Peintres, romanciers, dramaturges, bédéistes, chanteurs et groupes de musique: de tout temps, les artistes du Québec et d'ailleurs ont été inspirés par le Canadien de Montréal. Tout au long de la saison, Au Jeu s'intéressera aux rapports entre le Tricolore et le monde des arts. Ce mois ci: la chanson.

Le tissu social de Montréal

C'est de la sainte flanelle

Quand y est question de hockey

Nous on fait pas dans la dentelle

Ok c'est plus qu'un sport

C't'une métaphore de not'sort

C'est ça qui nous ressemble

C'est ça qui nous rassemble

Loco Locass a scoré fort le printemps dernier avec Le but. Nos amis anglos ont même utilisé ce chant d'amour au CH en ouverture de Hockey Night in Canada. Pas étonnant: une fois qu'on a entendu «Allez, allez, allez, allez Montréal», impossible de se sortir l'air de la tête.

Consciemment ou non, le trio hip-hop montréalais s'inscrivait dans une riche tradition. Depuis 80 ans, le Bleu-Blanc-Rouge a en effet été une muse pour plusieurs générations de chanteurs et musiciens.

Benoit Melançon peut en témoigner. Directeur du département des littératures de langue française à l'Université de Montréal et auteur de Les yeux de Maurice Richard, une histoire culturelle du Rocket, il s'est amusé à inventorier les chansons québécoises qui mentionnent le Canadien.

Il en a recensé pas moins de 63, de Ah! le hockey!, comique bluette signée Léo LeSieur (1930) jusqu'à Gold'Halak, hommage des Porn Flakes à la vedette des dernières séries (et à Goldorak) pondu au printemps par le «poète» en résidence de CKAC, Jean-Charles Lajoie. (Il est né dans la Slovaquie/Aux frontières de Peter Stastny: vous voyez le genre.)

Certains thèmes reviennent comme des leitmotivs. «C'est frappant dès les années 50: les chansons sont souvent liées à l'histoire, à la transmission familiale du patrimoine, entre le père et le fils ou le père et la fille», dit M. Melançon. Un exemple parmi des dizaines: La Soirée du hockey, une chanson de Christine Corneau datant de 1988. «I s'ouvrait une Mol/I misait sur les scores/C'tait notre idole/Not' Maurice Richard/Notre père nous aimait/Si on laissait toute la game en paix.»

«Il y a un genre de constante historique. On est dans la nostalgie», dit M. Melançon. Mais cette nostalgie pour la gloire passée de la sainte Flanelle s'accompagne souvent, dans les chansons plus récentes, d'une «dose assez considérable de cynisme» envers les joueurs actuels, note-t-il. «Ils gagnent trop d'argent, versus les joueurs d'autrefois qui avaient du coeur. Il y a une coupure. Il était possible de s'identifier à Maurice Richard. Il n'était pas trop grand, pas trop gros. On savait où il habitait. Cette identification n'est plus possible aujourd'hui. On n'aime pas les mercenaires, alors on se tourne vers le passé.»

Ça peut donner une chanson concept comme celle de Mes Aïeux sur Howie Morenz, Le fantôme du Forum (2008), ou, dans un tout autre registre, Ti-Guy, dans laquelle le chanteur country André Brazeau ne craint pas de sonner un tantinet xénophobe: «Moé j'm'ennuie de Ti-Guy Lafleur/C'est pas avec des Vladimir qu'on va gagner/Ça prend des Français pour une Coupe Stanley/Des gars comme Ti-Guy pis un Cournoyer/Béliveau, Jacques Plante et puis des Tremblay.»

Que le country s'intéresse au Canadien n'a rien d'étonnant. Le CH a été apprêté à pratiquement toutes les sauces musicales, du rock fifties de Denise Filiatrault (Rocket Rock'n'roll, 1957) au hip-hop (Le but, de Loco Locass, ou La 25e, d'Annakin Slayd) en passant par la chanson traditionnelle façon Oscar Thiffault (Le Rocket Richard, 1955), le folk-trad (Salut mon Ron, des Cowboys fringants 2002) et les variétés (La chanson du hockey, Les Jérolas, 1960). Même le classique (Les Glorieux, de Georges-Hébert Germain et François Dompierre, 2008) est représenté. «On peut suivre l'évolution du hockey et l'évolution musicale du Québec à travers ces chansons», dit M. Melançon.

Le joueur le plus populaire? Maurice Richard, évidemment, loin devant Guy Lafleur et Jean Béliveau. Le Rocket est cité dans plus de 25 chansons, des plus obscures - qui se souvient du Maurice Richard de Jeanne d'Arc Charlebois (1951) ou de C'est pour quand la Coupe Stanley? , d'Alain-François (2007)? - aux plus connues, telle la célèbre Maurice Richard, de Pierre Létourneau, récemment reprise par Jérôme Charlebois. Comme quoi les modes passent, mais les vrais classiques ne se démodent pas.