La foule du Centre Bell l'a adopté et scande son prénom à tous les matchs depuis son rappel de Hamilton. À sa première année chez les professionnels, Pernell Karl Subban réalise déjà son rêve de jouer pour le Canadien de Montréal, dans la frénésie des séries par-dessus le marché. Une épreuve que le défenseur ontarien accueille avec calme et maturité. Des traits de caractère qui ressemblent à des traits de famille...

La fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt, dit-on. À en juger par le passé de P.K. Subban, se coucher tard peut aussi être une bonne stratégie.

C'était avant que la recrue du Canadien n'électrise la foule du Centre Bell avec ses spin-o-ramas à la Serge ou à la Denis Savard. Avant son passage chez les Bulldogs de Hamilton, où le défenseur de 20 ans a établi des records d'équipe pour les buts (18), les buts en avantage numérique (11) et les points (53). Avant les deux médailles d'or au championnat du monde de hockey junior. Bien avant : P.K. Subban avait cinq ou six ans.

À l'époque, son père Karl occupait deux emplois : administrateur d'une école primaire de Toronto le jour, il était directeur-adjoint d'un programme d'éducation aux adultes le soir. Il rentrait tard à la résidence familiale d'Etobicoke, dans l'ouest de la Ville reine, bien après l'heure du coucher de son garçon. Mais il avait promis à son fils maniaque de hockey qu'il patinerait tous les jours.

Alors il réveillait doucement P.K., étendu sur son lit dans ses pantalons de neige, pour le conduire en voiture à la patinoire réfrigérée de Nathan Phillips Square, en face de l'hôtel de ville de Toronto.

«Je passais le prendre vers 22 h et nous restions à la patinoire jusqu'à minuit, une heure ou deux heures du matin. Si je ne le réveillais pas, il était très fâché contre moi», raconte en riant Karl Subban. P.K., qui fréquentait la maternelle en après-midi, récupérait le matin les heures de sommeil perdues.

L'anecdote illustre bien la passion pour le hockey du jeune Subban, qui a commencé à patiner à 2 ans et demi et a fait ses débuts au hockey à 4 ans. «Nous ne manquions jamais les matchs du Canadien et je me souviens très bien l'avoir entendu dire un soir : «Je veux devenir comme ces gars à la télé.» Il n'avait que 4 ou 5 ans», se souvient M. Subban. «Il a toujours voulu être un joueur de hockey. Nous lui avons donné l'occasion d'y jouer, il a adoré ça et les commentaires positifs et les encouragements qu'il a reçus expliquent qu'il soit rendu où il est aujourd'hui.»

Ça... et de bons gènes. Car la famille Subban a le sport dans le sang. Karl a joué au basketball à l'université et sa femme, Maria, une sprinteuse, était une étoile de la piste à l'école secondaire.

Leurs enfants ne se débrouillent pas trop mal non plus. La soeur aînée de P.K., Nastassia, une enseignante de 28 ans, a détenu pendant quelques années le record de points de la ligue universitaire ontarienne de basketball. Son frère Malcolm, 16 ans, gardien de but des Reps de Mississauga, a réussi 55 arrêts lors la finale de la Coupe Telus, à Lévis, il y a deux semaines. Il jouera l'an prochain pour les Bulls de Belleville, le club junior avec lequel P.K. a passé quatre saisons. Quant au cadet de la famille, Jordan, 15 ans, un défenseur, il sera éligible au repêchage de la Ligue junior de l'Ontario l'an prochain.

En fait, la seule membre de la famille qui n'a pas fait de sport de haut niveau est sa soeur Natasha, une artiste de 23 ans qui se destine elle aussi à l'enseignement. Mais à en croire Karl Subban, les dieux du hockey veillent quand même sur elle. «Elle est née le 29 octobre - et 29 était le numéro de mon joueur favori, Ken Dryden», explique-t-il.

Enfant d'immigrants

L'amour du Canadien qu'a immédiatement professé P.K. Subban quand le CH l'a repêché au deuxième tour (43e au total) en 2007 lui vient en effet de son paternel. Né en Jamaïque, M. Subban avait 11 ans quand il a émigré au Canada avec sa famille - la même année que sa future épouse est arrivée de l'île volcanique de Montserrat. Son père a trouvé un emploi de mécanicien de moteurs diesel pour la minière Falconbridge, à Sudbury, dans le nord de l'Ontario.

