Au bout du fil, Jacques Demers semble quelque peu agité. Dans sa tête, les souvenirs se bousculent, les noms se succèdent. Non, il n'a rien oublié de ce soir du 3 juin 1993 au vieux Forum de Montréal, quand le Canadien, son Canadien, tentait de survivre aux Kings en pleine finale. «Je pense que personne n'a oublié ça», dit-il.

Personne, ça inclut Marty McSorley, robuste défenseur de profession, mieux reconnu pour ses poings que pour ses points. Ce soir-là, McSorley a marqué l'histoire du hockey, et peut-être pas pour les bonnes raisons: en se faisant pincer avec un bâton illégal.

Les Kings avaient une avance d'un but dans ce deuxième match de grande finale. Il ne restait plus que 1:45 à faire, et Demers, l'entraîneur-chef du Canadien, avait alors eu la bonne idée de dire à l'arbitre que le gros défenseur des Kings avait en main un bâton illégal.

La suite, elle est bien connue. Pendant que McSorley était au banc des coupables, le Canadien a réussi le but égalisateur, pour ensuite aller chercher la victoire en prolongation. Le club montréalais a gagné les trois matchs suivants... et le précieux trophée de Lord Stanley.

Non, personne n'a oublié. En début de semaine, McSorley a confié aux médias de Los Angeles que le Canadien avait agi de manière malhonnête dans cette affaire; que le Canadien avait peut-être trouvé une façon de mesurer les bâtons des Kings en cachette...

Foutaises, selon Jacques Demers.

«Je vais toujours vivre avec ça en sachant qu'on n'a pas triché, a répondu l'ancien entraîneur montréalais. Je pense que quelqu'un a déjà dit à Luc Robitaille qu'un placier du Forum avait mesuré les bâtons des Kings... Ce n'est jamais arrivé.

«La vérité, c'est qu'on avait des doutes. Après le premier match, Guy Carbonneau m'avait dit que selon lui, cinq ou six joueurs des Kings avaient un bâton illégal. Je me souviens que Vincent Damphousse avait remarqué ça, lui aussi. On savait que McSorley était de ceux-là.»

Demers ajoute du même souffle qu'il n'était pas si sûr de son coup.

«J'ai cru en la parole de Carbo, et j'ai pris une chance. J'ai jamais été sûr à 100 %. Pendant que l'arbitre mesurait le bâton, il devait y avoir trois millions de personnes qui regardaient... et moi, je n'étais pas certain. Mais j'avais fait mon choix. On perdait le match 2-1, notre attaque à cinq ne fonctionnait pas, et il restait environ 90 secondes à jouer. J'allais prendre la responsabilité. Si ça ne marchait pas, je savais que j'allais être la risée.»

Cette grande finale de 1993 entre les Kings et le Canadien est mémorable pour bien des raisons - le clin d'oeil d'un certain Patrick Roy, entre autres -, mais presque

20 ans plus tard, c'est la gaffe de McSorley que l'on retient. Comme on retient, à tort ou à raison, les bourdes de Bill Buckner, Scott Norwood ou Steve Smith dans le livre des sportifs qui ont échoué sur les plus grandes scènes.

«Ma décision»

Jacques Demers admet que ce moment-là ne sera sans doute jamais oublié.

«C'est quelque chose qui a changé la série. Si ça ne fonctionne pas pour nous avec le bâton, on ne gagne peut-être pas la Coupe Stanley. Cette année-là, on a remporté

10 matchs des séries en prolongation. Mais on revient toujours au bâton de McSorley.»

Demers affirme que les joueurs des Kings ne lui en ont jamais voulu. Il a revu McSorley par la suite («un gars de classe»), et il se souvient encore de Wayne Gretzky, qui lui avait remis son bâton sur la glace du Forum, après la sirène finale.

«Si Gretzky m'en avait vraiment voulu, pourquoi est-ce qu'il m'aurait donné son bâton à la fin, quand on a gagné le dernier match? L'histoire du bâton de McSorley, c'était ma décision. Et je vais toujours vivre avec.»