Ce dont je me souviens avant tout, c'est le silence. Un silence lourd. Un silence qui ne pouvait dire qu'une seule chose: encore une fois, Buffalo avait perdu.

Il était quoi, 1h30 du matin? Certains partisans des Sabres profitaient des pauses pour dormir dans leur siège. C'était un vendredi soir qui était devenu un samedi matin, et c'était le sixième match de la finale de la Coupe Stanley. C'était aussi la troisième période de prolongation dans ce qui était alors le Marine Midland Arena de Buffalo.

C'est là que Brett Hull a frappé.

Ce n'est pas le but de Hull qui m'a marqué. C'est le silence. Dans l'aréna, tout ce qu'on entendait au loin, c'était Hull et ses collègues des Stars de Dallas qui laissaient cours à leur joie sur la glace. Dans les gradins, il n'y avait pas un son. Les fans des Sabres étaient assommés. Et trop fatigués pour huer.

Dans l'énorme ascenseur de service, la petite télé accrochée dans un coin nous montrait l'image qui allait être ensuite rejouée des centaines de fois: Brett Hull, le patin gauche bien planté dans le demi-cercle bleu de Dominik Hasek, qui marque le but gagnant. À Buffalo, l'événement a depuis été baptisé «no goal». Pas de but...

Mais il était tard. Et il y avait plein de monde et de caméras sur la glace, alors la LNH a décidé que le but était bon. Souvent, les fans ont l'habitude de rester pour assister à la présentation du trophée. Pas cette fois. Un à un, ils ont quitté le site dans un silence de salon funéraire.

C'était silencieux aussi dans les rues. En fait, il n'y avait personne. Mon chauffeur de taxi était au bord de la déprime lui aussi. J'ai bien tenté de lui remonter le moral en lui rappelant qu'au baseball AAA, l'équipe de Buffalo avait remporté un championnat l'année précédente. «De la merde de ligue mineure», m'avait-il poliment rappelé. Je n'avais pas insisté.

J'ai encore une image de Brett Hull en tête, mais ce n'est pas celle de son but, ni celle de son patin. Mon image, c'est Brett Hull qui est juché sur les casiers du vestiaire des visiteurs, cigare au bec, des canettes de bière entre ses cuisses.

Une image réconfortante. Parce que, dans le fond, qu'on gagne la Coupe Stanley ou le trophée de sa ligue de garage du lundi soir, on fait toujours la fête de la même manière: avec un «six-pack» entre les jambes.