David Mulder avait deux idoles quand il grandissait dans sa Saskatchewan natale: Maurice Richard et Gordie Howe. Il caressait deux rêves: jouer dans la LNH et pratiquer la médecine. À défaut de pouvoir évoluer avec les meilleurs joueurs du monde, David A. Mulder s'est assuré de les soigner. Portrait d'un fidèle du hockey qui collectionne les vies sauvées comme d'autres collectionnent les trophées et qui prépare lentement sa retraite.

La journée de David Mulder est déjà bien avancée alors que la neige prolonge l'heure de pointe en ce jeudi matin. Au lendemain d'une série d'interventions qui l'ont confiné en salle d'opération pendant près de 12 heures, le chef de l'équipe de chirurgie thoracique de l'Hôpital général de Montréal a déjà complété sa ronde matinale. L'oeil aussi vif que l'esprit, la poignée de main ferme, David Mulder m'accueille dans son bureau.

Une fois assis, ce ne sont pas les diplômes aux murs qui sautent aux yeux. Mais plutôt une photo avec Jean Béliveau croquée lors d'une collation des grades à l'Université McGill. Et une autre commémorant la 24e conquête de la Coupe Stanley du Canadien en 1993.

«Je la remplacerai lorsque nous gagnerons notre 25e. Celle-ci ira rejoindre les huit autres que j'ai à la maison», lance fièrement David Mulder.

En plus d'avoir sauvé la vie de milliers d'accidentés de la route, et autres patients grièvement blessés - les victimes des fusillades de Polytechnique et du Collègue Dawson sont passées par le centre de traumatologie qu'il a mis sur pied à l'Hôpital général - David Mulder est aussi le médecin du Canadien de Montréal.

De la fenêtre de son bureau, au neuvième étage de l'hôpital construit sur le flanc du mont Royal, on aperçoit les deux poutrelles d'acier qui soutiennent le toit du Forum où le Canadien a triomphé avant de déménager au Centre Bell. C'est là, au Forum, le premier juillet 1963, que l'aventure de David Mulder avec le Canadien a commencé.

Tout juste débarqué à Montréal pour y compléter sa formation en chirurgie, le jeune résident est interpellé par Doug Kinnear, alors médecin du Canadien qui se cherche des adjoints.

Passionné de hockey, ce sport qu'il a mis de côté pour se consacrer à la médecine, Mulder accepte sur le champ. Il rencontre Sam Pollock, directeur général du Canadien qui lui sert alors la même médecine qu'aux jeunes joueurs de l'organisation.

«Avant de me confier les joueurs du grand club, M. Pollock m'a confié ceux du Canadien junior. C'est là que j'ai côtoyé Réjean Houle, Marc Tardif et Richard Martin, qui étaient de grandes vedettes. J'ai ensuite poursuivi mes classes avec les Voyageurs dans la Ligue américaine. Je suis arrivé avec le Canadien la même année que Ken Dryden. Juste à temps pour les séries, au printemps 1971.»

Médecine de brousse

Dans les rangs juniors, la Ligue américaine ou avec le grand club, les médecins du Canadien étaient à cette époque plus occupés que le gardien de but. Parce que les joueurs ne portaient pas de casque, que la protection était quelconque, Mulder pouvait suturer deux, trois, cinq coupures au visage lors d'un même match. Replacer un nez ici, une épaule là, quand ce n'était pas un ou deux doigts. Souvent, les yeux n'étaient pas épargnés.

«C'était de la médecine de brousse», se souvient Mulder en souriant. C'était aussi le bonheur. «Non seulement j'avais la chance de partager le même vestiaire que les joueurs du Canadien et d'aller prendre une bière avec eux de temps en temps. Je recevais aussi 10$ par match, alors que mon salaire mensuel à l'hôpital était de 130$.»

Les temps ont bien changé. La médecine aussi.

«Les visières ont contribué à réduire au maximum, à défaut de les éliminer complètement, les blessures aux yeux. C'est un grand changement. Ce qui n'a pas changé, c'est la tolérance à la douleur des joueurs», assure David Mulder.

Même ceux d'aujourd'hui qui sont pourtant pomponnés dès leur plus jeune âge et qui semblent très douillets?

Les yeux du médecin s'illuminent.

«Bob Gainey est certainement le joueur le plus dur que j'ai croisé au cours de ma carrière. Il a soulevé une Coupe Stanley malgré deux épaules disloquées. Ça fait partie de la légende du Canadien de Montréal.»

Le «Doc Mulder», comme l'appellent tous les joueurs dont il s'est occupé au fil des ans, place Josh Gorges dans la lignée des Gainey. «Il y a un casque dans l'infirmerie sur lequel on peut lire les inscriptions laissées par une rondelle qui l'a atteint derrière la tête. Malgré le casque, Josh avait subi une large coupure. Aussitôt le dernier point suturé, il repartait vers la patinoire.»

Il doit bien y en avoir des moins durs que d'autres. Qui ne se souvient pas de Pat Burns qui avait gardé son soigneur au banc alors que Claude Lemieux semblait à l'agonie sur la patinoire?

«Claude avait des ennuis à l'aine. J'ai mis beaucoup de temps avant de comprendre cette blessure et comment la traiter. Aujourd'hui, on profite d'un protocole qui a tout changé. Mais à l'époque, Pat [Burns] avait dit à Claude de se remettre de ces damnées blessures, sinon il l'échangerait pour deux douzaines de bâtons. Il s'était ensuite retourné vers moi pour me dire que je passerais dans la transaction avec lui», raconte Mulder en riant.

Des vies à sauver

David Mulder a contribué à sauver les vies de Saku Koivu et de Trent McLeary, entre autres joueurs. Des actes dont il est évidemment bien fier.

