David Poile a certainement passé une mauvaise journée, hier. Et la prochaine semaine ne devrait pas être bien meilleure.

Le directeur général des Predators a encore six jours devant lui pour décider s'il égalera ou non l'offre hostile qu'ont déposée les Flyers au défenseur étoile Shea Weber. Joueur autonome avec compensation, Weber encaissera un total de 110 millions au cours des 14 prochaines années, que ce soit à Nashville ou à Philadelphie. Avec un salaire moyen de 7,86 millions par saison, Weber deviendra le défenseur le mieux payé de la LNH et le quatrième parmi tous les joueurs du circuit.

Si la direction des Preds décide de laisser aller son capitaine, les Flyers céderont en retour quatre choix de première ronde en guise de compensation, comme le prévoit la convention collective en vigueur dans la ligue pour encore quelques semaines.

Dans un communiqué, hier, David Poile s'est fait laconique. Dans l'éventualité d'une telle situation, «nous avons déjà indiqué par le passé notre intention d'égaler l'offre et de retenir les services de Shea», a indiqué le directeur général. «Nos propriétaires nous ont fourni les ressources nécessaires pour bâtir une équipe capable de gagner la Coupe Stanley. Mais en raison de la complexité du contrat offert, nous prendrons le temps approprié pour l'évaluer afin de prendre la meilleure décision pour les Predators, à court et à long terme.»

Poile est confronté à un dilemme de taille. Quelques jours après le départ de Ryan Suter pour le Minnesota, où il a lui aussi paraphé un faramineux contrat, la perte de Weber pourrait s'avérer catastrophique pour l'organisation, qui se trouverait du coup amputée de l'un des meilleurs duos de défenseurs de la ligue - sinon le meilleur. Douloureux pour n'importe quelle formation, un bouleversement du genre serait particulièrement lourd de conséquences dans un marché non traditionnel de hockey comme Nashville, où l'intérêt des partisans évolue au gré des performances de l'équipe sur la glace.

À l'opposé, si les Predators décident d'égaler l'offre, il s'agirait d'une rupture avec la tradition de l'organisation. Arrivée dans la LNH en 1998, cette équipe s'est forgée une solide réputation sur le plan du développement des joueurs et sur la mise en valeur d'employés de soutien, privilégiant plutôt la voie du repêchage pour améliorer ses effectifs à la distribution de généreux contrats à des joueurs vedettes.

Au fil des ans, plusieurs vedettes montantes ont quitté la ville du country après être arrivées à maturité. Outre Ryan Suter, des joueurs tels Tomas Vokoun, Kimmo Timonen, Scott Hartnell et Dan Hamhuis ont tous signé de lucratives ententes ailleurs dans la LNH après s'être fait un nom à Nashville.

Le contrat concédé à Pekka Rinne il y a quelques mois (49 millions pour sept ans) constitue un précédent; celui à Shea Weber pourrait confirmer un changement de philosophie au sein de la direction.

L'offre des Flyers procure certainement une désagréable impression de déjà-vu à Poile. Le Globe and Mail a rappelé, hier, qu'il a dû affronter pareil déchirement en 1990 lorsqu'il était à la tête des Capitals de Washington. En raison d'une offre hostile des Blues de St. Louis, il avait dû regarder partir Scott Stevens, ironiquement un défenseur tiré du même moule que Weber. Cette histoire demeure «l'un des plus importants regrets de sa carrière», a écrit le chroniqueur David Shoalts.

En réflexion

Hier, l'agent de Weber, Jarrett Bousquet, a indiqué au réseau TSN que son client n'avait «pas envie de faire partie d'un autre processus de reconstruction». «On ne signe pas une offre si on ne veut pas aller dans cette direction, a-t-il ajouté. Shea veut jouer avec les Flyers; nous sentons qu'il sera là-bas une pièce du puzzle qui leur permettra de passer au niveau suivant.»

