détient une ribambelle de records et fait sans aucun doute partie des cinq plus grands gardiens de l'histoire du hockey. Pourtant, sa façon de garder les buts n'est pas reproduite par les gardiens de la nouvelle génération.

Peut-on parler d'un quelconque héritage technique laissé par Martin Brodeur?

«Lorsqu'il va se retirer, on dira que c'était le style de Martin Brodeur, un peu comme il y a eu le style de Dominik Hasek. Mais ce n'est pas quelque chose que les entraîneurs vont enseigner», estime Olaf Kolzig, lui-même ex-gardien dans la LNH, aujourd'hui entraîneur des gardiens avec les Capitals de Washington.

Les hommes de hockey que nous avons interrogés à ce sujet déplorent tous le carcan dans lequel les gardiens d'aujourd'hui se sont emprisonnés en raison du style papillon.

Perçu pratiquement comme le dernier des Mohicans, Brodeur jure dans le décor.

«Martin se fie énormément à ses instincts, rappelle Stéphane Waite, du Canadien. Non seulement c'est l'un des meilleurs là-dedans, mais aussi il fait cela à une époque où les gardiens perdent leurs instincts à force de devenir trop techniques. Ils perdent de leur temps de réaction.

«Ç'a été une grande partie du jeu de Martin. Sa façon de lire le jeu est purement instinctive, il ne pense pas à être parfait.»

Kolzig corrobore les dires de Waite et estime que l'instinct est une qualité que les gardiens ont perdue au cours des 10 dernières années.

«Plusieurs gardiens sont devenus robotiques dans certains aspects de leur jeu, et seule la technique semble les préoccuper, déplore Kolzig. Or, le hockey est un sport d'erreurs. Il va y avoir des accrocs en défense contre lesquels une bonne technique ne pourra rien. Il y aura des moments où la chose à faire sera de plonger comme un gardien de soccer ou de faire quelque chose qui n'est pas conventionnel.»

Debout ou à genoux

Alors que presque tous ses contemporains pratiquent le style papillon, Brodeur utilise un demi-papillon. Bien souvent, seule la jambe droite tombe à plat sur la patinoire.

«De nos jours, il y a peu de buts marqués sur le premier tir, rappelle l'ancien gardien Chico Resch, aujourd'hui commentateur à la télé des matchs des Devils. D'où l'importance de reprendre sa position de base rapidement pour les deuxième et troisième chances de marquer. Le demi-papillon ne couvre peut-être pas autant de terrain, mais il te permet de reprendre plus facilement ta position.»

À Montréal, Stéphane Waite essaie d'encourager Carey Price à demeurer debout un peu plus longtemps. Si la concentration et le suivi de rondelle demeurent optimaux, le fait de rester debout sera considéré à juste titre comme de la patience.

«L'autre chose que j'aime de Brodeur, c'est qu'il reste sur ses pieds plus longtemps que les autres, note d'ailleurs Waite. Et c'est une autre affaire que les jeunes gardiens ont perdue. Au lieu de rester debout, ils vont à terre beaucoup trop vite.»

L'effet de surprise

Brodeur a sûrement tiré profit du fait que son style n'était pas reproduit. Ça lui a permis, croit Olaf Kolzig, de garder un avantage compétitif sur les patineurs adverses.

«Les joueurs ne sont pas habitués à être confrontés à un gardien du genre. Lorsqu'ils sont devant un gardien ayant un style papillon classique, ils ont une bonne idée de là où ils doivent tirer. Or, quand ils se retrouvent face à un gardien qui ne réagit pas forcément de la même manière que les autres, celui-ci possède un léger avantage.»

Aucun doute que Brodeur était un naturel. La bonne décision était en fait le bon réflexe.

«Martin n'a jamais reconnu qu'il faisait le bon geste dans telle ou telle situation - il le faisait, c'est tout, explique Resch. Ça l'a libéré mentalement de ne pas avoir une longue liste de choses à se rappeler. C'est la raison pour laquelle il pouvait donner des entrevues tout juste avant un match. Il n'était pas obsédé parce qu'il devait faire dans telle ou telle situation.»

Resch soutient en outre que l'influence de Brodeur s'est déjà fait sentir dans la façon dont un gardien se protège des tirs à angle restreint en se collant sur le poteau et en utilisant le «one pad down».

Mais cela reste à voir, car d'autres attribuent le développement de cette technique à François Allaire et au gardien Jean-Sébastien Giguère.