Il est aussi très satisfait de voir que la victoire de Saku contre le cancer a suscité un tel émoi, que les dons recueillis par la fondation qui porte le nom de l'ancien capitaine ont permis de doter l'Hôpital général d'un appareil - PET scan - qui fonctionne 18 heures par jour afin d'améliorer les traitements aux patients atteints du cancer.

Mais alors qu'il passe les pouvoirs à son adjoint Vincent Lacroix, Mulder esquisse une moue d'insatisfaction lorsque je lui demande s'il a vécu des échecs en cours de carrière.

«Je réalise après toutes ces années que nous savons comment réagir face à des blessures sérieuses, lors de situations critiques. Je dois toutefois reconnaître ne pas avoir été aussi efficace avec des problèmes qui semblent moins graves, comme l'alcoolisme, la consommation de substances illégales, la dépression. Ce sont pourtant des ennuis de santé très graves, qui minent les équipes autant, sinon plus, qu'une blessure grave à un genou ou à une épaule. La Ligue a fait de grands progrès pour contrer les substances dopantes. J'en suis convaincu. Mais il faudrait aussi être plus vigilant face à l'alcool et aux drogues, pendant que les joueurs sont actifs, mais aussi une fois leur carrière terminée.»

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Faits saillants d'une carrière glorieuse

Saku Koivu

«Annoncer à Saku qu'il était atteint d'un cancer et l'épauler dans toutes les épreuves qu'il a surmontées pour vaincre le lymphome non hodgkinien qui l'a foudroyé a été très difficile. Mais le voir sauter sur la patinoire et vivre l'ovation que lui ont réservée les fans lors de son retour au jeu - le 9 avril 2002 - demeure la plus belle récompense de ma carrière...»

Trent McLeary

«Jamais avant, jamais depuis, un joueur n'a frôlé la mort de si près. La rondelle qui l'a atteint à la gorge avait fracturé son larynx. Ses poumons s'étaient affaissés. Nous avons effectué une trachéotomie d'urgence dans le vestiaire et avons dû garder sa tête en place durant tout le trajet en ambulance pour lui permettre de respirer. Une fois à l'hôpital, nous avons décidé de nous rendre directement en salle d'opération plutôt que d'arrêter dans la salle de trauma pour stabiliser son état. Une décision qui a contribué à lui sauver la vie...»

Jean Béliveau

«Quand tu es joueur du Canadien, tu l'es pour toujours. Jean Béliveau est le plus grand de tous et je l'ai épaulé dans sa lutte contre le cancer. Je l'épaule encore après ses accidents vasculaires cérébraux. Être le médecin du Canadien ne se limite pas à les soigner sur la patinoire ou dans le vestiaire. Ça veut aussi dire diriger nos joueurs, leurs épouses et leurs enfants vers les spécialistes dont ils ont besoin...»

Patrick Roy

«Il s'est dit bien des choses sur la crise d'appendicite qui a frappé Patrick Roy en séries contre les Bruins en 1994. J'ai entendu plusieurs scénarios aussi fous les uns que les autres. Patrick a bel et bien été victime d'une appendicite. S'il s'est remis si vite (trois jours) c'est que nous l'avons traité avec des antibiotiques et des ultra-sons au lieu d'y aller avec une opération traditionnelle. On était hors des sentiers battus d'un point de vue médical, mais c'était la seule façon de lui permettre de jouer. Malgré son retour et de grandes performances de sa part, les Bruins nous ont éliminés en première ronde.»

Max Pacioretty

«J'étais à mon siège derrière le banc du Canadien lorsque j'ai vu l'impact. En voyant Max tomber comme une citrouille sur la patinoire, je me suis levé d'un trait pour me rendre près de lui. Je me suis alors demandé s'il allait me mourir entre les mains. Autant j'étais en contrôle lors de l'incident McLeary, car je voyais ce que j'avais à faire et savais comment réagir, autant dans ce cas-ci nous étions vulnérables. Max était inconscient. On ne savait pas s'il avait le cou cassé. Le travail méticuleux d e tout le monde ce soir-là et la grande force de Max nous a permis d'éviter le pire.»

Benoit Brunet

Ses maux de dos chroniques l'ont empêché de connaître la carrière qu'il aurait pu connaître. On a travaillé très fort avec lui. Il a été opéré en Californie, mais chaque fois qu'on le croyait remis, les blessures s'acharnaient à nouveau...» En 12 saisons avec le Tricolore, Brunet a disputé plus de 50 matchs trois fois seulement.

Hector «Toe» Blake

«Il est toujours difficile, des fois même pénible d'annoncer des nouvelles affreuses à des patients et aux membres de leur famille. Mais c'est l'obligation d'annoncer à Toe que je lui retirais l'autorisation médicale de conduire sa voiture qui m'a le plus marqué au cours de ma carrière. Qui m'a le plus peiné. Jean Béliveau et M. [Ronald] Corey me demandaient de lui retirer ce droit depuis un bon moment, car Toe était trop souvent impliqué dans des accrochages mineurs. Mais de retirer ce droit de conduire à un homme si fort, si imposant, un gars qui m'intimidait quand je suis arrivé avec l'équipe, mais qui était devenu un ami, a été vraiment pénible...»

Donald Audette

«Je garderai toujours en mémoire l'image du poignet de Donald Audette sectionné par une lame de patin. La nuit était avancée quand je suis entré dans la salle d'opération où mes collègues prenaient un soin méticuleux à identifier les tendons sectionnés pour s'assurer de les rattacher adéquatement. On aurait dit des techniciens qui rebranchaient des fils de téléphones coupés, mais il n'y avait pas de code de couleurs pour les aider...»