Après une absence de 15 ans, Winnipeg va enfin retrouver ses Jets, demain soir, lors du premier match de l'équipe face au Canadien.À Winnipeg, les Jets sont plus qu'un simple club de hockey. Ils sont fierté, espoir et force. Et ils sont les rois d'une ville qui ne vit que pour eux.

C'est dans un Tim Hortons de Winnipeg qu'Andrew Ladd a tout compris. «J'étais dans la voiture et je venais de commander. Quand je me suis présenté au guichet pour payer, l'employé m'a dit que ma commande était déjà payée. Le gars dans la voiture devant moi s'en était chargé à ma place...»

Ainsi va la vie pour un membre des Jets à Winnipeg. Le café et les beignes? Gratis. Au resto? Là aussi, c'est souvent gratis. «Depuis qu'on est arrivés ici, c'est comme ça... les gens sont vraiment contents de nous avoir parmi eux.»

Andrew Ladd est le capitaine des nouveaux Jets de Winnipeg, qui sont aussi les anciens Thrashers d'Atlanta. Ces Jets vont disputer le premier match de leur nouvelle histoire demain soir, ici même au MTS Centre, contre le Canadien.

À 25 ans, Ladd a déjà vu pas mal de pays sur la planète LNH. Il a joué en Caroline, à Chicago, à Atlanta... Mais il n'a jamais rien vu de tel. Jamais rien vu d'aussi fou. «Si on se sert de l'énergie des fans, on pourrait gagner plusieurs matchs», ajoute-t-il.

Car ils attendent depuis longtemps, les supporters. Depuis le 28 avril 1996, plus précisément. C'est ce soir-là que les Jets de Winnipeg ont quitté le Manitoba pour aller s'installer en Arizona et devenir les Coyotes de Phoenix.

Il y a de ces blessures qui finissent par guérir au fil du temps. Celle-là n'a jamais vraiment guéri.

«Par ici, on a le hockey dans le sang, et le départ des Jets a été une atteinte à notre fierté, raconte Craig Heisinger, assistant directeur général des Jets. Ce ne fut pas agréable quand les Jets sont partis. Les camions de déménagement étaient ici le lendemain matin...»

Heisinger, un gars de la place, était le gérant d'équipement des Jets quand le club est parti en 1996. C'est lui qui a fermé les portes du vestiaire pour la dernière fois... après avoir passé l'aspirateur. «C'était mon travail, et je devais le faire jusqu'à la dernière journée. Les employés du club ont eu une offre pour aller en Arizona mais moi, j'ai refusé. Je tenais à rester ici. Ç'a été difficile. On venait de nous enlever notre rêve...»

Mark Chipman, lui, n'a pas passé beaucoup de temps à pleurer le départ des Jets. Principalement parce qu'il était trop occupé à préparer leur retour.

«D'une certaine façon, on a commencé à préparer ce retour dès l'instant où le club est parti, explique le propriétaire des nouveaux Jets, en entrevue avec La Presse. En fait, pour nous, tout a vraiment commencé avec le lock-out (de 2004-2005). C'est là qu'on a réalisé que le modèle d'affaires de la LNH allait changer, que ça allait pouvoir fonctionner pour nous. Sans la nouvelle convention collective, sans un plafond salarial, cela aurait été impossible.»

Pour le propriétaire, si les Jets sont enfin de retour, c'est avant tout grâce à l'aréna, bâti en 2004 et planté en plein centre-ville. «Rien de cela n'aurait été possible sans le MTS Centre. Puis, en 2007, Gary Bettman nous a invités à New York pour aller faire une présentation devant les gouverneurs du circuit.»

C'est à la suite de cette fameuse présentation que le groupe de Winnipeg se fait suggérer de rester prêt. «On nous a fait savoir que Nashville et Phoenix éprouvaient des difficultés, d'ajouter Mark Chipman. On ne savait pas si on était les seuls dans cette course, mais plus ça allait et plus c'était clair qu'on allait être les premiers sur la liste si jamais un club allait déménager.»

Chipman et ses associés étaient confiants, mais aussi très silencieux. Par choix. Même si les rumeurs d'un possible retour des Jets à Winnipeg allaient en grandissant, ils préféraient attendre en silence et éviter les grandes déclarations.

Ce qui a toujours fait l'affaire de Gary Bettman... sauf peut-être en mai, quand le commissaire a un peu pété les plombs par message texte sur le portable de Mark Chipman.

«C'est là que l'histoire du retour des Jets a été ébruitée, et il (Bettman) était confus et déçu, de raconter le propriétaire. Nous étions encore en train de négocier à ce moment-là, et nous nous étions fait un point d'honneur de ne rien dire. La dernière chose qu'on voulait, c'était que ça se sache. Mais c'était trop tard. Quand je suis rentré en voiture ce soir-là, il y avait déjà tous ces fans qui célébraient au centre-ville...»

Les problèmes de Winnipeg ne vont pas disparaître comme par magie avec le retour des Jets. À quelques mètres du MTS Centre, les sans-abri et les alcooliques qui traînent dans la rue viennent nous rappeler que le hockey de la Ligue nationale ne va pas tout régler.

Et il y a la réputation. Une mauvaise réputation difficile à effacer, même après tant d'efforts. La saison dernière, au moins deux joueurs - l'attaquant Éric Bélanger et le gardien Ilya Bryzgalov - ont clairement fait savoir qu'ils ne souhaitaient pas du tout venir jouer à Winnipeg.

Thomas Steen, membre des Jets pendant 14 saisons de 1981 à 1995, n'en a cure.

«Les autres équipes peuvent bien garder ces divas, nous, on n'en veut pas! lance celui qui est aujourd'hui conseiller municipal à Winnipeg. De très grands joueurs sont venus jouer ici, les Hull, Selanne, et ils ont adoré ça. Ce ne sera pas un problème.»

Steen jure que Winnipeg se porte beaucoup mieux depuis la renaissance des Jets. «Le retour de notre équipe, ça veut dire une ville plus vibrante, ça veut dire que les gens sont heureux, ça veut dire que le nom de la ville va se remettre à circuler à travers le monde. Et ça veut dire que les hivers vont passer plus vite...»

La grande question, maintenant: cette fois-ci, les Jets pourront-ils survivre? Avec seulement 15 004 sièges, le MTS Centre est le plus petit aréna de la Ligue nationale.

Mark Chipman n'est pas nerveux. «On n'a jamais pensé que la taille de notre aréna allait être un problème. Nous ne sommes pas inquiets à ce sujet. Pas du tout.»

Demain soir, la place sera bondée lorsque les Jets et le Canadien croiseront les bâtons au centre de la glace. Ce moment, les gens de Winnipeg l'attendent avec impatience depuis plusieurs mois, plusieurs années. Ce qui explique un peu cette folle lune de miel avec des joueurs de hockey qui, il y a six mois à peine, étaient tous de parfaits inconnus dans la ville d'Atlanta.

Ils ne sont plus des inconnus. Dans les rues du centre-ville, les fidèles, qui adorent manifestement les nouvelles couleurs du club, portent fièrement les maillots des Ladd, Byfuglien et Kane.

«Les fans nous aiment et sont tous derrière nous, mais si on se fait rincer 7-0 demain soir, ça va peut-être être différent!», lance le défenseur Ron Hainsey.

En attendant, les gars des Jets peuvent dormir tranquilles. Cette ville leur appartient, et leurs partisans sont prêts à tout leur donner. Incluant du café et des beignes.