Comme son surnom l'indique, Chris «Knuckles» Nilan s'est toujours battu: dans les ruelles du quartier dur de Boston où il a grandi, sur la patinoire du Forum à Montréal et ailleurs dans la LNH où il a fait régner sa loi. Si les taloches et les coups de poing encaissés lors des quelque 300 combats qu'il a livrés lui ont rarement fait plier les genoux, une surconsommation d'alcool, de médicaments et d'héroïne l'a plusieurs fois envoyé au tapis. Inconscient. Presque mort. Récit d'un gladiateur qui a joué à la roulette russe. Et qui a survécu.

Chris Nilan est chanceux d'être en vie aujourd'hui. «Très chanceux», s'empresse-t-il d'ajouter avec l'accent tranchant qui trahit les Bostonnais.

Assis autour d'une petite table ronde devant un resto anonyme au milieu du petit centre commercial tout aussi anonyme de Dorval où il vit maintenant et où il m'a donné rendez-vous, «Knuckles» enfile gorgées de café et bouffées de cigarette. Au milieu du bruit des avions qui viennent d'amorcer leurs envolées et des trains qui défilent de l'autre côté de la rue, Nilan raconte aussi son histoire.

Une triste histoire qui a transformé ce bagarreur adulé, de 1979 à 1988 alors qu'il portait l'uniforme tricolore, en «junkie» que ses anciens fans et même ses anciens coéquipiers auraient eu peine à reconnaître quelques années plus tard.

«Les six mois passés sur l'héroïne m'ont transformé en véritable épave. Je me suis souvent réveillé au milieu de nulle part, seul, couvert de sang. Je me demande vraiment comment il se fait que je ne sois pas mort», reconnaît Nilan sans pudeur.

Corps meurtri

Sobre depuis près de trois ans, Nilan n'est pas tombé dans l'héroïne du jour au lendemain.

«Je traînais déjà un gros problème de boisson. J'ai ajouté une dépendance aux médicaments. J'ai avalé mes premières pilules à ma deuxième saison comme entraîneur dans la Ligue de la côte Est - avec les Icebreakers de Chesapeake en 1998-1999 - pour composer avec la douleur qui m'empêchait de vivre. Mon corps était usé. Les conséquences des 30 opérations que j'ai subies au cours de ma carrière et après me faisaient souffrir. Les pilules m'aidaient.»

Une première cure lui a permis de s'offrir deux années de sobriété. Puis, un simple verre de vin l'a fait replonger dans la boisson et les pilules.

Une fois les nouvelles prescriptions échues, Nilan était devenu accroc. Au lieu d'obtenir les pilules à la pharmacie, Nilan s'est approvisionné dans la rue.

Avec la maigre pension de 1000 $ par mois que lui versait la LNH à l'époque et l'argent qu'il grappillait à droite et à gauche, Nilan ne pouvait se payer les 400 $ de médicaments qu'il consommait chaque jour.

Il s'est vite ruiné.

«Je me suis alors tourné vers l'héroïne parce qu'elle est moins chère dans la rue. On demandait jusqu'à 75 $ le comprimé sur la rue alors qu'un «fix» d'héroïne coûtait de 10 $ à 15 $. Sauf qu'avec l'héroïne, tu ne sais jamais ce que tu t'injectes dans les veines.»

Sans surprise, Chris Nilan a ensuite tout perdu. Sa femme, qui est aussi la mère de ses deux filles et de son garçon, sa maison de Boston, sa maigre pension, sa réputation. Tout!

«À ce moment-là, je ne vivais plus. Je survivais.»

Autre flirt avec la mort

Chanceux de ne pas avoir été retrouvé mort dans un coin noir d'une sombre piquerie de Boston, Chris Nilan aurait pu être retrouvé mort dans un fossé en bordure d'une route de la Montérégie.

Le 7 décembre 2009, alors qu'il roulait en direction de Montréal, Nilan a perdu le contrôle de son véhicule après avoir croisé un camion sur une route enneigée. Son VUS effectue des tonneaux. Nilan est éjecté. Mais il s'en tire encore une fois.

«Je me suis réveillé ce soir-là. J'ai rappelé Brian O'Neil [NDLR: un consultant de la LNH qui lui était déjà venu en aide] même si j'avais affreusement honte de l'avoir laissé tomber avec cette rechute. Je suis retourné en cure et je suis sobre depuis le 19 février 2010. Le jour de l'anniversaire de naissance de mon fils.