Élevé au soccer et au cricket, le jeune Karl a été plongé du jour au lendemain dans une culture sportive complètement différente de celle de son île natale. «J'ai passé mon premier hiver à jouer au hockey dehors. Les enfants dans ma rue étaient tous francophones et c'est comme ça que je suis devenu un partisan du Canadien, à l'époque où Ken Dryden, un gardien comme moi, faisait ses débuts dans la LNH.»

Sa famille n'avait pas les moyens de l'inscrire au hockey organisé. Il s'est plutôt orienté vers le basketball, où sa grande taille - à 6'3, il mesure trois pouces de plus que P.K. - l'a aidé à se tailler un poste avec l'équipe de Lakehead University, à Thunder Bay. Son intérêt pour le hockey ne s'est toutefois jamais démenti. «J'étais un grand fan des Wolves de Sudbury : Ron Duguay, les frères Hunter, je les ai tous vu jouer», raconte-t-il.

Mais sa vraie passion, il la vouait au Canadien, dont il suivait les matchs en français à La Soirée du hockey. Son amour ne s'est jamais démenti. «Un jour, quand P.K. jouait pour Belleville, il m'a appelé sur mon cellulaire pour me dire que des recruteurs du Canadien s'en venaient le rencontrer à la maison. J'ai failli perdre le contrôle de mon auto sur la 401!»

Il était à Columbus, où avait lieu le repêchage de 2007, quand le Canadien a sélectionné P.K. «J'ai pleuré. Je sais que les partisans du Canadien à Montréal et au Québec sont passionnés, mais je le suis aussi. Que mon fils soit choisi par le Canadien - c'était incroyable.»

Un modèle positif

Aujourd'hui directeur de la Brookville Middle School, une école de Jane and Finch, un quartier pauvre et difficile de Toronto, M. Subban est fier de l'impact positif que son fils a sur les jeunes - des Noirs en grande partie - qu'il côtoie tous les jours. «Après sa deuxième médaille d'or au championnat du monde, il est venu à l'école avec son chandail d'Équipe Canada et sa médaille. Ça a signifié beaucoup pour les jeunes. Et pour P.K. aussi. S'il sait que des jeunes s'inspirent de lui, il va mener une bonne vie.»

La couleur de la peau de Subban ne lui a jamais causé de problème, assure son père. Il n'a pas tant été confronté au racisme qu'à la jalousie - comme c'est souvent le cas pour les joueurs de grand talent. «Mais j'ai enseigné à tous mes enfants à se concentrer sur leurs objectifs. Si tu sais qui tu es et que tu te sens bien, ton estime personnelle et ta confiance vont être fortes, dit-il. Le hockey te prépare à la vie de tous les jours et il a fait de P.K. une meilleure personne.»

Selon M. Subban, la saison actuelle a permis à P.K. de mesurer l'importance de ne pas sauter d'étapes. Bien des partisans du Canadien ont critiqué l'organisation pour avoir tardé à rappeler Subban, renvoyé à Hamilton après avoir obtenu deux passes en deux parties contre les Flyers, en février. M. Subban croit plutôt que le CH a bien fait de prendre son temps.

«C'était la meilleure chose pour que P.K. puisse apprendre, grandir et développer sa confiance, dit-il. Et puis c'est important de payer le prix. Quand on obtient les choses trop facilement, c'est tentant de travailler moins fort. Trevor Timmins et Bob Gainey ont fait ce qu'il fallait avec P.K. Il n'a que 20 ans et il a encore beaucoup à apprendre.»

On l'a vu jeudi, dans le quatrième match de la série, au cours duquel Subban a souvent joué avec le feu. «P.K. est encore très jeune et tout ce que nous voulons c'est qu'il apprenne de ses erreurs et qu'il travaille fort, m'a dit son père quelques heures plus tôt. Il a choisi le hockey et je veux qu'il travaille fort pour être aussi bon qu'il le peut.»

Jacques Martin n'aurait pas mieux dit.