Le prisonnier se présente devant les agents des services correctionnels. Avant d'obtenir sa libération, on doit lui demander s'il est réhabilité. Le prisonnier en est convaincu, mais il sait que les autres ne le sont pas.

La prison de Steven Downie, ce sont les préjugés que les gens tiennent à son endroit. C'est que l'attaquant du Lightning de Tampa Bay traîne un lourd passé qui n'incite pas exactement à la présomption d'innocence.

Dans le quatrième match de la série de premier tour, face aux Penguins de Pittsburgh, Downie a plaqué Ben Lovejoy alors que ses patins ont quitté la patinoire. Il a écopé d'une suspension d'un match car Lovejoy s'en était tiré indemne. Mais si le défenseur des Penguins s'était blessé, on aurait comparé ce coup à celui qui a lancé la carrière de Downie dans la LNH: un assaut à la tête de Dean McAmmond, des Sénateurs d'Ottawa, lors d'un match préparatoire en septembre 2007.

Cette fois-là, Downie a essuyé une suspension de 20 matchs.

«Ce n'est pas qu'il a une crédibilité à bâtir, mais il doit démontrer qu'il n'est plus cette personne-là, explique Steven Stamkos, l'un de ses plus proches amis. Nous le savons, il le sait aussi, mais ceux qui ne le côtoient pas au quotidien ne le savent pas.

«Je ne sais pas combien de temps ça prendra avant que les gens ne cessent de lui poser des questions, mais il a appris à composer avec cela.»

Chez le Lightning, on espère que l'incident avec Lovejoy n'est qu'un accident de parcours. Car face aux Penguins, l'ailier de 24 ans a probablement été le meilleur joueur de son équipe.

Une vie difficile

Teigneux et talentueux dès l'adolescence, Steven Downie a bâti sa légende au sein de l'équipe canadienne junior et avec les Spitfires de Windsor.

Il a pourtant été mis au ban de cette équipe après qu'il se fut rué sur son coéquipier Akim Aliu durant un entraînement, lui cassant trois dents avec un double-échec bien senti.

Hargneux, souvent hors-la-loi, mais gagnant dans l'âme, Downie a toujours joué avec la rage au coeur.

Une rage, croient les entraîneurs du Lightning, qui a un lien avec la mort de son père, à laquelle il a assisté. Downie n'avait que neuf ans lorsque son père, en chemin vers l'aréna, a perdu la vie dans un accident d'auto.

Assis à l'arrière, le jeune Steven s'en est tiré indemne.

Deux ans plus tard, Downie devenait sourd de l'oreille droite à la suite d'infections chroniques.

Bref, le gars ne l'a pas eu facile.

Les Flyers séduits, puis désenchantés

Son talent et son désir de vaincre ont séduit les Flyers de Philadelphie, qui en ont fait leur choix de premier tour en 2005.

«On le comparait beaucoup à Rick Tocchet: un gars capable de jouer au hockey mais aussi d'être physique et de jeter les gants», se souvient son coéquipier Simon Gagné, qui l'a connu chez les Flyers.

«Mais il avait cette mauvaise réputation provenant du junior. Et dès qu'il est arrivé chez nous, il y a eu cette mise en échec sur Dean McAmmond dont on va toujours se rappeler. Ça n'avait pas bien commencé pour lui.»

Les frasques se sont poursuivies: un coup de poing vicieux dans l'oeil de Jason Blake en janvier 2008. Vingt autres matchs de suspension dans la Ligue américaine pour avoir cinglé un juge de lignes en février 2009...

À cette époque, les Flyers avaient déjà démissionné sur lui et l'avaient refilé au Lightning dans un échange impliquant le défenseur Matt Carle.

Une libération conditionnelle, monsieur l'agent?

Rejetée.

Une nouvelle personne

Avant même que la nouvelle direction du Lightning n'arrive en poste, Downie avait entrepris un changement qui s'avérait nécessaire s'il voulait faire carrière.

Résultat: sa campagne de 22 buts, la saison dernière, a été sa plus prolifique dans la LNH.

«La première chose que j'ai vue de lui en arrivant à Tampa, ça a été... une nouvelle personne», confie Simon Gagné.

Selon le nouveau DG Steve Yzerman, les joueurs qui cognent fort et qui misent sur l'intimidation ont dû s'ajuster aux changements qui s'opèrent dans le hockey.

À ce titre, Downie a fait un effort conscient de modifier sa façon de jouer.

«C'est un bon joueur et son jeu en séries le démontre, a souligné Yzerman. Il a un bon sens du hockey, de bonnes habiletés, il voit bien le jeu se dessiner.

«Mais nous le voulons sur la glace, pas au banc des pénalités. Et surtout pas dans les estrades parce qu'il est frappé d'une suspension.»

Un combat de tous les jours

À son arrivée derrière le banc du Lightning, Guy Boucher en a fait une mission personnelle de travailler à ce que son bouillant ailier réussisse enfin à dominer ses émotions.

Ça a été un combat de tous les jours car toute sa vie, on lui a demandé de jouer avec cette émotion-là et de remplir ce type de rôle-là, rappelle Boucher. Or, ma façon de faire est un peu différente. On demande aux joueurs une concentration totale, et Steve n'est pas à l'écart de ça. Dans son cas, il peut perdre une partie de ses moyens dès la minute où ça devient émotif.

«Mais c'est le jour et la nuit depuis le début de la saison, précise Boucher. Les arbitres nous le disent et les joueurs sont à même de le voir.»

«La ligne est tellement mince», ajoute Steven Stamkos, son cochambreur et peut-être son meilleur allié dans l'équipe.

«Il franchit encore la ligne de temps en temps et d'une certaine façon, ça fait en sorte que l'adversaire ne sait jamais exactement ce qu'il va faire. Mais il sait où est la ligne maintenant.»

En séries éliminatoires, les autres équipes ont tenté sans succès jusqu'ici de lui faire péter les plombs. Dès le coup de sifflet, Downie sort de la mêlée.

«Je suis très fier de lui, confie Boucher. Il a encore du travail à faire, mais il a accompli une grosse partie de son cheminement.»

Pendant que Dominic Moore prépare les jeux et que Sean Bergenheim marque des buts à la pelle, le travail en fond de territoire de Steve Downie passe plus inaperçu.

Mais ce n'est pas grave si la gloire instantanée de ses deux compagnons de trios ne rejaillit pas autant sur lui.

Une simple tranquillité d'esprit ferait amplement l'affaire.