Danger constant

Bien qu'il n'ait jamais refusé de jeter les gants et n'ait jamais reculé devant personne, comme l'indique le slogan «never back down, never stay down» qui orne les chandails et casquettes qu'il commercialise, Chris Nilan assure ne plus jamais vouloir se battre contre l'alcool, les médicaments et l'héroïne. «L'adversaire est trop fort. Trop redoutable.»

Comment éviter ce combat perdu d'avance?

«La première chose est de rester occupé. C'est pour ça que j'accepte toutes les demandes d'entrevues qui me sont faites. C'est pour ça que je fais des tournées dans les écoles pour combattre l'intimidation, que je rencontre des jeunes joueurs de hockey et des adultes dans leurs milieux de travail pour les mettre en garde face aux dangers qui les attendent dans les coins.»

L'ancien bagarreur, entraîneur et «junkie» travaille aussi à la radio - TSN 690 - nourrit son site internet - KnuclesNilan.com - en plus de se lancer modestement dans la mode avec sa collection t-shirts.

Aujourd'hui âgé de 54 ans, Chris Nilan profite également de l'appui retrouvé des siens. Il qualifie sa nouvelle compagne de vie Jaime Holtz de «rocher sur lequel il s'accroche pour éviter d'être emporté une fois encore dans le tourbillon de la dépendance».

Après avoir été un père bien inadéquat, Nilan, maintenant deux fois grand-papa, espère qu'il saura se racheter.

Si la tête et le coeur vont bien, même très bien depuis près de trois ans, le corps, lui, est toujours aussi amoché. «Mes genoux - qui devront être remplacés - mes chevilles - des vis retiennent les os en place sous son pied gauche - mes mains et mes doigts qui sont minés par l'arthrite me font mal. Mais je combats la douleur autrement. Je n'ai pas le choix. Parce qu'au lieu de survivre comme je le faisais dans mes moments les plus noirs, je vis aujourd'hui.»

Hommage aux derniers gladiateurs

L'histoire de Chris Nilan sera immortalisée dans un documentaire qui prendra l'affiche le 26 octobre.

Réalisé par Alex Gibney - Oscar du meilleur documentaire 2008 pour Un taxi pour l'enfer - Les derniers gladiateurs est narré par le collègue Michael Farber du magazine Sports Illustrated. Ce film rend hommage aux Nilan, Marty McSorley, Donald Brashear, Bob Probert et autres Tony Twist qui ont consacré une grande partie de leur carrière à défendre leurs coéquipiers.

Ce documentaire met aussi en lumière les conséquences néfastes de jouer un rôle ingrat. Les parallèles entre la descente en enfer de Nilan et les excès qui ont coûté la vie à Probert à l'été 2010 ainsi qu'à Derek Boogard, Rick Rypien et Wade Belak à quelques semaines d'intervalle l'été suivant, sont faciles à tracer.

«Ce sont des histoires similaires, tristes, tragiques. Mais elles ne s'expliquent pas toutes de la même façon. Elles démontrent toutefois que nous avons trop attendu ou carrément refusé d'aller chercher de l'aide alors qu'elle était disponible. C'est l'un des messages les plus importants que je livre dans ce film et dans toutes mes conférences. Toutes ces formes de dépendance sont des maladies. Ceux qui en souffrent doivent réclamer de l'aide pour s'en sortir, sinon ils n'y arriveront pas», insiste Nilan, pour qui la prise de responsabilité individuelle est, cependant, tout aussi essentielle.

«Je n'ai jamais imputé mes problèmes à mes parents, à mon enfance, aux personnes qui m'ont laissé tomber. Je ne les impute pas non plus aux bagarres que j'ai livrées dans la LNH. C'est certain qu'elles ont joué un rôle. Mais dans mon cas comme dans celui des autres, je suis le seul responsable de ces années de misère. Cette prise de responsabilité est le premier pas à faire si on veut vraiment s'en sortir.»

Après une tournée promotionnelle dans l'Ouest canadien plus tôt cette semaine, Nilan est de retour à Montréal. Il prendra part à un visionnement public lundi au cinéma Starcité, avant de se rendre à Toronto et à Ottawa les 24 et 25 octobre. Les derniers gladiateurs prendra l'affiche dès le lendemain. «From coast to coast», lance fièrement Nilan, qui a travaillé pendant près de 18 mois sur ce projet.