Bousquet a également précisé que la signature de Suter avec le Wild du Minnesota avait changé le marché, et qu'à ce moment, son client et lui ont commencé à étudier des offres.

Par ailleurs, il semble que les Flyers et les Predators négociaient depuis quelques jours afin de conclure une transaction. Philadelphie aurait toutefois refusé les demandes de Nashville, jugées trop élevées: les noms de Sean Couturier et de Brayden Schenn ont notamment été évoqués, en plus d'une compensation additionnelle. D'autres équipes auraient également tâté le terrain pour Weber.

Problèmes salariaux

Au cas où Weber partirait effectivement pour Philadelphie, les Predators se retrouveraient dans une situation aussi inusitée qu'inconfortable par rapport à leur masse salariale.

À l'heure où les équipes tentent toutes sortes de pirouettes pour composer avec le plafond salarial récemment élevé à 70,2 millions, les Preds, eux, n'ont actuellement dépensé qu'une quarantaine de millions. Cela les place loin du seuil minimum de 54,2 millions fixé par la ligue en vertu du régime de partage des revenus.

Consentir aux demandes de Weber pourrait donc donner un coup de pouce à David Poile pour atteindre ce «plancher», mais la structure de son contrat pourrait refroidir l'enthousiasme des propriétaires de l'équipe, qui décident en fin de compte du pouvoir de dépenser du DG. L'offre des Flyers prévoit en effet 68 millions en bonis au cours des 6 prochaines saisons, dont 26 millions d'ici au 1er juillet prochain, un boulet de taille pour une organisation plutôt habituée à boucler un budget serré.

Depuis ses débuts dans la LNH en 2005, on dit de Shea Weber qu'il représente l'avenir des Predators. De fait, la décision de David Poile au cours des prochains jours pourrait sceller le sort de son équipe pour les années à venir. Pour le meilleur ou pour le pire.

Des offres marquantes

Voici un bref survol des offres hostiles qui ont marqué l'histoire de la LNH au cours des 15 dernières années.

Joe Sakic, 1997

Pendant l'été 1997, les Rangers de New York s'entendent pour 3 ans et 21 millions de dollars avec Joe Sakic, mais l'Avalanche s'assure de garder ses services. Aux yeux de plusieurs observateurs, il s'agit là du point de départ de la flambée des salaires qui a mené au lock-out de 2004-2005.

Sergei Fedorov, 1998

Au beau milieu de l'hiver, et alors que les Jeux olympiques de Nagano ne sont même pas terminés, les Hurricanes de la Caroline secouent la LNH en présentant une offre de 38 millions pour 6 ans à Sergei Fedorov, alors en grève. Les Red Wings égalent finalement l'offre, et le joueur de centre les aidera à remporter la Coupe Stanley quelques mois plus tard.

Tomas Vanek et Dustin Penner, 2007

Les Oilers n'entendent pas à rire au cours de l'été 2007. Ils offrent d'abord 50 millions pour 7 ans au jeune Tomas Vanek, qui vient de marquer 43 buts à Buffalo, mais les Sabres égalent la mise. Quelques semaines plus tard, ils allongent 21,25 millions pour 5 saisons à Dustin Penner, des Ducks d'Anaheim, gagnants de la Coupe Stanley. Ceux-ci consentent finalement à se départir de leur attaquant. Furieux, le DG Brian Burke, alors avec les Ducks, était prêt à louer une grange pour y inviter son homologue des Oilers, Kevin Lowe, à se battre à mains nues. Informé du projet, le commissaire Gary Bettman intervient pour le faire avorter.

Quelques autres cas

Chris Gratton, Tampa Bay, 1997 : offre de Philadelphie acceptée

Ryan Kesler, Vancouver, 2006 : offre de Philadelphie égalée

David Backes, St. Louis, 2008 : offre de Vancouver égalée

Steve Bernier, Vancouver, 2008 : offre de St. Louis égalée

Niklas Hjalmarsson, Chicago, 2010: offre de San Jose égalée