Printemps 1980. J'ai onze ans et je suis déjà maniaque de hockey et du Canadien. Mais pour mon plus grand malheur, il m'est interdit de regarder plus d'une période la semaine. L'école m'attend tôt le matin.

Cette soirée-là est particulièrement cruelle. Le Canadien affronte les North Stars du Minnesota en séries éliminatoires et l'ennemi en vert a forcé la présentation d'un cinquième et ultime match.

Je crains pour mon équipe favorite, mais aussi pour mon idole, le gardien Denis Herron. Je voue une admiration inconditionnelle et surtout aveugle à ce petit gardien obtenu des Penguins de Pittsburgh qui doit chausser les bottines de Ken Dryden.

Pourquoi cet amour pour un gardien de 140 livres qui accordait des buts à la pelle dans l'uniforme des Penguins et des défunts Scouts de Kansas City?

Son masque, probablement: des formes triangulaires en bleu-blanc-rouge, qui contrastaient avec les cercles de celui de Dryden.

Mais aussi, et surtout, son statut de négligé. Un petit gardien comme lui allait-il pouvoir sauver le CH comme l'avait fait Dryden, un géant au sens propre et au figuré?

Alors me voilà couché après la première période, le match est serré

et le sort du Canadien repose sur les frêles épaules de mon idole.

Ma mère referme la porte de ma chambre. Dès que j'entends ses pas dans l'escalier, je me faufile discrètement, tel un Sioux dans la forêt, pour récupérer mon minuscule transistor bleu caché dans un petit coffre au fond de la pièce. La tâche n'est pas mince avec ces planchers de bois qui craquent même sous le poids d'un enfant d'une soixantaine de livres, mais je ne me suis jamais fait prendre depuis que j'ai eu cette idée de génie l'automne précédent...

Je suivrai la rencontre nerveusement, le transistor soudé à l'oreille. Il reste à peine deux minutes et c'est l'égalité 2-2. Les North Stars pénètrent en zone du Canadien quand soudain, la porte de ma chambre s'ouvre. Panique! Ma mère vient probablement me donner un dernier bisou, croyant que je dors à poings fermés.

Je glisse le transistor sous mon oreiller et fais le mort. Quand je récupère l'appareil et retrouve la fréquence, il est trop tard. La voix des commentateurs ne ment pas, Denis Herron vient de commettre une bévue monumentale à l'orée de son filet et l'adversaire en a profité pour marquer.

Je n'arriverai pas à dormir cette nuit-là; profondément déçu, blessé, enragé par ce destin cruel du sort. Pas seulement la gaffe, mais le fait de n'avoir pu vivre cet épisode douloureux en même temps que mon héros.

Deux ans plus tard, Herron était échangé. Arrivera, en 1984, un autre gardien sous-estimé dont je m'enticherai rapidement: Steve Penney. Cette fois, je pourrai regarder les matchs en entier à la télé...